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Il y a 50 ans, un incendie détruisait l’Innovation faisant des centaines de morts

Il y a 50 ans, le lundi 22 mai 1967, un incendie ravageait le grand magasin « À l’Innovation » situé rue Neuve en plein coeur de Bruxelles. La catastrophe a fait, selon les sources, 251 morts et 62 blessés. Un demi-siècle après les faits, les causes de ce drame n’ont jamais vraiment été élucidées. Retour sur ces tragiques événements qui furent à l’origine des premières mesures de sécurité anti-incendie dans les lieux publics.

Il était 13h20 environ en ce lundi 22 mai 1967 quand une vendeuse du rayon enfant donna l’alerte après avoir remarqué une odeur de brûlé provenant d’une réserve. L’alarme retentit à 13h27 mais fut confondue par nombre de personnes avec le signal marquant la fin de la pause déjeuner pour le personnel. A 13h34, les pompiers sont prévenus et les premiers véhicules de secours se précipitent vers les lieux de l’incendie.

Très vite cependant, les flammes, la chaleur et les fumées toxiques se propagent à tout le premier étage, atteignent le restaurant situé au 3e, où près de 200 personnes étaient attablées pour leur pause de midi puis gagnent l’ensemble du bâtiment, piégeant des dizaines de personnes qui meurent asphyxiées. D’autres se précipitèrent vers les trop rares sorties de secours, les fenêtres grillagées ou les toits du bâtiment d’où beaucoup sautèrent dans le vide pour échapper aux flammes avant de s’écraser plusieurs mètres en contrebas.

Les flammes atteignirent rapidement la coupole du magasin dessiné par l’architecte Victor Horta en 1901. L’explosion de la verrière provoqua un appel d’air et un embrasement généralisé de la structure.

L’incendie, désormais incontrôlable, menaça de s’étendre à toute la zone, les pompiers éprouvant les pires difficultés à manoeuvrer leurs véhicules dans les rues étroites de ce quartier bruxellois. Plusieurs magasins voisins de l’Innovation furent en effet touchés à leur tour par les flammes après l’explosion des cuves de mazout de la célèbre enseigne bruxelloise.

Les pompiers de Bruxelles luttèrent, jusqu’à la tombée de la nuit avant de pouvoir maîtriser le sinistre. Le roi Baudouin et le Premier ministre de l’époque, Paul Vanden Boeynants, se rendirent en début de soirée sur les lieux de la catastrophe. Dans le pays, l’émotion est vive et un deuil national est décrété.

Les travaux de déblaiement et d’identification des victimes de la tragédie débutèrent dès le lendemain dans les décombres encore fumants de l’Innovation. Le 30 mai, les funérailles des victimes sont célébrées par le cardinal Suenens à la basilique de Koekelberg en présence du couple royal et des plus hautes autorités du pays avant leur inhumation au cimetière de Bruxelles.

Un demi-siècle après le drame, on s’interroge encore sur l’origine précise de la catastrophe qui causa des dégâts chiffrés à plus d’un milliard.

Les jours suivant la catastrophe, des journaux avancèrent l’hypothèse d’un acte criminel. Il est exact qu’à l’époque, une « semaine américaine » était organisée par le grand magasin qui avait reçu des lettres de menaces. Par ailleurs, quelques jours avant le drame, des jeunes opposés à la guerre du Vietnam avaient manifesté dans le quartier. Le parquet opéra des perquisitions dans des milieux de gauche et si l’hypothèse d’un acte criminel ne fut jamais prouvée, elle subsista longtemps dans la mémoire collective des Bruxellois parmi lesquels se créa une véritable « psychose de l’attentat ».

Il n’y eut cependant ni poursuites ni procès malgré les graves carences constatées en matière de sécurité et l’enquête se termina par un non-lieu en 1970. Les victimes seront indemnisées à l’amiable par les compagnies d’assurance et l’Innovation rouvrit ses portes trois ans après le drame, qui reste en Belgique l’un des événements les plus meurtriers de l’après-guerre.

Le seul pompier à avoir pu pénétrer dans l’Inno en feu se souvient

Jean Van Lard, un ancien sapeur-pompier qui travaillait au poste avancé de la rue de la Presse à Bruxelles, affirme avoir été le seul soldat du feu à avoir pu pénétrer à l’intérieur du bâtiment de l’Innovation pris par les flammes, le 22 mai 1967, réussissant à sauver entre 10 et 15 personnes de la catastrophe.

