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Fabiola : la fin du treizième conte

Le Vif

La Reine Fabiola est née le 11 juin 1928. Sixième des sept enfants du comte Gonzalo Mora y Fernandez et de Blanca de Aragon y Carillo, vieille noblesse du côté maternel, très riches propriétaires de mines de charbon et grands propriétaires terriens du côté paternel.

La marraine est toute désignée : Victoria-Eugenia, l’épouse du Roi d’Espagne de l’époque, Alfonso XIII et une petite-fille de la Reine Victoria d’Angleterre. A l’époque, l’Espagne où elle est née était encore un état semi-féodal. Les terres sont entre les mains de la noblesse et de l’Eglise. Les gouverneurs militaires et la noblesse dirigent le pays, la bienfaisance tient lieu de rémunération salariale. Dans les années 1930, le pays voit aussi naître l’organisation ultraconservatrice Opus Dei. La légende selon laquelle la Reine en aurait été membre l’a poursuivie toute sa vie.

Lorsque la guerre civile espagnole éclate en 1936, la famille part en exil en Suisse. Son frère aîné, Gonzalo, rejoint les troupes du général Francisco Franco. L’amitié entre la famille Mora et Franco a subsisté jusqu’à la mort du dictateur. D’ailleurs, le Roi Baudouin aussi était un ami de Franco, ce qui a même donné lieu à un scandale politique en 1961.

En 1939, Franco a le pouvoir bien en main. Le Roi d’Espagne mène grand train en Italie et la famille Mora revient à Madrid. A partir de ce moment, Fabiola n’a plus que des gouvernantes pour lui dispenser un enseignement. Et elle vit la vie classique des enfants de riches : voyages à Biarritz, la Riviera française, Lausanne, Rome, Paris – où la famille a un appartement. Elle pratique la voile, le tennis, la chasse, fréquente les bals : bref toutes les occasions de rencontrer un futur époux correspondant à son rang. Il y a quelques candidats mais il y a aussi un obstacle : il n’est pas certain qu’elle puisse avoir des enfants.

Lorsque son père meurt en 1957, elle rejoint les Soeurs de la Miséricorde, un ordre laïque fondé en 1617 par Vincent de Paul, le porte-drapeau de la charité. Les membres – le plus souvent des filles non mariées de familles aisées – font chaque année voeu de chasteté, d’obéissance et de pauvreté, et promettent de s’occuper des pauvres, des vieillards et des malades. Pendant deux ans, Fabiola suit des cours d’infirmière à l’hôpital militaire de Madrid.

Avec son héritage, elle achète un appartement et une voiture. Mais elle se rend chaque jour à la maison familiale. Sa mère, Dona Blanca, est en effet – pour utiliser un euphémisme – « confuse » et transforme sa maison et son jardin en un asile pour animaux.

Fabiola se résigne manifestement à jouer le rôle de la dame de charité non mariée, et celui de tante d’un nombre croissant de neveux et de nièces. C’est pour eux qu’elle écrit les Douze contes merveilleux. Ce livre au contenu moralisateur sera plus tard publié en Belgique après son mariage. L’un de ces contes, Le nénuphar indien, a été repris en 1971 dans le Sprookjesbos de Efteling lors du quinzième anniversaire du parc d’attractions néerlandais.

Son treizième conte, a indiqué la Reine, est celui de sa rencontre avec Baudouin, cinquième Roi des Belges. Le récit est en effet assez étrange.

Baudouin qui approche la trentaine, raconte à Léon-Joseph Suenens, qui à l’époque n’est qu’un évêque auxiliaire, qu’il a prié une nuit à la grotte de Lourdes et demandé à Marie de résoudre le problème de son mariage. Car il y a effectivement un problème. Le monde politique s’oppose de plus en plus à l’influence qu’exercent sur le jeune Roi son père, le très autoritaire Léopold III qui a été contraint d’abdiquer et la seconde épouse de ce dernier, la princesse Liliane, une personnalité également dominante. Malgré toutes les tentatives du gouvernement, le couple refuse de quitter Laeken. La manière la plus élégante de tout régler est un mariage de Baudouin.

