Thierry Denoël

Fraude fiscale : l’incroyable absence des députés

Thierry Denoël Journaliste au Vif

22 milliards de fraude fiscale détectés pour seulement 1 milliard d’amende pénale en fin de course. Le patron de la cellule anti-blanchiment est venu pousser un cri d’alarme, ce mercredi, à la Chambre devant… trois députés. Désolant.

L’avantage avec le patron d’une administration qui est à deux pas de la retraite, c’est qu’il n’a plus rien à perdre. Jean-Claude Delepière, qui dirige la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF), a, en outre, le verbe franc. Après avoir lancé plusieurs cris d’alarme dans la presse à propos de la lutte contre la fraude fiscale, la commission des Finances de la Chambre l’avait invité, ce mercredi, à venir s’expliquer. L’homme s’est déplacé et s’est retrouvé face à… trois députés. Trois sur 17 membres effectifs de la commission, sans compter les suppléants théoriquement deux fois plus nombreux.

Pour bien comprendre l’enjeu de tout cela, il faut savoir que la CTIF joue, depuis vingt ans, le rôle essentiel de centraliser et de filtrer les informations en matière de blanchiment d’argent, l’opération par laquelle tous les grands fraudeurs sont obligés de passer s’ils veulent profiter de leur butin. En pratique, certaines professions (banquiers, agents de change, avocats, notaires, comptables…) sont contraintes par la loi de dénoncer à la CTIF les pratiques douteuses dont ils sont les témoins. Ainsi, une banque, lorsqu’un client y fait un dépôt important, le signalera à la cellule. La CTIF fait ensuite le tri dans tous ces dossiers et transmet ceux qui en valent la peine aux parquets.

Résultat : en 20 ans, la CTIF a transmis aux autorités judiciaires des dossiers pour un montant de 22,2 milliards d’euros, dont 7 milliards concernaient des affaires de fraude fiscale grave et organisée. Or, avec tous ces dossiers, les cours et tribunaux ont prononcé des condamnations pour seulement 1,1 milliard d’euros… Cherchez l’erreur ! Bien sûr, des enquêtes (et en matière financière, elles sont longues) sont toujours en cours, mais cela n’explique pas un écart aussi important. « On se pose la question de l’efficience du suivi judiciaire », a commenté Jean-Claude Delepière, qui a surtout pointé le parquet de Bruxelles, avant d’ajouter : « Il y a une démotivation de gens qui veulent encore essayer de faire quelque chose. »

Ce cri d’alarme du patron de la CTIF, lui-même ancien magistrat, n’est pas anodin, surtout à l’heure où le gouvernement a fait de la lutte contre la fraude une priorité. Delepière a notamment expliqué que le service de régularisation fiscale (qui s’occupe de la DLU) ne pouvait pas lui certifier que certains demandeurs de régularisation n’étaient pas des gros trafiquants de drogues… C’est comme si l’Etat les avait aidés à blanchir l’argent de leur trafic ! Et tout cela a été expliqué devant trois députés (le président de la commission, Georges Gilkinet (Ecolo), un membre effectif, Veerle Wouters (N-VA) et un membre suppléant, Dirk Van der Maelen (SP.A). Le vice-président de la commission, Luk Van Biesen (Open VLD) n’a, lui, fait qu’une courte apparition.

Manquaient donc lors de cette séance – en ne retenant que les effectifs : Peter Dedecker , Jan Jambon , Steven Vandeput (pour la N-VA),Olivier Henry, Christophe Lacroix, Alain Mathot, Christiane Vienne (pour le PS), Carl Devlies, Kristof Waterschoot (pour le CD&V), Olivier Destrebecq et Philippe Goffin (pour le MR), Karin Temmerman (SP.A), Benoît Drèze (CDH), Hagen Goyvaerts (VB). Ils ont tous certainement une bonne excuse.

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