Julien Van Uyttendaele: "Au PS, on a besoin de jeunes comme moi, quelqu'un qui prend le métro, qui s'aère, qui va ressentir les difficultés quotidiennes. © Jonas Roosens pour Le Vif/L'Express

Julien Uyttendaele, le beau-fils

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Voilà un an, Julien Uyttendaele (PS), tout juste diplômé, prêtait serment au parlement bruxellois. A 24 ans, rien ne semble l’arrêter. Mais son nom et l’admiration sans bornes que lui vouent son père, Marc, et sa belle-mère, Laurette Onkelinx, ne lui rallient pas que des amis. Jusque dans son propre parti.

Julien Uyttendaele porte beau, fine silhouette, chemise blanche, lunettes noires à monture carrée, tendance geek, barbe taillée et un visage marqué par deux fossettes. Il tient de son avocat de père, Marc, qu’il évoque en l’appelant « papa », tel un fils qui aurait grandi trop vite. Les deux hommes affichent une relation forte, complice. Quand Julien était enfant, son père, divorcé, s’organisait pour libérer ses mercredis après-midi. « Marc sait combien des parents peuvent manquer, analyse un proche. Les siens (NDLR: Guy Uyttendaele, avocat, et Jacqueline Pels, magistrate) travaillaient beaucoup et étaient peu présents. Julien, c’est l’adolescent et le jeune adulte qu’il aurait aimé être, lui qui a connu une adolescence solitaire et sérieuse. »

Marc Uyttendaele voue ainsi à son fils unique un amour absolu depuis l’âge le plus tendre. « Je suis un père comblé et très fier. Extrêmement fier de la détermination de mon fils, de son courage, de son enthousiasme, de son ironie et de sa volonté tout en restant les pieds sur terre », déclarait-il lors de la campagne électorale de Julien Uyttendaele, en mai 2009.

Chez le fils, on observe un peu de mimétisme à l’égard du père. « J’ai toujours vécu dans son environnement, confie au Vif/L’Express le député bruxellois de 24 ans. Enfant déjà, après l’école, j’allais faire mes devoirs à son bureau. » Mais c’est sur les traces de sa belle-mère, Laurette Onkelinx, qu’il s’est lancé, avec l’assurance d’un jeune dauphin, devenant ce que la gauche dit abhorrer: un héritier. Un de plus, songent certains. En coulisse donc, et jusque dans son propre camp, des parlementaires l’ont dès lors appelé la « Garantie Jeunes du PS », en référence au dispositif devant offrir à tous les jeunes sans emploi, un stage, une formation ou un job d’un an…

« J’ai appris à gérer »

Le mécanisme à l’oeuvre ici est simple et connu. En mars 2014, un comité de sages se réunit pour dresser les listes électorales. Ces sages du PS bruxellois, baptisés « G4 », sont Laurette Onkelinx, Philippe Moureaux, Charles Picqué et Rudi Vervoort. Sur la liste régionale, ils parachutent Julien Uyttendaele à la troisième suppléance, en remplacement de Fadila Laanan. Une place de premier choix, puisque élu ou non, elle lui assure un siège en cas de participation au pouvoir. En effet, le parti obtient quasi toujours deux ministres au sein de l’exécutif bruxellois et il était sûr d’envoyer l’un des siens au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Laurette n’a pas agi en présidente mais en parent », enrage un ministre socialiste. En off, aujourd’hui encore, des adhérents n’ont pas digéré l' »OPA familiale ». « Il y a excès quand un nouveau venu brûle manifestement toutes les étapes », grincent-ils.

Surpris Julien Uyttendaele? Pas vraiment. « On me réduit sans cesse à un nom de famille. L’intérêt se porte rarement sur ce que je suis et sur ce que je vaux. J’ai appris à gérer », répond-il, assis à son bureau au cinquième étage du parlement. N’est-ce pourtant pas à cette double filiation qu’il doit ce qu’il est aujourd’hui? Laurette Onkelinx, depuis un an cheffe de file de l’opposition fédérale, il l’a toujours connue ministre. Il a 7 ans quand elle entre dans sa vie. Elle est alors aux commandes de l’Enseignement et, confesse-t-il, l’enfant qu’il est subit alors les mesquineries des professeurs et des camarades. « Depuis gamin, j’ai été alimenté des deux côtés, nourri de discussions entre mon père et ma belle-mère. A la maison, tout était politique. Le débat était au centre de nos dîners. »

Laurette est une femme de valeurs, courageuse, combattante. C’est un privilège d’avoir grandi à ses côtés!