Ennuyeux mais populaire

Léon Suenens passe à l’action. Il envoie en Espagne Veronica O’Brien, une ancienne nonne irlandaise et fondatrice de la Légion de Marie en Belgique, pour y chercher une épouse pour Baudouin. Et c’est Fabiola.

Ils se rencontrent quelques fois avant qu’elle lui dise « oui ». L’annonce officielle des fiançailles est prévue pour le 21 juillet 1960 mais les émeutes sanglantes qui éclatent après l’indépendance du Congo belge les obligent à la reporter. L’annonce a finalement lieu le 16 septembre 1960.

A la grande surprise de tous, d’ailleurs. Albert et Paola apprennent la nouvelle par téléphone. Léopold III et Liliane, par la radio. En Belgique, on est très heureux d’apprendre que le « roi triste«  décide finalement de ne pas entrer dans un monastère trappiste mais de se marier. Et qu’il est capable de rire en public, ce qui ne s’est pas produit depuis son accession au trône.

De plus, Fabiola est une femme particulièrement enjouée. Contrairement à la princesse Paola un an plus tôt, elle accepte que la presse la suive, pose volontiers devant les caméras, sait rire aux éclats et parle sans arrêt. Autant de traits de caractères qu’elle a gardés toute sa vie.

Il est étonnant de voir le peu de critiques formulées à l’encontre de cette épouse issue de la dictature espagnole. La fille de Franco est même invitée avec son époux à la fête de fiançailles à Bruxelles. Pour l’Espagne politiquement isolée, c’est un triomphe.

Le mariage a lieu le 15 décembre 1960, une journée glaciale et le jour où le dirigeant syndical socialiste wallon André Renard lance un ordre de grève contre les mesures d’austérité instaurées par la Loi Unique. A cette époque, les socialistes wallons ne sont pas encore royalistes. Cette grève et la mobilisation qui s’en suit écourtent le voyage de noces qui a lieu dans le palais de son beau-frère Jaime de Silva y Agrela. A leur retour, ils constatent que Léopold III et Liliane ont pillé le palais de Laeken. La rupture est complète.

La nouvelle Reine des Belges s’adapte très vite à son nouveau rôle. Elle apprend assez rapidement le néerlandais (avec un fort accent espagnol), se déplace avec aisance et acquiert une incroyable popularité dans les années 1960.

Cette popularité subsiste, même lorsqu’elle ne réussit pas à donner un héritier au trône malgré des interventions médicales répétées. L’infertilité _ déjà particulièrement lourde à supporter pour n’importe quel couple _ passe d’emblée dans le domaine public lorsqu’il s’agit d’un roi et d’une reine. Ils la supportent dignement. Mais elle a aussi un prolongement inattendu. Le 30 mars 1990, Baudouin refuse de signer la loi sur l’avortement que le Parlement vient d’adopter. Le gouvernement doit recourir à des tours de passe-passe pour mettre le Roi à couvert. Malgré les grognements que cet incident provoque dans le monde politique, ce comportement non conforme à la constitution n’offusque pas une grande partie des Belges. On pointe cependant un doigt accusateur vers Fabiola. C’est elle qui aurait convaincu Baudouin de ne pas signer. Cette hypothèse semble impossible. Baudouin réagit choqué lorsqu’il apparaît que son ancien chef de cabinet André Molitor parlait politique avec sa femme. Cette hypothèse est aussi contredite par Léon Suenens qui a publié le journal spirituel du Roi.

Avec Veronica O’Brien, Léon Suenens est resté le guide spirituel de Baudouin. Et il introduit à la cour de Belgique le Renouveau charismatique, une manière émotionnelle de vivre sa foi en provenance des Etats-Unis. Le Roi et la Reine deviennent _ très discrètement d’ailleurs _ des adeptes des ‘chacha’ comme on les surnomme avec dédain.

La discrétion est d’ailleurs la marque de fabrique du couple royal. On ne sait rien de leur vie privée, contrairement aux histoires croustillantes qu’on raconte au sujet des souverains actuels.

