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Hippisme : Wallonie, berceau des futurs cracks

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

La terre wallonne est terre d’élevage de chevaux. De bons chevaux. Si bons, qu’on se les arrache, du Qatar aux Etats-Unis. Dès lors, les infrastructures dédiées au cheval de luxe se développent. Et la Région en a fait un véritable pôle économique.

Bai clair, chaussé de balzanes d’un blanc pur, crinière de geai, tache de neige sur le chanfrein, Utamaro d’Ecaussinnes n’est pas très grand (1m65), à l’instar de sa mère, Arizona van Arenberg, petite alezane aujourd’hui à la retraite sportive. Son père, Diamant de Semilly, était une valeur sûre : vainqueur de nombreuses compétitions, dont le championnat du monde par équipes en 2002, Diamant a donné des milliers de descendants. De « produits », dans le jargon. Mais le studbook, le registre généalogique des chevaux, ne fait pas tout. Le hasard, ou le tempérament, permet le reste. « Utamaro, une fois qu’il entre en piste, il prend dix centimètres », assène ainsi Ludwig Criel, son propriétaire. Sous la selle du Britannique Joe Clee, l’étalon de 12 ans fait merveille, se classant, en 2015, 35e au ranking mondial des meilleurs chevaux d’obstacle et se voyant couronné meilleur cheval britannique en Coupe des nations. Son éleveur a tout de suite compris qu’Utamaro n’était pas comme les autres. Force, énergie, caractère, le petit dur l’a démontré immédiatement en se comportant comme un chef : « Pour aller au pré ou pour manger, il n’a jamais été deuxième », raconte Christophe Ameeuw, éleveur et négociant en chevaux de sport. C’est chez lui, aux Ecuries d’Ecaussinnes, qu’Utamaro est né en 2004. Une propriété de 25 hectares, des vertes prairies, des pistes de sable, des solariums, des tapis roulant et immergés : l’un des haras les plus en vue, où naissent des futurs champions et s’entraînent des vedettes internationales.

Le sud du pays abrite d’autres Eton College d’équidés bien nés. A Aywaille, en région liégeoise, se cache ainsi l’établissement hypercoté Ecuries François Mathy, du nom du cavalier double médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Montréal (1976) et deux fois champion de Belgique. Sapphire, fille du fameux Darco, médaille d’or par équipes aux JO d’Athènes (2004) et de Pékin (2008), y est née. « En Wallonie, le cheval est roi depuis toujours. C’est même une terre d’élevage où l’on produit des cracks dans toutes les catégories », explique Eugène Mathy, frère de François et président de la Ligue équestre Wallonie-Bruxelles et du Jumping de Liège. Baloubet du Rouet, triple vainqueur de la Coupe du monde de saut d’obstacles (1998, 1999 et 2000) ; Silvana, médaille d’argent aux Jeux équestres mondiaux (la plus prestigieuse des compétitions) en 2010 ; Rêveur de Hurtebise, triple vainqueur de la Coupe des nations en 2012 et 2014… Chacun a foulé le sol wallon.

Un sol ferrugineux, ce qui favorise la croissance des poulains, et plutôt souple, ce qui est excellent pour le pied du cheval. Constant toute l’année, le climat océanique tempéré fait naître une herbe riche en éléments nutritifs et une flore multiple et équilibrée, propice aux chevaux. En Europe de l’Ouest, seuls les Pays-Bas, le nord de la France (jusqu’à la Loire) et une partie de l’Allemagne peuvent rivaliser.

Une terre de prestige

Comme le terroir fait les grands vins, la terre wallonne fait donc les bons chevaux. De sport, de dressage, d’endurance, de loisir… Ce qui attire de riches acheteurs étrangers, venus des Etats-Unis, du Japon, de Suisse, d’Allemagne ou du Qatar.

La Wallonie « produit » surtout, à partir de 1930 – et la fin de l’élevage de chevaux de guerre et l’arrivée de la motorisation des transports – du « demi-sang belge ». Cette race fournit des chevaux de selle plus légers, plus rapides, plus élégants. Avec la Seconde Guerre mondiale, elle se réoriente vers l’attelage. Mais le nombre et la qualité du cheval de demi-sang belge s’appauvrit : il ne reste que très peu de juments et quelques étalons trotteurs. L’engouement pour les sports équestres pousse alors les éleveurs à rehausser le niveau de leur écurie ou à en créer, en important des juments et des étalons français, anglais ou allemands. Les croisements successifs accouchent d’une monture sportive de haute volée. « Cette ouverture a assuré le développement et la promotion de notre élevage », résume Eugène Mathy

« Notre production est pourtant dix fois inférieure aux élevages hollandais, français ou allemands », note Catherine Aerts, chargée de la communication au SBS, le studbook du cheval de sport belge, l’un des trois registres généalogiques que compte la Belgique. Mais la réputation n’est pas tant question de taille que de qualité du cheptel. Dans la hiérarchie des studbooks de chevaux de sport, le SBS demeure depuis dix ans dans le top 10 mondial (et deux ans d’affilée à la troisième place) ; son homologue flamand, le BWP, occupe la seconde. Palmarès récents : deuxième place au classement mondial des meilleurs chevaux, avec la jument Azur Garden’s, montée par l’Américain McLain Ward. « La moitié des équipes américaines engagées aux Jeux de Rio viennent du SBS », sourit Catherine Aerts.

800 millions par an

Derrière ces poids lourds, ce sont surtout des petits éleveurs. Ils seraient près de 500, selon un inventaire mené en 2010 par le Centre européen du cheval. Ils forment le tissu wallon du cheval, avec une ou deux poulinières, soit au maximum deux poulains par an, qu’on élève « à la maison », en espérant sortir un bon produit. « S’ils en tirent 10 000 euros, ils sont heureux », relève Catherine Aerts. Certains perpétuent une tradition familiale, cumulent les métiers d’éleveur et d’agriculteur ou de cavalier ; d’autres se lancent par passion. Ainsi des ancêtres d’Eugène Mathy, qui possédaient un commerce de céréales qu’ils livraient à cheval.

Résultat : la Wallonie abrite près de 165 000 équidés. La plus forte densité au monde : 20 % de chevaux de luxe destinés au sport de haut niveau, 40 % de chevaux de loisir et 40 % de chevaux rustiques ; 52 750 hectares des terres agricoles wallonnes sont voués aux équidés. Avec près de 5 500 personnes employées et 700 manèges et écuries privées, le secteur injecte près de 800 millions d’euros dans l’économie. Il pèse, selon une étude du professeur Jacques Viaene (UGent), autant que la betterave sucrière ou l’arboriculture.

La spécificité est telle que la Région investit 600 000 euros annuels dans un « pôle de compétitivité du cheval ». Niché sur le site de Mont-le-Soie, à Vielsalm, en province de Luxembourg, le Centre européen du cheval accueille doctorants et chercheurs détachés de l’école vétérinaire de l’ULg. Principe : la science au service de la performance. Au top de la modernité, le laboratoire s’est spécialisé dans les capacités athlétiques, les anomalies orthopédiques et la revalidation du système locomoteur des chevaux de sport. Radiographie, caméras infrarouges, capteurs de pression, tapis roulant… : les chevaux de sport sont examinés sous toutes les coutures. L’autre activité est l’amélioration de la fertilité des étalons. Le Centre réalise également la reproduction, via récolte et congélation de sperme de cracks (comme Baloubet du Rouet). « Des juments américaines, brésiliennes, sud-africaines, chiliennes… viennent chercher un géniteur à Mont-le-Soie », jubile le directeur, Pierre Arnould.

L’aéroport de Liège, lui, figure dans le top 5 européen pour le transit d’équidés. Nouveauté : son Horse Inn, service de logement haut de gamme pour les chevaux, pour un coût de 2,6 millions d’euros. « De nombreux éléments s’agrègent pour que la Wallonie devienne une référence », constate Christian Delcourt, directeur de la communication à Liege Airport.

Enfin, créneau à développer : le tourisme équestre, qui séduit de plus en plus.

Premier sport féminin

Globalement, l’équitation connaît une croissance phénoménale : elle attire aujourd’hui 36 500 amateurs en Wallonie et à Bruxelles. « C’est le 4e sport le plus pratiqué, derrière le football, le basket et le tennis. Et c’est le premier féminin », précise Eugène Mathy : parmi les moins de 16 ans, 80 % sont des cavalières. C’est aussi un sport qu’on commence de plus en plus jeune (entre 5 et 7 ans, selon les clubs). L’école provinciale de Gesves, qui forme à tous les métiers de la filière (moniteur, éleveur, soigneur, gestionnaire de manège ou de haras), recrute dès la fin des classes de la 2e ou de la 4e secondaire : 80 élèves, dont 10 % de garçons. « C’est la relation affective au cheval qui attire une population scolaire dont l’origine est de plus en plus étrangère au milieu », détaille Véronique Renotte, directrice adjointe de l’établissement.

L’engouement des filles ne s’est pas pour autant traduit par une féminisation de la compétition de haut niveau, qui reste un bastion masculin. Et dont l’infrastructure repose sur un financement privé. Il n’existe pas de centre équestre de formation, donc pas de passerelle entre les niveaux amateur et de haut niveau. Comme il n’y a pas assez de compétitions où les jeunes cavaliers belges pourraient se distinguer, ni de véritables infrastructures permanentes de haute compétition en Belgique. Le pays, trop petit, n’attire pas les marques internationales Or l’équitation est un sport de sponsors et de mécènes.

Les meilleurs chevaux belges sont donc vendus, à l’étranger. Et, privés de montures, nos cavaliers sont contraints, malgré leurs qualités, à jouer les seconds rôles.

Les chiffres du secteur

800 millions d’euros annuels injectés.

5 250 emplois générés.

700 établissements équestres et 36 500 affiliés.

7 % de la surface agricole.

3 centres de formation aux métiers du cheval (Gesves, Ghlin, La Reid).

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