Le député affirme avoir très tôt « rêvé de politique » et expose son passé de militant. A 14 ans, on le voyait déjà en compagnie des Jeunes Socialistes. A 16 ans, il prend sa carte de parti, « à un moment où le dégoût pour le PS allait grandissant ». Deux ans plus tard, en 2009, il se présente à l’élection, à la 68e place: selon lui, cette position suffirait à démontrer qu’il n’est pas le chouchou, notant que le soutien qu’il reçoit tient à son jeune âge et à l’indispensable renouvellement au sein du PS plutôt qu’à son nom. L’intéressé poursuit: il a conquis « tout seul » une section (celle de Woluwe-Saint-Lambert) et rappelle qu’il a été élu alors qu’il figurait à la quatrième place et qu’il avait peu de chance de monter au conseil communal. « Faudrait-il, parce que je porte ce nom, que je sois plongeur en eaux profondes? »

Sa référence politique assumée, brandie est… Laurette Onkelinx. Laurette, qui se dit « béate d’admiration » devant Julien. C’est réciproque. Quand il parle d’elle, c’est avec affection et fascination: « Laurette est une femme de valeurs, courageuse, combattante, toujours droite comme un I. C’est un privilège d’avoir grandi à ses côtés! » Il voue une admiration à Yvan Mayeur, pour « sa force politique » et « sa liberté de parole », et apprécie énormément Rachid Madrane, « vrai homme de gauche et laïque jusqu’au bout des ongles ». Il cite volontiers feue Anne-Sophie Mouzon en exemple. Une députée bruxelloise arrivée, comme lui, par le chemin de la suppléance, qui fut une cheville ouvrière de la création de la Région bruxelloise, au côté de Philippe Moureaux. Sur ses convictions, il précise qu’il a d’abord été social-démocrate, qu’il défend une « vraie gauche qui résiste à l’austérité, à une droite arrogante et décomplexée et à un populisme de gauche », et qu’il est favorable à une laïcité à la française. Ses lectures du moment? Sans surprise, Thomas Piketty. Attendu aussi, son goût pour l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf. Ou ses « modèles inspirants » cités: le nouveau leader travailliste, Jeremy Corbyn, le socialiste américain Bernie Sanders et l’ex-député européen écologiste Daniel Cohn-Bendit.

Rachid Madrane et Yvan Mayeur, mentors de Julien.
Rachid Madrane et Yvan Mayeur, mentors de Julien.© BELGA

« Le népotisme flagrant au sein du PS »

D’aucuns le voient trop sûr de lui, trop sûr de sa valeur. « Lorsqu’on grandit dans une telle famille, on intègre les codes, qu’on soit élu ou non. Mais cela donne aussi de l’assurance, l’assurance d’être à la bonne place, dans son bon droit: c’est là que la confiance en soi prend racine et cela donne une force », analyse le psychanalyste Serge Hefez. Cela prédispose-t-il aussi à un fort sentiment de supériorité? Un épisode revient sur lui. Un dimanche de mars dernier, un millier d’adhérents socialistes se rend au Palais des congrès, à Liège. Ce jour-là, le PS entame l’opération « Chantier des idées », en invitant les affiliés à réfléchir à « un souffle nouveau » pour le parti. Elio Di Rupo demande aux élus de réserver la parole aux militants et de s’installer de part et d’autre de la salle pour leur laisser le premier rang. La consigne présidentielle est claire: pas de carrés VIP, ni de discours officiels. Il ne s’agit pas d’un meeting politique. Au cours de l’après-midi, une septantaine de militants donnent leur avis. Les élus ont écouté, suivant l’injonction dirupéenne. Sauf un: Julien Uyttendaele qui s’est levé et a rejoint l’estrade.