Le 22 mai 1967, Jean Van Lard et ses collègues sont arrivés sur les lieux de l’incendie vers 14h00, soit à peu près une demi-heure après le déclenchement de l’alerte incendie. « Le lieutenant Mulkey nous a alors donné l’ordre de mettre une échelle sur la marquise de l’Innovation pour voir s’il était possible de rentrer à l’intérieur du bâtiment. J’ai réussi à y pénétrer, accompagné par un de mes collègues, mais vu la gravité de la situation, je lui ai rapidement demandé d’aller chercher du renfort », raconte-t-il à l’agence Belga.

Le feu, qui se propageait à toute vitesse, a rapidement rendu impossible l’accès dans le magasin aux services de secours. Jean Van Lard, alors âgé de 22 ans, s’est donc retrouvé seul à devoir gérer une situation de crise qui le marquera à jamais. Son récit évoque de nombreuses personnes étant la proie des flammes, d’autres se jetant dans le vide en criant leur douleur. Certaines personnes, indemnes, se trouvaient prises au piège, encerclées par d’énormes fumées noires. Beaucoup parmi elles descendaient du restaurant, situé au 3e étage, cherchant désespérément à échapper aux flammes.

« Alors, quand les gens m’ont vu arriver, ils étaient soulagés. Ils croyaient qu’il y avait toute une armada qui me suivait pour les aider mais il n’y avait que moi et les flammes surgissaient de toutes parts. Avec l’aide de deux employés qui connaissaient bien le bâtiment, on s’est dirigés vers la façade donnant sur la rue Neuve, la seule qui n’était pas en feu. En me servant d’une hache de pompier, j’ai défoncé une fenêtre qui était emmurée avec des panneaux en métal et enfin, on a pu commencer à faire descendre les personnes encore valides ».

Jean Van Lard estime avoir sauvé entre 10 et 15 personnes ce jour-là. « On n’oublie pas des scènes comme celles de la tragédie de l’innovation », déclare-t-il. « A l’époque, j’étais jeune, fougueux et un peu casse-cou. J’ai vu des gens dans le besoin et je suis intervenu. Mais le contrecoup est arrivé plus tard. Je me suis remémoré le fil de ce que j’avais vu et vécu et mes nerfs ont lâché. J’ai fait une dépression », confie-t-il.

L’ancien sapeur-pompier a été décoré à plusieurs reprises pour son dévouement et le courage dont il a fait preuve le jour du drame.

Au total, entre 150 et 200 pompiers sont intervenus le 22 mai 1967 sur les lieux du sinistre.

Commémorations

Une cérémonie d’hommage aux victimes du tragique incendie se tient ce lundi au cimetière de Bruxelles à Evere, où reposent la plupart des victimes de la catastrophe.

Un hommage solennel aux victimes est prévu à 11h00 au mémorial du cimetière d’Evere en présence des représentants politiques, zones de pompiers et acteurs du monde de la prévention. Les gouverneurs des provinces, les SPF Intérieur et Économie, l’Union des villes, les assureurs ainsi que les membres du personnel de l’Innovation et les familles des victimes assisteront également à la cérémonie.

« Cinquante ans plus tard, le souvenir de cette catastrophe reste toujours aussi vif chez les victimes et leurs proches. Aujourd’hui encore, toutes les pensées de Galeria Inno vont aux membres du personnel touchés par la tragédie », indique un communiqué de l’Inno publié en marge des commémorations. À l’époque, le personnel du magasin comptait 1.200 personnes. Soixante-sept d’entre elles trouveront la mort dans l’incendie.

La cérémonie au cimetière d’Evere sera suivie par une série de discours commémoratifs au Docks Dôme de Bruxelles. Cécile Jodogne, en sa qualité de secrétaire d’Etat en charge de la Lutte contre l’incendie et l’Aide médicale urgente (Siamu), y prendra la parole. S’exprimeront également l’historien et auteur du livre « L’incendie de l’Innovation », Siegfried Evens, ainsi que le directeur général de l’Association nationale Prévention Incendie (ANPI).

Dans l’après-midi, se tiendra également un séminaire sur l’évolution des technologies. De quoi rappeler que le cinquantième anniversaire de l’incendie de l’Innovation coïncide également avec l’élaboration de nouvelles normes de protection incendie, l’unification des pompiers bruxellois et la création de l’Association nationale Prévention incendie (ANPI), rassemblant tous les acteurs du secteur.