SA royaume de Belgique

Leur union qui combine la raison d’état et la piété, est un mariage heureux. Et il forge l’image que les Belges ont du Roi et de la Reine : toujours aimables, toujours la main dans la main, toujours présents, donnant l’image d’une belle complicité. Ce sont les meilleurs vendeurs de la SA Royaume de Belgique.

Cette image, ainsi que la longueur du règne de Baudouin, contribue à expliquer la vague d’émotions qui submerge le pays après le décès inopiné du Roi le 31 juillet 1993. Même des commentateurs politiques chevronnés parlent d’une ‘nouvelle’ donnée ‘historique’. Ce n’est pourtant pas le cas. Les Belges ne se sentent pas unis et la monarchie ne devient pas populaire.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, bien que trop tard et trop peu. Les premières actions de Fabiola après son mariage sont très classiques : un secrétariat social, des villages Reine Fabiola pour handicapés, un fonds Reine Fabiola et un Fonds de secours. Elle succède à la Reine Elisabeth comme présidente du concours Reine Elisabeth et en modifie le règlement (les cinq derniers recevraient désormais le titre d’ex aequo). Il y a aussi le Concours international de carillons et le Grand Prix Reine Fabiola de créations de dentelle contemporaine. Donc des activités sociales et culturelles classiques.

Mais à partir de 1978, un changement intervient. Fabiola se voit confier son propre programme qui est construit autour de ‘la jeunesse et d’activités non conventionnelles’. Il s’intègre dans toute la campagne de RP qui a été mise sur pied. Les réformes successives de l’Etat n’ont pas seulement sapé le pouvoir du Roi, la popularité de la maison royale est aussi tombée à un niveau particulièrement faible à la fin des années 70. Les « derniers Belges » comme on appelle Baudouin et Fabiola, veulent lier la population à la maison royale. Et ils adaptent leur rôle à cet effet. Ils deviennent une sorte de conscience de la nation, s’occupant des défavorisés, de la traite des femmes, des jeunes à problèmes, soucieux de tout ce qui s’appelle encore le tiers monde à l’époque.

Fabiola devint l’atout de la monarchie. Plus moderne dans ses discours, bénéficiant de meilleurs rédacteurs de textes, très à l’aise face à la caméra, manifestement intéressée par ce qu’elle fait. Comme elle reste partout très longtemps pour s’entretenir avec les gens, elle pose souvent un problème au service chargé du protocole.

Après la mort de Baudouin, Fabiola trace son propre rôle. Elle garde le contact avec les adversaires de la traite des femmes, continue à faire des apparitions dans le First Ladies Club dont elle est l’une des fondatrices et qui, en 1992, prend forme au Sommet mondial des Epouses des Chefs d’Etat ou de Gouvernement sur la Promotion économique des Femmes rurales.

Dans tout ce qu’elle fait depuis 1993, elle reste « l’épouse de ». C’est ce qui explique le scandale autour du monastère de Opgrimbie. Baudouin a inscrit dans son testament qu’il faut construire sur une partie du domaine royal un monastère pour la très stricte ‘famille monastique de Bethlehem et de Maria-ten-Hemel-Opgenomen’. Et en violation de toutes les prescriptions urbanistiques, ce monastère a vu le jour, après un intense lobbying de Fabiola.

Mais il y a néanmoins une différence dans son comportement. Libérée du frein que constituait Baudouin, elle commence clairement à s’amuser. On peut difficilement nier qu’à chacune de ses apparitions, elle éclipse le reste des Saxe-Cobourg. Ce qui explique aussi qu’aux alentours de son quatre-vingtième anniversaire, deux conceptions très différentes du personnage sont diffusées. Celle d’une tante extrêmement pieuse qui d’une main de fer, fait marcher au pas toute la famille royale et celle d’une vieille dame gaillarde – à la coiffure très étrange – qui exécute un petit pas de danse sur la musique d’un groupe de rock et qui se fait opérer sous hypnose.

Par Misjoe Verleyen

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