Face au fédéral, le gouvernement wallon se cabre, regrettant des mesures prises sans concertation. © LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

Face à la politique fédérale, la riposte wallonne…

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Tax-shift, hôpitaux, impôts… La politique du gouvernement Michel affecte les recettes régionales dans un climat délétère, en dépit du rapprochement (entre fédéral et Région wallonne) provoqué par la fermeture annoncée de Caterpillar. Travail de sape de la N-VA ? Voici les trois contentieux de la rentrée. Et la réforme fiscale au sud du pays.

La politique belge peut se targuer d’entretenir une rude discipline héritée de l’Antiquité : la pratique du tir à la corde. A gauche, un peu vers le centre, l’équipe rouge romaine (PS-CDH) du gouvernement wallon. A droite, parfois très à droite, la suédoise (MR, Open VLD, N-VA, CD&V) du gouvernement fédéral.  » Kamikazes ! « , lance la première.  » Sous-préfecture ! « , lui répond la seconde. Une fois la défiance ainsi ratifiée, la partie peut commencer. De part et d’autre, on tire sur à peu près n’importe quelle mesure budgétaire ou fiscale. Depuis janvier 2016, avantage pour la suédoise, avec l’entrée en vigueur du tax-shift et le transfert du (sous-)financement des hôpitaux aux Régions. Mais la Wallonie fourbit ses armes. En novembre prochain, elle présentera sa propre réforme fiscale, via son ministre du Budget, Christophe Lacroix (PS). Objectif : neutraliser les  » sirènes de la droite  » du gouvernement fédéral. Et compenser les pertes budgétaires qu’il lui a infligées.

En dépit du rapprochement (entre fédéral et Région wallonne) provoqué par la fermeture annoncée, en ce début septembre, de Caterpillar, les hostilités reprennent, fin du mois, avec le conclave budgétaire wallon et surtout le prochain comité de concertation, cet espace de discussion entre le fédéral et les Régions qui porte si mal son nom, tant il cristallise les tensions depuis le scrutin de 2014.  » Le fédéral est en train de creuser un cratère fiscal énorme, c’est son choix, indique le ministre Lacroix. Mais je lui demanderais de nous laisser travailler. Il n’est pas normal que nous soyons empêchés de mener notre politique régionale par des mesures prises sans concertation impactant nos recettes.  »

Entre les deux niveaux de pouvoir, la confiance s’est envolée le 26 mars 2015. Ce soir-là, à 24 heures de son conclave budgétaire, le gouvernement wallon reçoit un e-mail du SPF Finances, sous la houlette du ministre N-VA Johan Van Overtveldt, lui signifiant une baisse des recettes de 247 millions d’euros pour l’impôt des personnes physiques (IPP).  » Un tableau Excel, pas d’explication, se rappelle Christophe Lacroix. On conteste ; on nous prend pour des niais, pour des rois de la guindaille.  » Après une bataille d’experts et plusieurs mois de palabres, la Wallonie parviendra finalement à prouver les erreurs de calcul du ministère des Finances, réduisant le solde dû à 117 millions.

Mais le différend a laissé des traces.  » Je me suis rendu compte qu’il y avait une volonté de mettre la Wallonie un genou en terre, et que l’on pouvait aller très loin pour cela, poursuit le socialiste. Je me demande s’il n’y a pas une forme de machiavélisme, dans le chef de la N-VA, pour pousser les Wallons à bout et les inciter à réclamer davantage d’autonomie. Nous devons garder notre sang-froid.  » D’autant qu’il reste trois contentieux sur la table.

1. L’impact du tax-shift sur les Régions et les communes

Pierre-Yves Jeholet estime que
Pierre-Yves Jeholet estime que « la coalition PS-CDH doit cesser de pleurnicher ».© VIRGINIE LEFOUR/BELGAIMAGE

Le tax-shift fédéral affecte les recettes fiscales des Régions et des communes, puisque celles-ci prélèvent des centimes additionnels sur l’IPP.  » Sur un euro redistribué en théorie aux Wallons, 26 centimes sont pris en charge par la Région « , résume Christophe Lacroix. L’impact négatif sur les recettes wallonnes s’élèverait à 130 millions d’euros en 2017, pour atteindre 330 millions en 2020. De son côté, l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW) pointe une perte de 77 millions d’euros par exercice pour les pouvoirs locaux au sud du pays.

Il y a une volonté de mettre la Wallonie un genou en terre »

Un geste du fédéral aux Régions ? Illusoire, bien entendu. La Wallonie, elle, n’entend pas payer de sa poche pour compenser les pertes engendrées par le tax-shift. D’où cette condition émise en avril dernier, lors du comité de concertation dédié au retour à l’équilibre en 2018 : toute mesure dictée sans concertation par le fédéral sera externalisée de la trajectoire wallonne. Depuis quelques mois, la Wallonie tente en outre de convaincre l’Europe d’assouplir les règles de comptabilité à l’égard des investissements publics majeurs, à l’image de l’enveloppe Feder (1,7 milliard d’euros), cofinancée à hauteur de 50 % par la Région.

Sur ce point, Ecolo renvoie le gouvernement wallon à ses contradictions.  » En concentrant 60 % de l’effort durant la première année, il a lui-même choisi une vitesse de retour à l’équilibre bien trop élevée, ce qui pénalise les investissements publics « , souligne le chef de groupe Stéphane Hazée. Au MR wallon, Pierre-Yves Jeholet estime que la coalition PS-CDH doit  » cesser de pleurnicher  » et d’accuser le fédéral de tous les maux.  » Il n’est pas surprenant de constater des transferts de charges entre les niveaux de pouvoir « , commente le chef de groupe libéral.

