Martin Van Breusegem

Et si on supprimait la liberté d’expression ?

Les notes de cours d’un professeur de philosophie de l’UCL, consacrée à l’avortement, posent question quant à la liberté dont jouissent les individus d’exprimer leurs opinions et ce, particulièrement, dans le cadre d’une institution d’enseignement et de recherche telle qu’une université.

Le document en question a été rendu public en début de semaine et provoqué depuis de nombreuses réactions. L’auteur déroule un argumentaire philosophique dense dont l’objectif est d' »aider à réfléchir et tâcher de dégager la vérité sur une question grave »1. Il s’agit là de ce que l’on peut logiquement attendre d’un cours de philosophie dispensé à l’université. Parmi les valeurs qui sous-tendent la vision de l’UCL, on trouve d’ailleurs « la liberté académique, inscrite dans la constitution, c’est-à-dire la liberté de pensée dans la recherche d’une vérité construite scientifiquement et non soumise à la norme du moment. »²

Que la réflexion développée par l’auteur soit solidement argumentée, et constitue une invitation à en faire de même lancée aux étudiants, personne ne semble le lui reprocher. Que la thèse soutenue aille à contre-courant du discours ambiant, est jugé problématique par certains. En quoi ces deux éléments garantissent-ils pourtant, l’un comme l’autre, qu’un débat démocratique ait lieu ?

La liberté d’expression est une condition nécessaire, bien que loin d’être suffisante, à la mise en oeuvre de nos démocraties modernes. « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » (n)’aurait (pas) dit Voltaire ! La DDHC, rédigée en 1789, affirme quant à elle, que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » (art. 11).

La liberté d’expression n’est pas absolue pour autant. En effet, elle ne peut être exercée que dans certaines limites, dont certaines sont définies par le législateur, qui garantissent le vivre ensemble, tout autant que la liberté d’expression elle-même. Ainsi le racisme et la xénophobie ne peuvent-ils être considérés comme de simples opinions, mais bien comme des délits. Il n’est pas question de cela ici. En effet, les propos tenus par l’auteur, aussi violents soient-ils, ne vont pas « à l’encontre de nos lois »3, contrairement à ce qu’a affirmé à La Libre Marc Lits, prorecteur à l’enseignement à l’UCL. En effet, Il n’y a pas de droit à l’avortement en matière de droit belge, contrairement à ce qu’affirme le communiqué de l’UCL, mais bien une dépénalisation.

Sur Le Soir +, Jean-François Kahn, expliquait avec clarté ce lundi que « le discours communiste du temps du stalinisme […] rejetait dans les ténèbres de la droite conservatrice […] tout ce qui ne se pliait pas à sa propre doxa. »4 Dans sa tribune, l’essayiste français dénonçait le fait qu’aujourd’hui comme hier, la dictature de la pensée unique -quelle que soit sa couleur politique- mette à mal la démocratie. Cette tentation est forte. Elle est notamment présente lorsque Laurette Onkelinx affirme dans les pages de la DH qu’en ce qui concerne les pro vie, « le problème […] est qu’on ne peut pas aller à l’encontre de la liberté d’expression. »5

La liberté d’expression n’est pas relative, en tant qu’elle octroierait à certains la liberté de s’exprimer, tandis que d’autres seraient sommés de se taire ! Aujourd’hui en Belgique, la question douloureuse de l’avortement n’est pas close et fait bien l’objet d’un débat, dans lequel il est sain, et même vital, que des opinions multiples voire divergentes puissent être exprimées librement. Tous s’accorderont au moins sur le fait que l’avortement suscite une réelle souffrance chez bien des femmes. Bien que l’UCL se propose de promouvoir dans ses amphithéâtres un' »esprit de discussion rationnelle », force est de constater que le débat est ici anesthésié, la voix d’un des participants étant étouffée.

La liberté reconnue à tous de s’exprimer, de surcroît quand il s’agit d’enjeux particulièrement graves, anime la démocratie tandis que la tyrannie de la pensée dominante l’étouffe. Agissons pour que le débat vive, au risque qu’il ne devienne combat !

Martin Van Breusegem,

1 MERCIER, S., La philosophie pour la vie, p. 1.

² https://uclouvain.be/fr/decouvrir/valeurs-et-vision.html, consulté le 22 mars 2017

³ Un ultra embarrasse l’unif catholique, dans La Libre Belgique du 22 mars 2017, p. 9.

4http://plus.lesoir.be/86658/article/2017-03-20/en-france-laffirmation-du-stalinisme-de-droite, consulté le 22 mars 2017.

5 Anti-IVG : la menace est sérieuse, dans La dernière heure du 11 et 12 mars 2017, p. 16.

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