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Frais de cabinets : la vraie-fausse économie de la Ville de Charleroi

Paul Magnette, futur bourgmestre de Charleroi, l’a affirmé à la presse cette semaine : les moyens alloués aux cabinets des membres du collège communal, bourgmestre et échevins, seront réduits. Derrière l’affirmation se cache pourtant une méthode de calcul qui laisse sceptique. Voici pourquoi.

Triste euphémisme : la Ville de Charleroi a besoin d’être plus efficacement gérée. Son administration doit se professionnaliser, et ses élus se discipliner. Dans le même temps, la métropole sambrienne doit se soumettre à de draconiennes économies, d’autant plus difficiles à concrétiser qu’elle ne dispose pas des recettes, fiscales surtout, nécessaires pour assurer ses besoins, sociaux notamment. Alors, quand le nouveau bourgmestre (empêché) carolo Paul Magnette, flanqué des chefs de file de ses deux partenaires de majorité, Cyprien Devilers (MR) et Véronique Salvi (CDH) s’en vient annoncer que les cabinets des échevins et du mayeur feront mieux avec moins (on parle d’au moins 550.000 euros d’économies par an), la presse, comme le reste du monde, a envie d’y croire.

La comparaison du règlement relatif à la composition politique des cabinets politiques des bourgmestres de la législature 2006-2012 avec celui, voté lundi dernier au conseil communal, des six prochaines années montre pourtant une réalité différente.

En 2006, les effectifs totaux des cabinets scabinaux et mayoral ne pouvaient dépasser 45 temps pleins (dont vingt engagés à l’extérieur, le reliquat se composant de fonctionnaires communaux détachés auprès d’un mandataire et dotés d’une prime ad hoc). Le bourgmestre comptait dix collaborateurs, chacun des dix échevins trois ou quatre. (Voir photo 1, au-dessus)

En 2012, an 1 de la parcimonie et du professionnalisme, le plafond des effectifs monte à 60 temps pleins, sans clé de répartition entre engagés extérieurs et fonctionnaires détachés (« Mais la proportion restera la même », assure-t-on dans l’entourage du bourgmestre). Disons donc 30 extérieurs/30 détachés. Parmi ceux-ci, douze (plus un temps plein à répartir entre plusieurs experts ponctuels) iront chez Paul Magnette, dix-huit chez les trois échevins du « kern » communal (plus trois mi-temps d’expertises extérieures), et quatre chez les six échevins lambda -on a supprimé un échevinat, celui des affaires sociales. (Voir photo 2, au-dessus)

En outre, les tout frais cabinets disposeront de frais de représentation : 18.000 euros annuels au total. Ce n’est pas grand-chose, pour tout ce monde, mais c’est plus que pour leurs prédécesseurs, qui s’en étaient privés, contexte politico-médiatico-judiciaire oblige.

Comment peut-on donc affirmer rogner sur des budgets en engageant plus de personnel (à la grosse louche, 4000+25 entre 2006 et 2012 contre 4000+30 pour 2012-2018), de surcroît plutôt plus qualifié, donc mieux payé ? Les économies, dit-on à l’Hôtel de Ville ne sont pas décelables à l’examen des deux règlements. Ca, on veut bien le croire. La raison ? Une série de fonctionnaires, surtout des secrétaires et des petites mains, mais aussi des chauffeurs, travaillaient de facto au service des échevins sans recevoir de prime, et donc sans formellement figurer dans les effectifs des cabinets. Des détachés pas détachés, en somme. « Au total, le manager de gestion envoyé par la Région wallonne a dénombré 86 personnes dans les effectifs des cabinets. C’est 41 de plus que le plafond prévu. Cette fois, on l’a fixé à 60, mais on s’y conformera vraiment : personne d’autre ne sera affecté auprès des élus, ce qui renforcera l’administration elle-même » explique un proche de Paul Magnette. A 86 contre 60, le raisonnement paraît tenir la route. Sauf que, d’abord, ce chiffre a été artificiellement gonflé, histoire de rendre la comparaison avantageuse. « Même si c’est auprès d’un échevin, ces employés, les secrétaires notamment, faisaient bien un travail pour la Ville. Encore un peu, ils feraient croire que les types qui lavent les vitres des bâtiments, donc aussi des bureaux des échevins, sont membres de leurs cabinets » ironise un syndicaliste anonyme. Et sauf qu’ensuite, même si l’article « frais de cabinet » des prochains budgets carolos aura incontestablement diminué, les sommes consacrées par la Ville à ses dépenses de personnel, elles, n’auront pas baissé (en tout cas pas grâce à cette réforme) dès lors que les personnes qui quittent les cabinets sont soit licenciées mais remplacées par d’autres, plus nombreux, soit renvoyées à leur ancien poste dans l’administration. Le nombre total de salaires, entre fonctionnaires et cabinettards, que la Ville doit assumer, ne peut, vu de cet angle, qu’augmenter.

Que Charleroi se donne les moyens d’être mieux gérée est chose heureuse : la Ville a trop souffert d’avoir engagé trop de petites mains et trop peu de gros cerveaux. Elle souffrirait encore plus que ces gros cerveaux consacrent à l’hypocrisie leurs si pointues compétences.

Nicolas De Decker

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