La future réforme fiscale wallonne vise aussi à contrer le tax-shift, en rétablissant le curseur fiscal vers la gauche… Pour autant que le PS réussisse à convaincre son partenaire CDH. En novembre, Christophe Lacroix réitérera sa proposition visant à augmenter de 2,5 % les additionnels régionaux sur les hauts revenus (à partir de 120 000 euros par personne et par an).  » Ma proposition peut rapporter 5 millions d’euros, détaille le ministre du Budget. Ce n’est pas cela qui va faire fuir les hauts revenus de la Wallonie, ni améliorer notre trajectoire budgétaire. Mais si elle peut contribuer à rétablir un sentiment de justice fiscale, ce serait déjà une belle avancée.  »

Le ministre Christophe Lacroix (PS) veut taxer davantage les hauts revenus (120 000 euros par personne et par an).
Le ministre Christophe Lacroix (PS) veut taxer davantage les hauts revenus (120 000 euros par personne et par an). © DEBBY TERMONIA

Un compromis est-il possible ? Au CDH, le vice-président wallon Maxime Prévot n’a pas l’intention de céder sur ce terrain.  » Nous ne voulons pas toucher aux additionnels à l’IPP de manière défavorable, y compris pour les hauts revenus, indique-t-il. Et si cette proposition est à ce point symbolique, pourquoi envoyer un si mauvais signal à ceux qui ont la capacité d’investir ?  » Au MR, Pierre-Yves Jeholet dénonce un  » écran de fumée  » qui revient, selon lui, à accroître la pression sur les revenus du travail. Ecolo, de son côté, regrette la faible portée de la proposition du ministre Lacroix.  » Avec les leviers dont dispose aujourd’hui la Wallonie, on peut faire davantage que du symbolique « , commente Stéphane Hazée.

2. Le financement des hôpitaux

Le 1er janvier 2016, les Régions ont hérité du financement des infrastructures hospitalières, une compétence détenue jusque-là par l’Etat fédéral. La Fédération Wallonie-Bruxelles gère l’enveloppe dédiée aux hôpitaux universitaires. Afin d’assurer la transition, le fédéral alimente la Wallonie à hauteur de 160 millions d’euros : 100 millions pour s’acquitter des charges du passé jusqu’en 2008 – le SPF Santé doit encore revoir ses estimations erronées pour les années suivantes – et 60 millions d’euros en vue de réaliser de nouveaux investissements. Mais depuis l’accord scellé initialement, la facture antérieure s’est considérablement alourdie. Elle est passée de 100 à 201 millions d’euros du côté wallon. Avant même de définir le solde pour la période 2008-2015, il manque donc déjà 40 millions d’euros dans la balance.

Une dotation négative que la Wallonie conteste avec force.  » Ça fait un an et demi qu’on se bat, mais je peine à entrevoir un espace de discussion, confie le ministre de la Santé, Maxime Prévot. On attend à présent un retour de la ministre du Budget, Sophie Wilmès (MR).  » Le fédéral, lui, n’a pas attendu que le contentieux soit réglé. Depuis janvier, il applique déjà la dotation négative. La Wallonie, à l’instar des autres Régions, n’exclut pas de saisir la Cour constitutionnelle si le blocage persiste. Mais une telle procédure risquerait de durer plusieurs années.

3. La régularisation fiscale

En mars dernier, le gouvernement fédéral a approuvé son projet de régularisation fiscale permanente. La mesure est entrée en vigueur le 1er août. Via une  » déclaration libératoire unique  » (DLU), elle permet aux contribuables de déclarer spontanément des revenus ou des capitaux dissimulés au fisc. Ils doivent ensuite s’acquitter de l’impôt avec une majoration de 20 à 36 % selon les cas. Le mécanisme leur garantit en outre une immunité fiscale et pénale.

Un terrain propice à une nouvelle manche de tir à la corde, en deux à-coups. Le premier est idéologique.  » Cette amnistie fiscale permanente revient à légaliser la fraude « , maintiennent Christophe Lacroix et Maxime Prévot. Le deuxième est purement technique : les Régions contestent la capacité de l’Etat fédéral à régulariser des impôts qui les concernent directement ou indirectement. Le vote d’un amendement socialiste, en juillet dernier, a toutefois permis de débloquer la situation, puisqu’il devrait permettre aux Régions de garder la main pour leurs compétences propres.

La Wallonie va donc s’atteler à définir les conditions d’une DLU parallèle. Temporaire, plus coûteuse et sans immunité pénale, elle sera nettement plus dissuasive que le modèle fédéral. Et tant pis si la marche à suivre devient illisible.  » Plus ce sera rendu complexe, mieux je me porterai « , lance le ministre du Budget. De son côté, Pierre-Yves Jeholet dénonce la  » faute politique  » des précédentes majorités en qui concerne  » l’état déplorable  » de l’administration fiscale wallonne.  » Dans ces conditions, on aurait dû laisser la main au fédéral « , suggère le libéral.

Le projet de réforme de l’impôt des sociétés, piloté par Johan Van Overtveldt, pourrait bien ajouter un nouvel opus à la série des contentieux. Parce qu’il augure une possible concurrence fiscale entre les Régions. Et parce que les desseins de la N-VA à plus long terme sont connus. Un tout autre exercice de tir à la corde, celui-là : l’indépendance flamande face aux derniers remparts du fédéralisme belge.

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