Thierry Denoël

Faut-il boycotter Amazon ?

Thierry Denoël Journaliste au Vif

La réussite économique du numéro 1 de la vente en ligne cache des conditions de travail dignes d’un autre siècle. Les révélations se multiplient. Les grèves aussi, en particulier en Allemagne où près de 1 500 employés se croisaient les bras, ce lundi.

Amazon, c’est 100 000 fourmis humaines qui s’affairent dans 90 entrepôts géants totalisant 7 millions de mètres carrés dans le monde. C’est aussi un chiffre d’affaires de 61 milliards de dollars, qui, depuis son entrée en bourse en 1997, a été multiplié par 420, faisant de l’entreprise un géant de l’ère Internet au même titre que Google, Facebook, Apple…

Amazon, c’est un patron souvent loué par les médias pour son génie innovant, remarqué à la télé pour ses éclats de rire communicatifs, applaudi pour son rachat, en septembre, du journal The Washington Post pour 250 millions de dollars (soit 1 % de sa fortune personnelle) : Jeff Bezos, 49 ans, vient d’être élu le meilleur dirigeant de 2013 par le Pr Sydney Finkelstein de la Tuck School of Business, une palme fort briguée dans le milieu américain des affaires, d’autant que Finkelstein décerne aussi des prix aux pires dirigeants (cette année, les boss de Blackberry et d’Apple se retrouvent dans le bas du classement). Bezos, lui, s’est distingué par sa « vision à long terme, dans une période où les patrons d’entreprises vivent dans la peur de ne pas atteindre leurs objectifs trimestriels. »

Mais, depuis quelques temps, la belle image d’Amazon commence à se fissurer. Plusieurs journalistes se sont intéressés à l’envers du décor, c’est-à-dire aux petites fourmis d’Amazon. Mais ils ont trouvé portes closes. Pas moyens d’aller jeter un coup d’oeil dans les entrepôts. Ils ont alors joué les infiltrés, comme le Français Jean-Baptiste Mallet qui s’est fait engager dans un entrepôt à Montélimar.

Dans le livre qu’il a publié récemment (En Amazonie, infiltré dans le meilleur des mondes, en vente sur… Amazon.fr), Mallet dénonce des conditions de travail dignes du 19e siècle : pressions psychologiques, mises en concurrence perpétuelle des travailleurs, droits bafoués, climat voulu de dénonciation entre employés, etc. Le bouquin regorge d’exemples qui montrent qu’Amazon a développé son propre code du travail.

Même constat au niveau des salaires : ce lundi 16 décembre, sur les 9 000 employés allemands d’Amazon, près de 1 500 ont arrêté de travailler, à Leipzig, Bad Hersfled et Graben, soit trois des neuf sites que compte l’Allemagne. C’est la deuxième grève depuis le début de l’année, outre-Rhin où une conscience syndicale est en train de naître chez Amazon. Les syndicats réclament, depuis plusieurs mois, un simple alignement sur les salaires en vigueur dans le secteur de la distribution. Cette grève qui intervient dix jours avant Noël – période où Amazon réalise 70 % de son chiffre d’affaires – n’a pourtant pas l’air d’ébranler les dirigeants de l’entreprise. « La météo nous inquiète davantage », a commenté un responsable du site de Leipzig. Les travailleurs allemands ont été rejoints dans leur mouvement par des syndicats américains qui avaient prévu une manifestation devant le siège d’Amazon, à Seattle.

Voilà qui devrait écorner un peu plus l’image souriante de Jeff Bezos, qu’un livre-portrait récent (signé Brad Stone) décrit comme tyrannique et faisant vivre ses employés dans la terreur de ses mails. Amazon symbolise la nouvelle économie numérique tout en imposant des conditions de travail qui n’ont, semble-t-il, rien à voir avec le progrès. Si les internautes commençaient à boycotter le site de vente en ligne, cela inquiéterait ses dirigeants peut-être autant que la météo. C’est peut-être ça la nouvelle démocratie…

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