© Capture d'écran

ISPPC : Fraude sociale chez les mandataires ?

Cédric Vallet

Depuis près de 10 ans, le président et les vice-présidents de l’ISPPC touchent, en plus de leur rémunération, une indemnité mensuelle. Ces « frais forfaitaires » sont censés couvrir, notamment, leurs dépenses de déplacement, leurs frais de restauration. Le président perçoit près de 11 000 euros par an. Des voix dénoncent une « fraude sociale » pour contourner le plafond des rémunérations. Trois vice-présidents ont demandé en février de ne plus recevoir cet « extra ».

Ça tangue à l’ISPPC. Philippe Lejeune, le directeur des hôpitaux de l’intercommunale de santé publique en pays de Charleroi a été démis de ses fonctions. Un manager de crise a été envoyé par le gouvernement Wallon. Entre les doubles jetons de présence indûment perçus par les administrateurs, les allégations d’abus de bien sociaux, de non-respect de la loi sur les marchés publics, voire de corruption, l’ambiance est légèrement tendue dans le Hainaut.

Jusqu’à présent, le président et les vice-présidents de l’ISPPC sont à peu près passés entre les gouttes. Pas sûr qu’ils restent à l’abri très longtemps. Des sources très proches de l’institution dénoncent des pratiques de « fraude sociale ». En cause : les « frais forfaitaires » que ces mandataires perçoivent depuis des années.

« Des sommes fixées sans base réelle »

Chaque mois, le président et les vice-présidents de l’ISPPC reçoivent une indemnité liée à l’exercice de leur fonction. L’objectif principal de ce forfait est de « rembourser » les frais que les mandataires engagent au nom de l’intercommunale. On parle principalement de frais de déplacement, de frais de bouche ou de représentation. Cette indemnité s’élève à 557 euros par mois pour les vice-présidents et à environ 950 euros pour le président ; donc près de 11.000 euros par an.

Une somme qui s’ajoute à la rémunération brute de ces mandataires. Les vice-présidents sont payés 19 417,75 euros bruts par an. La rémunération du président de l’ISPPC, Nicolas Tzanetatos (MR), s’élève à 34 769,76 euros bruts.

Avec ça, le président de l’intercommunale frôle le plafond de rémunération autorisé par le code Wallon de la démocratie locale : 35 150,7 euros sur base annuelle. Quant aux vice-présidents, leur rémunération est plus éloignée de ces mêmes plafonds qui autorisent des paiements à hauteur de 75% de ceux du président, soit 26 363 euros bruts par an. Ces plafonds incluent la rémunération et les avantages en nature reçus par ces mandataires. Ils n’incluent donc pas ces frais forfaitaires qui ne sont pas considérés comme une rémunération ni comme des avantages en nature… et échappent donc aux radars.

Nicolas Tzanetatos touche donc chaque année un peu moins de 47 000 euros de l’ISPPC.

Le niveau des frais forfaitaires est conséquent – près du tiers de la rémunération officielle du président – et pose des questions en interne. Une source de l’ISPPC dénonce : « Pour toucher ce type de frais, il faut que cela corresponde à un besoin réel. A un nombre de kilomètres parcourus par exemple. Là, on parle de déplacements de Charleroi à Charleroi, des distances de 5 kilomètres. On parle de près de 1000 euros par mois pour le président, c’est très élevé et difficile à justifier. Ces sommes ont été fixées sans base réelle et ont servi à contourner le plafond des rémunérations. C’est une rémunération déguisée . »

Rappelons que ces rémunérations des mandataires s’ajoutent à celles perçues dans le cadre de leurs autres mandats. Des mandats qui, parfois, incluent déjà des remboursements de frais de déplacement. « C’est pourquoi je paye des impôts sur ces frais forfaitaires, affirme Nicolas Tzanetatos, président de l’ISPPC, alors que ceux-ci sont normalement non-imposables. Car je perçois par ailleurs une indemnité de déplacement. » En effet, Nicolas Tzanetatos exerce le mandat de député Wallon (auquel s’ajoute le titre de conseiller communal) ; idem pour Véronique Salvi, CDH, elle aussi députée ou Anthony Dufrane (PS), vice-président de l’ISPPC et député. Tous trois déclarent leurs frais forfaitaires.

Les trois autres vice-présidents de l’intercommunale ne sont pas députés, mais exercent des mandats divers. Daniel Vanderlick est bourgmestre PS de Châtelet. Bernard Van Dyck est conseiller communal à Charleroi et commissaire aux comptes à Brutélé. Quant à Thomas Salden (MR), il est, entre autres choses, secrétaire général adjoint du MR et conseiller du CPAS.

Un souci éthique

Le président et les vice-présidents ne s’occupent pas de la gestion journalière de l’institution. Ils participent aux assemblées générales, aux conseils d’administration, aux comités de rémunération et aux comités de secteur (qui ont généralement lieu le même jour que les CA). Mais leur responsabilité peut inclure des rencontres avec des partenaires de l’ISPPC, des contacts avec la presse, des visites de terrain.

L’enjeu est celui de la concordance des frais forfaitaires avec l’activité réelle des mandataires. Le forfait touché par le président et ses vice-présidents doit être « plausible ». En droit fiscal, le lien entre les sommes reçues et les dépenses doit être démontré. Sans cela, on peut parler de fraude.

Un avocat spécialisé en droit administratif s’étonne : « C’est assez rare de voir de remboursements de frais sur base forfaitaire dans une intercommunale. Quand on ne sait pas vérifier s’il y a des frais réels attachés à la fonction, alors cela ressemble plus à de la rémunération. Surtout quand on voit qu’ils participent à une poignée de réunions par an et à quelques déplacements. »

Le principe même des remboursements de frais sous forme forfaitaire n’est pas illégal en soi. C’est ce que rappelle la direction du contrôle des mandats locaux de la région Wallonne : « L’octroi d’un remboursement de frais exposés dans l’exercice de sa fonction qu’il s’agisse de frais réels ou forfaitaires ne sont pas illégaux et ne constituent pas – par nature – une rémunération puisqu’il s’agit de compenser une dépense engagée pour l’exercice d’une fonction. Ces frais n’entrent donc pas dans le calcul du plafond de rémunération. »

Par contre, si ce remboursement ne correspond pas à des frais réels, l’administration fiscale peut « requalifier ce montant en avantage en nature fiscalisé ». Auquel cas on le compterait comme de la rémunération et alors le plafond autorisé serait allègrement dépassé.

Reste à savoir si 6 600 euros et près de 11 000 euros par an correspondent aux besoins réels de mandataires d’une intercommunale comme celle de Charleroi. Les dirigeants de l’ISPPC sont eux-mêmes divisés sur la question. En février, les trois vice-présidents socialistes ont demandé à ne plus recevoir ces sommes. L’un évoque un souci « éthique » ; L’autre une forme de « solidarité » avec les administrateurs qui se sont engagés à rembourser leurs fameux double-jetons. Nicolas Tzanetatos, lui, estime être droit dans ses bottes : « Ces frais sont totalement légaux. Je les déclare chaque année et la tutelle en a accepté le principe. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire