© Frédéric Pauwels

Hermanus raconte ses coulisses du PS

Pendant de longues années, le Bruxellois a exercé le pouvoir dans l’ombre des cabinets ministériels et de l’appareil du PS. Il n’en a pas perdu une miette et montre aujourd’hui l’envers du décor dans L’Ami encombrant, aux Editions Luc Pire. Extraits.

Merry Hermanus est un personnage de roman. Né dans une famille des Marolles devenue prospère, il entre en politique pour marquer l’Histoire. D’abord engagé dans la fonction publique, il gravit rapidement les échelons, devenant chef de cabinet de ministres socialistes (Léon Hurez, Robert Urbain, André Baudson, Guy Spitaels, Guy Mathot et Philippe Moureaux), puis secrétaire général de la Communauté française (1984) et député bruxellois (1995). Pendant vingt-deux ans, jusqu’en 1995, il a été au coeur du « système PS ». C’est lui qui préparait les nominations politiques et collectait les dons des entreprises. C’était avant le financement public des partis politiques et les affaires Inusop, Dassault et Agusta dans lesquelles il bascula. Dans L’Ami encombrant (Editions Luc Pire, 384 pages), sorti ce 26 septembre, il livre les à-côtés de sa vie d’homme d’action qui n’a jamais cessé de se considérer comme un intrus, un « infiltré », dans le monde du pouvoir, revenant toujours à l’essentiel: l’amour, l’amitié. Sa relation avec Philippe Moureaux, son double, est l’un des fils conducteurs du livre, galerie hallucinante de portraits, aussi ciselés, aussi tranchants que ceux de Saint-Simon décrivant les impasses et la grossièreté (parfois scatologiques) de la cour de Louis XIV. Extraits : Roger Ramaekers, le faiseur de Di Rupo « Il était le secrétaire général de Febecoop, sorte de bureau d’études de l’action commune socialiste, essentiellement financé par la compagnie d’assurances La Prévoyance sociale. Personnage haut en couleur, verbe tonitruant, son magnifique accent liégeois donnant encore plus de chaleur à sa voix, assez grand, le visage rond, de bonnes grosses joues, une peau rosée, les cheveux rejetés en arrière et assez longs sur la nuque, marchant la poitrine vers l’avant, jamais avare d’une anecdote, d’un potin sur l’un ou sur l’autre, amoureux de la vie, grand voyageur, homosexuel affirmé (pas si facile à l’époque), connaissant tout sur tout le monde, régnant en maître absolu sur une petite équipe dont le travail ne semblait pas être la préoccupation principale, tel était Roger Ramaekers. Ami généreux et fraternel, mais l’une des langues les plus acérées et venimeuses de Belgique. […] Fin 1978, Roger me proposa de rejoindre son équipe, m’expliquant que je deviendrais comme lui un « faiseur de roi ». L’idée de devenir l’un de ses « boys » ne me plut pas du tout. Je déclinai poliment tout en restant en excellents termes avec lui. Je ne crois pas qu’il ait été comme il le soutenait un « faiseur de roi », mais j’affirme qu’il fut sans conteste le « créateur » d’Elio Di Rupo, qu’il cornaqua dans les arcanes du monde politique belge et dans d’autres cercles de décideurs. Il le soutint dans les moments terribles sans la moindre faiblesse, l’hébergeant, se battant bec et ongles pour défendre son ami que beaucoup avaient lâché. Pygmalion doué et généreux pour ses collaborateurs, ceux-ci ne furent que ses esquisses. Elio Di Rupo est son chef-d’oeuvre. » Charles Picqué et l’apparence du pouvoir « Picqué, ayant capitalisé une énorme popularité, sans doute la plus large après celle du VDB des années soixante, aurait pu disputer à Moureaux la direction de la fédération. Il ne l’a pas voulu par tempérament, assumant mal les conflits frontaux, et par facilité. Toucher aussi paisiblement que possible les dividendes de son fonds de commerce de popularité lui suffisait sans doute. C’est aussi la raison qui lui fit accepter d’être pendant près de vingt ans un ministre-président bruxellois ayant l’apparence d’un pouvoir, assistant impuissant à l’étranglement, à la paupérisation et à la constante dégradation économique et sociale de la Région qu’il était censé gérer. Charles Picqué avait tellement pris l’habitude de se déplacer en crabe qu’il lui était devenu impossible de marcher droit. Il tournait en rond et produisait… des plans. Que de plans pour Bruxelles, que de projets depuis vingt ans et pourtant quelle effroyable dégradation de la ville ! Entre son arrivée au pouvoir et son départ, deux chiffres : le nombre de chômeurs est passé de 10 à plus de 20 % et le nombre de minimexés a triplé ! Mais pour l’habileté, Picqué est imbattable. Mais l’accent bruxellois et la gouaille ne sont pas des marqueurs de bonne gestion ! Sa thématique idéologique releva délibérément d’une diagonale du flou. » La religion au PS bruxellois « En mars 2004, Moureaux convoqua les représentants des sections pour préparer le programme des élections régionales de juin. La réunion se tenait dans la grande salle en sous-sol des Mutualités, rue Saint-Jean. Ce n’était pas un lieu très convivial. Mal éclairé, les tables placées en carré, rien n’y favorisait le dialogue. La fédération avait fourni un premier projet de programme que nous pouvions amender ou compléter.

J’avais décidé d’en découdre, ma section ayant approuvé une bonne cinquantaine d’amendements qui tous allaient dans le sens d’une défense des valeurs de la laïcité, de l’égalité hommes et femmes. Moureaux présidait, d’humeur maussade, que le mauvais vin et les sandwichs farcis à la mayonnaise n’avaient pas améliorée. Je défendis mes amendements les uns après les autres. Les quatre ou cinq premiers passèrent, Moureaux maugréant et bougonnant, sans plus. Arrivé au sixième, il explosa :  » J’en ai marre, laïcard, sale laïcard, tu veux minoriser une population fragilisée alors que tes amis juifs, eux, peuvent tout se permettre !  » La crise dura, d’autant plus que je hurlai à mon tour. Je lui rappelai qu’il manoeuvrait pour empêcher Mohammed Daïf de lui succéder, que c’est lui qui dérapait en abandonnant les principes majeurs de la laïcité. Je me contins mal, frappant du poing sur la table et cassant les verres qui s’y trouvaient. »

Les origines de l’affaire Agusta-Dassault « Je l’ai dit et répété des dizaines de fois, il n’y eut de la part du PS aucune manoeuvre de corruption. Les instructions de Spitaels étaient claires : ne prendre contact avec les firmes qu’une fois les procédures d’adjudication complètement terminées, ne pas citer de montant, laisser aux firmes le libre choix de leurs dons. J’insiste… Pendant toutes ces années, je n’ai jamais été témoin d’un acte de corruption de la part d’un ministre avec lequel j’ai travaillé.

Il fallait financer les campagnes de cette façon – ce n’est heureusement plus le cas -, ce qui était difficile et très souvent humiliant. C’est pourquoi, sans doute, on m’en chargeait. Mais ce n’était certainement pas de la corruption. Moureaux était donc au courant de tout. Il savait que j’avais obtenu trente-cinq millions de francs belges de Dassault et qu’Agusta nous en avait annoncé dix.

Le grain de sable fut qu’Agusta ne versa jamais rien au PS.

Par Marie-Cécile Royen

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