Claude Demelenne

Interdire la prostitution : le mauvais combat d’une gauche démago

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Une partie de la gauche rejoint la droite puritaine pour prôner l’interdiction de la prostitution. Une position démagogique. Et anti-sociale. Elle ignore les travailleur-se-s du sexe, en lutte pour des droits et un statut.

Longtemps, la plupart des progressistes et des féministes ont défendu le droit pour les femmes de disposer de leur corps, en ce compris dans le cadre de relations sexuelles tarifées entre adultes consentants. Aujourd’hui, l’air du temps a changé. Nombre de progressistes adoptent une ligne répressive. Ils veulent criminaliser les clients des travailleur-se-s du sexe (TDS). En pénalisant leurs clients, ils asphyxient économiquement les TDS, dont les revenus fondent comme neige au soleil. Cruel paradoxe : une certaine gauche, qui défend soi-disant la veuve et l’orphelin, tourne le dos à des travailleurs souvent parmi les plus précaires. Sa ligne est non seulement répressive, mais aussi anti-sociale.

Attitude « à la Francken »

A Bruxelles, le bourgmestre socialiste, Philippe Close, chasse les TDS du quartier Alhambra, sans leur proposer une alternative. Ce militant abolitionniste ne cache pas son objectif : il veut « éradiquer » la prostitution. Son collègue Emir Kir, bourgmestre socialiste de Saint-Josse, a planifié la fermeture, dans six mois, de la majorité des vitrines à néons rouges sur le territoire de sa commune. Une expulsion qui va jeter à la rue 150 TDS. Ici aussi, aucune alternative ne leur est proposée. Porte-parole des TDS, le Collectif UTSOPI – Union des Travailleur-se-s du Sexe Organisés pour l’Indépendance – dénonce une attitude impitoyable, « à la Francken ». La semaine dernière, les Femmes Prévoyantes Socialistes de Liège et de Charleroi ont cosigné dans les colonnes du « Soir » un appel pour l’abolition de la prostitution. Une certaine gauche s’est trouvé un nouvel étendard. Elle plonge dans un nouveau populisme, réactionnaire, comme tous les populismes.

Les partisans, à gauche, d’une interdiction de la prostitution, se drapent dans les grands sentiments. Ils prétendent incarner le Bien (le sauvetage des « pauvres prostituées ») contre le Mal (les relations sexuelles tarifées). Dans leur monde manichéen, toutes les femmes proposant des services sexuels sont des victimes (curieusement, ils ne parlent jamais des hommes qui se prostituent), tous leurs clients sont des salauds. Selon eux, 80% au moins des TDS sont victimes de la traite des êtres humains, des chiffres fantaisistes, contredits par toutes les études neutres. Sans craindre le simplisme, les abolitionnistes refusent de faire la distinction – pourtant élémentaire – entre prostituées contraintes et prostituées libres.

Les progressistes campant dans le camp du Bien sont convaincus d’incarner la gauche avant-gardiste, celle qui se bat contre le pire des esclavages, la prostitution, quelle que soit sa forme. Leur position est, en fait, d’une parfaite démagogie. La gauche « abolo » confisque la parole des prostituées. Elle parle toujours à leur place et délégitimise celles qui ont le courage de s’exprimer. Elle leur refuse le statut de travailleurs , sous prétexte qu’elles seraient des esclaves, des sous-femmes, donc incapables de penser et de s’exprimer de façon raisonnable.

Populisme anti-putes

La gauche « abolo » est de mauvaise foi. Elle n’ignore pas que dans les pays (Suède, France…) où les clients sont pénalisés, les TDS n’ont d’autre choix que de travailler dans la clandestinité, avec les risques, notamment sanitaires, que celle-ci comporte. La gauche « abolo » sait cela, mais fait semblant de l’ignorer. Au fond, ce qu’elle recherche, c’est rendre invisible la prostitution, qui heurte ses bons sentiments, et dans le chef de certains bourgmestres, contrecarre de très rentables projets immobiliers.

Le populisme anti-putes prospère dans une partie de la gauche. Incapable d’éradiquer la pauvreté, celle-ci cherche des combats de substitution. Eradiquer la prostitution sera une plume à son chapeau. Et tant pis si les victimes sont les TDS, nié-e-s, pourchassé-e-s, nouveaux prolétaires, sans voix ni droits.

A la veille des élections, les bourgmestres socialistes de Bruxelles et Saint-Josse entendent laver plus blanc que blanc. Ils « assainissent » les quartiers historiques de prostitution, sans égard pour les TDS qui y travaillent. « Pas de ça chez nous ! », martèle Théo Francken à propos des migraants. « Pas de ça chez nous », répondent en écho nos bourgmestres socialistes, à propos des travailleurs du sexe qu’ils veulent faire disparaître du paysage.

Traquer la traite, écouter les prostitué(e)s

La traite des êtres humains est un fléau. C’est elle – et bien sûr les proxénètes – qu’il faut combattre radicalement, pas les TDS qui exercent librement leur activité. Les idéologues abolitionnistes mettent tout le monde dans le même sac. C’est le propre de tous les populismes d’agiter des slogans simplistes. Et d’attiser les peurs. Chaque prostitué(e) négociant le prix d’une « passe » avec un client serait victime de violences, et celles qui affirment le contraire seraient des victimes qui s’ignorent. Hier, une certaine gauche voulait « en finir avec le capitalisme ». Aujourd’hui, elle veut « en finir avec les relations sexuelles tarifées ». Autre époque, autre d’ambition.

Une approche vraiment progressiste de la prostitution suppose notamment de donner un statut social d’indépendant aux TDS qui le réclament. Leur accorder, également, le droit de s’associer dans des coopératives de prostitué(e)s, scénario impossible aujourd’hui, celles qui sous-loueraient un appartement avec une collègue, risquant de tomber pour proxénétisme. Dans les grandes villes, l’ouverture d’un Eros Center sécurisé est une partie de la solution, couplée à la délimitation d’une ou deux « zones P ». Dans ces « zones P », situées dans quelques rues où se trouvent les hôtels de passe, la prostitution serait autorisée. Ce qui permettrait par exemple à des TDS occasionnels, ne souhaitant pas louer à la semaine ou au mois, une vitrine dans l’Eros Center, de travailler dans des conditions décentes.

Surtout, il est urgent de donner la parole aux TDS. La gauche se doit d’être du côté des travailleurs. Au nom de quelle morale les travailleur-se-s du sexe seraient-ils/elles moins défendables – et respectables – que les travailleurs de la chimie et de la métallurgie ? Le meilleur moyen de défendre les TDS, ce n’est pas de les chasser de nos villes, c’est de leur offrir de bonnes conditions de travail. Camarades de gauche, ne vous trompez pas de combat : les travailleurs du sexe sont des Camarades comme les autres.

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