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Jean-Maurice Dehousse : « Reynders et la FGTB détiennent les clés de la Wallonie »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Il se dit gaulliste, mais campe à la gauche du PS. Nationaliste wallon assumé, il ne croit pas à la fin de la Belgique. A 76 ans, Jean-Maurice Dehousse garde l’esprit alerte, et continue de sortir des flèches venimeuses de son carquois. Ses cibles ? Elio Di Rupo et Paul Magnette, parmi d’autres.

La disparition de la Belgique, cela vous semble probable, souhaitable ?

Je ne suis pas fataliste. Je ne vois pas pourquoi la Belgique serait condamnée à disparaître. De nombreux Flamands ne le souhaitent pas. Notre ancienne Principauté de Liège était bilingue, avec des bonnes villes flamandes, et Dieu merci, nous en gardons des restes. Le Standard a toujours été plein de joueurs limbourgeois, des milliers de supporters flamands viennent à Sclessin. Mon pays, c’est la Wallonie. Mais bien entendu, on peut être à la fois belge et wallon. J’ai été bourgmestre, je n’ai pas brûlé l’écharpe tricolore.

Mai 2014, ce n’est pas l’élection de tous les dangers ?

Les déclarations de Siegfried Bracke, affirmant que la N-VA est prête à intégrer un gouvernement fédéral donnant la priorité au socio-économique, font partie d’un scénario bien établi. Et dans ce scénario, l’homme-clé, c’est Didier Reynders. Quelle est la vision de Reynders ? La droite décomplexée. Sarkozy plutôt que Chirac. Dès ses débuts en politique, il se rend compte qu’il se heurte sans arrêt à la prépondérance des socialistes en Wallonie. Il poursuit dès lors un objectif : les mettre dans l’opposition. Il en entrevoit la possibilité en 2007, mais la manoeuvre échoue, et le PS se maintient au pouvoir. Comme il est intelligent, Reynders sait qu’il doit trouver un allié en Flandre. Très vite, il comprend qu’il doit s’arranger avec Bart De Wever, d’où la rencontre au restaurant Bruneau, en 2010. Le communautaire l’importe peu, mais il veut avancer sur l’économique. Le modèle, c’est Sarkozy ! Un gouvernement qui baisse les impôts, qui démolit la sécurité sociale, qui liquide les services publics… Il y a beaucoup d’inconnues dans le résultat de 2014, mais le résultat politique est déjà connu. Il a été signé à Anvers, après les élections communales, où une alliance de la droite décomplexée – N-VA, CD&V et Open VLD – a pris le pouvoir. Cette alliance-là, quoi qu’il arrive, elle restera majoritaire en Flandre en 2014, et elle aura au niveau fédéral le même souci qu’à Anvers : mettre les socialistes dehors. Reynders, dans cette stratégie, est le partenaire rêvé. Il est là, qu’il gagne ou qu’il perde. Bracke ne fait que lui donner le signal que le message est bien passé et que la N-VA est prête.

En somme, le maître du jeu se nomme Didier Reynders ?

Il y a Reynders, mais il y a aussi la FGTB. Ce sont les deux acteurs qui peuvent faire basculer la situation dans un sens ou un autre. Elio Di Rupo peut entraîner un mouvement, mais si la FGTB bascule, beaucoup de choses vont basculer. Moi, je tiens pour acquis que le PTB décrochera un élu à la Chambre. Mais le succès du PTB sera petit, moyen ou grand en fonction notamment de ce que fera la FGTB. Pour le moment, j’ai l’impression que la FGTB oscille plus à Charleroi qu’à Liège… L’Histoire nous montre une chose : la clé politique de la Wallonie se trouve à la FGTB. Le PS s’est senti réellement menacé une seule fois, au moment de la création du Mouvement populaire wallon, conçu en grande partie par des syndicalistes socialistes, André Renard en tête. Le PS a eu peur, parce que là, la FGTB bougeait. Cools m’a appris qu’en politique, c’est toujours l’inattendu qui gagne. Je ne peux donc pas prédire l’avenir. Mais ce que je sais, c’est que quand la FGTB a bougé, alors la carte politique a bougé.

De toutes les personnalités du PS, vous êtes sans doute celui qui a prononcé les critiques les plus dures à l’égard d’Elio Di Rupo. Que lui reprochez-vous ?

Prenez le PS quand il est arrivé, prenez le PS maintenant, ou ce qu’il en reste, c’est éloquent. Il ne reste plus grand-chose.

Le bilan du PS au gouvernement vous semble à ce point désastreux ?

Mais non ! L’acquis fondamental d’Elio, c’est d’avoir préservé l’indexation des salaires. Objectivement, si on a maintenu ce mécanisme malgré les cris de la Commission européenne, c’est grâce à lui. Pour le reste, moi, je suis Liégeois avant tout. Je suis resté extrêmement fidèle à la fédération liégeoise. Le reste du Parti socialiste ? Je n’ai plus l’impression qu’il existe beaucoup et ce qui existe n’est plus socialiste.

Paul Magnette, c’est la personne idéale pour emmener le PS aux prochaines élections ?

Il a été élu bourgmestre, il a promis de redresser Charleroi. Je sais ce qu’est une grande ville, quand vous devez la tenir, vous avez besoin de tout votre temps. La dernière fois qu’on a dû former un gouvernement, ça a pris 500 jours. Si seulement ça dure 150 jours en 2014, bonne chance pour être bourgmestre tout en participant aux négociations ! Non, la présidence du parti, c’est full time.

L’intégralité de l’interview dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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