De leurs fauteuils, des militants s’en sont agacés. Quel toupet! Lui, un privilégié qui ose ainsi se mettre en avant! « Il a clairement fait preuve d’arrogance et manqué d’humilité », jure encore un député socialiste. Qui rapporte le « niveau de dégoût chez les jeunes militants » face aux « péchés de népotisme flagrant au sein du PS ». Des ténors du parti évoquent plutôt la fougue de la jeunesse, pour expliquer la démarche, et soulignent que d’autres élus se sont également exprimés à la tribune ce jour-là. « Moi, répond Julien Uyttendaele, d’un air étonné, j’ai trouvé que cette journée avait été un beau rendez-vous, au cours duquel, tout le monde a pu débattre sans contrôle. Dans mon discours, j’ai pointé l’absentéisme parlementaire, surtout en séance plénière. Car si notre travail se fait essentiellement en commission, c’est bien en séance plénière que l’on peut donner l’image d’un parlement actif. Ces propos m’ont peut-être fait apparaître comme un donneur de leçon. »

Jusqu’à présent, Julien Uyttendaele a vécu un parcours sans obstacles. Enfance heureuse, adolescence sans crise, scolarité sereine au lycée Emile Jacqmain, à Bruxelles, le droit à l’ULB, où son père est professeur. Et, tout de suite, député régional. Ceux qui le côtoient affirment qu’il n’est pas clivant, « en tout cas, moins que son père et sa belle-mère », résume Emmanuel De Bock, député FDF. Et au parlement bruxellois, ses collègues ne contestent pas ses compétences. Il aurait ainsi intégré les règles et la dynamique propres aux assemblées législatives. « Il n’a pas peur de prendre la parole. C’est un parlementaire très actif et très passionné », témoigne un autre élu. Les sujets qu’il privilégie sont l’emploi des jeunes – « victimes des gouvernements fédéraux », dixit l’intéressé – la mobilité et l’économie circulaire.

Marc et Laurette: l'avocat et la femme politique, béats d'admiration devant Julien.
Marc et Laurette: l’avocat et la femme politique, béats d’admiration devant Julien.© BELGA/Laurie Dieffembacq

Mais « dans son travail, on sent que le cabinet de Rudi Vervoort sert de carburant », épingle ce député, suggérant-là que Julien Uyttendael serait « dopé à mort » par l’équipe du ministre-président régional. « Evidemment que je demande des conseils à des experts de mon parti! C’est normal. D’ailleurs, je viens d’être récompensé pour mon bon travail en étant promu à la commission des Finances et des Affaires générales », réplique Julien Uyttendaele. Qui s’appuie aussi sur deux collaborateurs parlementaires, chacun engagé à mi-temps. L’un a 28 ans et « n’a pas sa carte au parti », l’autre est un quinqua résolument PS et professeur de philosophie à l’UCL. Sa jeunesse serait-elle un handicap? L’âge n’a jamais été une infirmité, jure-t-il. On ne l’a d’ailleurs jamais attaqué par-là. En tout état de cause, lui en fait un avantage: « On a besoin de jeunes comme moi, quelqu’un qui prend le métro, qui s’aère, qui va ressentir les difficultés quotidiennes de la société, qui fréquente d’autres jeunes… Que connaît donc un député qui siège depuis trente ans et qui se déplace avec un chauffeur? Eh ben, il ne sent plus grand-chose! »

Est-il mu par une irrésistible ambition? Où se voit-il dans dix ans? Il admet qu’il s’agit d’une interrogation légitime et concède qu’il se passionne pour la justice et la finance. Il confie même ressentir de la frustration depuis l’échelon régional, mais évite de répondre à la question, expliquant qu’il lui est difficile de se projeter dans un statut. Puis, il raconte cet événement: c’était en 2011, à la Chambre, au cours d’un débat houleux entre Flamands et francophones sur la scission de BHV. « J’y assistais depuis le balcon et là, le choc! Le désir était quasi physique. J’ai ressenti dans mes tripes le besoin de descendre dans l’arène. » Ce qu’un proche commente en définissant « Julien est génétiquement programmé pour la politique. Il ne se met aucune limite. »

Le voici donc depuis un an parmi les gladiateurs. Couvé par la garde rapprochée de l’impératrice Laurette.

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