« L’objectif de cette journée commémorative n’est pas seulement de parler du drame de l’Innovation mais aussi ce qui a mené à 50 ans d’évolution des technologies en incendies », explique-t-on à l’ANPI, qui s’est chargée de l’organisation de la cérémonie.

Révolution

L’incendie de l’Innovation a conduit au remodelage de l’organisation du service d’incendie et de la prévention incendie en Belgique. Dans les mois et les années qui ont suivi la catastrophe, plusieurs mesures de sécurité anti-incendie ont été mises en place dans les lieux publics et les différents corps de pompiers bruxellois ont été unifiés. Ce drame a également mené à la création de l’ANPI, l’Association nationale Prévention Incendie, qui regroupe tous les acteurs du secteur.

Le 22 mai 1967, plusieurs services de secours ont été appelés rue Neuve afin de lutter contre le feu qui s’était déclaré dans le magasin Innovation: outre le service d’incendie, la Croix-Rouge, la protection civile, l’armée, la police et la gendarmerie étaient présentes afin de prêter main forte. Mais, d’après les informations récoltées par l’historien Siegfried Evens, auteur du livre « L’incendie de l’Innovation », il n’y avait pas de commandement central et la coopération entre ces services n’était pas bonne.

« À Bruxelles, il y avait cinq corps différents (Bruxelles, Schaerbeek, Molenbeek, Anderlecht et Ixelles), chacun avec son propre chef des pompiers, sa propre méthode de travail, sa culture et, non négligeable, sa fierté. Le matériel variait par ailleurs fortement. Les raccords des tuyaux d’incendie en sont l’exemple le plus emblématique. Chaque service d’incendie avait en effet son propre type d’adaptateur non compatible avec les raccords des autres corps », épingle notamment M. Evens.

Interpellées par ces dysfonctionnements, la population et la presse demandent alors aux politiques de prendre des mesures en matière de sécurité et de prévention incendie.

Le 8 novembre 1967, le service d’incendie est réorganisé. Certains corps de communes importantes deviennent responsables des services d’incendie d’autres communes plus petites. Les corps d’incendie dans les grandes villes sont par ailleurs tenus de travailler avec des pompiers professionnels, et non pas avec des volontaires.

Le 24 mai 1968, la Commission interministérielle pour la prévention des incendies est créée afin de conseiller les différents ministères concernés et de coordonner la prévention au niveau national.

Le 26 juillet 1971, les corps de pompiers à Bruxelles fusionnent, lors de la création de l’agglomération bruxelloise. Celle-ci est devenue responsable du service incendie et toutes les communes bruxelloises ont été rassemblées dans un seul corps, surnommé l' »agglo ». Cette dernière a également mis fin aux problèmes de matériel et de différents raccords pour les tuyaux d’incendie.

En 1972, la Croix-Rouge est officiellement reconnue comme un organisme d’aide humanitaire.

Par ailleurs, en matière de prévention incendie, la catastrophe de l’Innovation a mené à l’adaptation de l’article 52 du Règlement général pour la protection du travail. Le nouvel article a été publié le 10 mai 1968. Il intègre dans sa réglementation de nombreux problèmes rencontrés lors de l’incendie à l’Innovation. « Chaque page renvoie explicitement aux grandes surfaces. Les murs, les escaliers et les plafonds doivent être coupe-feu, tout comme les portes séparant les entrepôts des espaces de vente dans les magasins. Les contrôles de sécurité des sorties de secours, réseaux électriques, etc. ont été clarifiés et rendus plus transparents. Il a été décidé qu’ils devaient se faire au niveau local et doivent être suivis de près par le service incendie et le bourgmestre », explique Siegfried Evens.

Enfin, pour miser davantage sur la prévention, les compagnies d’assurance ont accueilli la NVBB (Association Nationale pour la protection contre l’incendie et le vol, aujourd’hui ANPI). Avant 1967, cette association s’occupait de la prévention d’incendie, mais en 1967, les compagnies ont décidé de financer l’association. Ce financement permettait à l’ANPI d’informer, de former, de réaliser des visites de prévention et de faire des recherches pour des solutions de sécurité incendie.

Grâce à l’adoption de ces différentes mesures, la Belgique est devenue au début des années 70 un des pays avec la meilleure réglementation anti-incendie en Europe.

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