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Joëlle Milquet démissionne

Le Vif

Joëlle Milquet, la ministre cdH de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles a annoncé sa démission, précisant qu’elle « remet son mandat entre les mains de son parti ». Elle annonce elle-même avoir été inculpée par le juge Lugentz pour prise illégale d’intérêt, en vertu de l’article 245 du code pénal.

L’affaire du cabinet Milquet en 10 dates

Octobre et novembre 2013. A six mois des élections fédérales, huit nouveaux collaborateurs sont engagés comme conseillers ou experts au cabinet de Joëlle Milquet, ministre CDH de l’Intérieur et de l’Egalité des Chances. Tous présentent un même profil bruxellois. Ils proviennent de Molenbeek, Saint-Josse, Anderlecht, Bruxelles-Ville… La plupart sont des élus communaux sur les listes du parti humaniste et sont d’origine marocaine, turque ou congolaise. Parmi eux, Loubna Azgoud, engagée à plein temps comme chef de cabinet adjoint, 23e sur la liste CDH de Bruxelles-Ville en 2012, ou Mustafa Özdemir, frère de la députée bruxelloise Mahinour, engagé pour un cinquième temps, élu au conseil communal de Saint-Josse en 2012 sur les bancs du CDH.

7 février 2014. Le Vif/L’Express publie un article dans lequel il s’étonne de ces engagements en pleine campagne électorale de la ministre qui se présente comme tête de liste à Bruxelles où elle vise un vote communautaire. Selon des sources bien informées, ces collaborateurs auraient été engagés uniquement pour préparer la campagne de Milquet et repérer des événements où elle doit apparaître dans leurs communes pour rencontrer un maximum d’électeurs potentiels. Joëlle Milquet se défend d’avoir recruté des cabinettards pour sa campagne. « Absurde ! », dit-elle, en ajoutant : « Moins de 25 % de mes collaborateurs ont la carte du CDH ». Une proportion qui est sensiblement différente pour les nouveaux engagés.

14 février 2014. Un second article du Vif/L’Express révèle des documents surprenants : les profils de fonction des huit collaborateurs pour la campagne électorale de Joëlle Milquet. Ces profils détaillent les tâches dévolues à chacun d’entre eux. La liste est parfois très longue, comme celle de Mariem Bouselmati, désignée « responsables de projet Permanences sociales » et « responsable agenda de Molenbeek ». Celle-ci se présente, par ailleurs, aux élections régionales, à la 32e place de la liste bruxelloise du CDH. Ces profils semblent aussi indiquer que les huit collaborateurs travaillent pour la campagne en lien les uns avec les autres. Sur ces documents, il est indiqué « à faire en dehors des heures de travail et les jours de congé »). Un rappel si ostensible qu’il en est curieux, tant les règles concernant les campagnes électorales sont strictes et connues depuis la loi de 1989. Cette fois, Joëlle Milquet ne répond plus au Vif et renvoie vers le CDH de Bruxelles qui, par mail, rappelle la mention explicite sur les profils, tout en précisant qu’on ne peut suspecter tous les candidats et militants qui ont un travail.

12 mars 2014. La députée Ecolo Zoé Genot interroge, au parlement fédéral, le Premier ministre Elio Di Rupo (PS) sur l’engagement des collaborateurs au sein du cabinet Milquet. Le chef du gouvernement répond simplement qu’une campagne ne peut être menée avec la collaboration de cabinets ministériels, mais que cela n’empêche pas un membre de cabinet de participer, en tant que citoyen, à une campagne, pourvu que ce soit en dehors des heures de travail. Fin janvier, la députée s’était déjà offusquée, au parlement, de la récupération électorale par Milquet, via le cabinet de l’Egalité des Chances, d’une soirée organisée au Concert Noble (à Bruxelles) pour célébrer les 50 ans d’immigration turque.

Mars 2014. Une information judiciaire est ouverte au parquet de Bruxelles, suite aux publications du Vif/L’Express. Mais le substitut en charge du dossier « cabinet Milquet » ne fera aucun devoir d’enquête.

27 juin 2014. La chaîne de télé VTM révèle l’ouverture d’une enquête par le parquet général, cette fois, où le dossier a été transmis, visiblement après les élections du 25 mai. Une porte-parole du parquet-général précise au Vif qu’à ce stade l’affaire est simplement « à l’étude ». Il est logique que le parquet général reprenne le dossier vu que les ministres bénéficient d’un privilège de juridiction. Joëlle Milquet n’est plus ministre de l’Intérieur, mais, après le scrutin, elle a hérité du portefeuille de l’Education à la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Fin janvier 2015. Près d’un an après la publication des articles du Vif, une instruction judiciaire est ouverte pour prise illégale d’intérêt auprès du conseiller Frédéric Lugentz, comme l’annoncera le journal La Dernière Heure en avril. L’enquête a désormais réellement démarré. Pour Lugentz, engager des investigations aussi longtemps après la révélation de l’affaire, ce n’est pas un cadeau. Mais le magistrat a la réputation d’être tenace et rigoureux. C’est lui qui, en 2009, avait mené la délicate instruction sur les enquêteurs du dossier KB-Lux et sur le juge Jean-Claude Leys.

16 juin 2016. Des perquisitions sont menées au cabinet de Joëlle Milquet et aux domiciles des collaborateurs suspectés d’avoir travaillé pour la campagne électorale pendant leurs heures de services. Les enquêteurs se rendent également au cabinet de Jan Jambon, qui a succédé à Milquet à l’Intérieur, ainsi qu’au siège du CDH. De nombreux documents, téléphones et du matériel informatique sont emportés.

16 février 2016. La ministre Milquet est longuement auditionnée par le conseiller Lugentz, depuis le début de la matinée jusque tard dans la nuit. Elle n’est pas inculpée. Mais visiblement l’interrogatoire aura été éprouvant, car la ministre annulera plusieurs rendez-vous et apparitions prévues les jours suivants. Le Vif/L’Express apprend, par ailleurs, que Frédéric Lugentz n’ira sans doute pas jusqu’au bout de son instruction, car il est nommé à la Cour de cassation. Il peut prêter serment à partir du mois d’avril.

11 avril 2016 : Joëlle Milquet démissionne et « remet son mandat entre les mains de son parti ». Elle annonce elle-même avoir été inculpée par le juge Lugentz pour prise illégale d’intérêt, en vertu de l’article 245 du code pénal. Une interprétation large et erronnée, selon elle.

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