Carte blanche

Et si nous vivions dans l’Ancien Système?

Et si les événements que nous traversons ne constituaient pas une crise mais bien plutôt une suite historique annoncée dès la fin du 19eme siècle par Nietzsche et reformalisée un siècle plus tard par Lyotard? Autrement dit : l’avènement de Trump, l’élection de Macron et, dans une plus modeste mesure, les soubresauts politiques wallons peuvent-ils être considérés comme les signes de la fin d’une période historique: celle de la Modernité et de son organisation politique actuelle. En référence à l’Ancien Régime, nous proposerons l’appellation d’Ancien Système. Et pour que ce dernier advienne, quels meilleurs acteurs possibles que des « systémo-sceptiques » ?

Les grandes promesses de la Modernité avaient été : liberté, égalité, fraternité ou bien encore autonomie de l’individu par rapport au roi et par rapport à la religion via le développement de la raison. Très tôt, des voix se sont élevées pour indiquer les dangers inhérents à l’individualisme et au relativisme constitutifs de ce nouveau monde. Succédant au Roi et au Pape, d’autres grands récits fondateurs ont donné des socles a la vie en société: Ecole, Famille, Patrie, Sciences, Etat,… Puis peu a peu, et c’est le constat de Lyotard, ces grands récits se sont érodés. Le monde occidental a remis en cause ses fondamentaux idéologiques. L’avenir nous dira si l’on doit parler d’une crise interne de la Modernité ou du passage vers la Postmodernité, bâtie sur d’autres bases.

Il nous semble que les avènements de Trump et de Macron et l’enlisement des partis wallons plaident en faveur de cette deuxième option. Il s’agit dans les trois cas de remises en cause de la Modernité par les citoyens, à des titres divers, de la raison, de la liberté et de la démocratie.

Les avènements de Trump et de Macron, et les soubresauts politiques wallons, peuvent-ils être considérés comme les signes de la fin d’une période historique: celle de la Modernité et de son organisation politique actuelle.

Dans cette approche, les « affaires » révélées par la presse ne sont pas la cause du rejet des partis mais un prétexte pour exprimer une fatigue plus profonde. La fatigue face à la démocratie telle qu’elle a été exercée depuis des décennies. Autrement dit, le Parti qui pouvait être considéré comme un Récit (au même titre que la Patrie, la Famille ou l’Ecole) se voit lui aussi délité. Tout comme l’autorité du Roi divin, puis celle du curé, puis celle du chef de famille, celle de l’instituteur… ont été balayées, vient maintenant le tour de celle du chef de Parti.

Réactionnaires

Il peut exister des attitudes réactionnaires, comme celles de personnes qui rêvent de l’ancienne Ecole ou qui veulent le retour aux vraies valeurs. La Réaction c’est la tentation du retour au régime précédent présenté comme meilleur et indépassable à l’encontre du courant dominant. Les réactionnaires ne parviennent pas à sortir de leur système de pensée, souvent par incapacité ou par intérêt, et entament une folle course contre le temps qui, avec un peu de recul, peut prêter à sourire. C’est le vieil instituteur convaincu que le bonnet d’âne est une méthode pédagogique confirmée et qui se fend d’un ouvrage destiné à le réhabiliter. C’est le facteur qui se bat contre l’email ou le taximan qui veut interdire l’uberisation. Et si c’était aussi les ténors du Parti faisant valoir leur statut de détenteurs uniques de la Démocratie ?

En suivant ce raisonnement, ils nous semble que certaines attitudes s’éclairent. Si, comme nous le soutenons ici, les réactionnaires sont ceux et celles qui aujourd’hui prétendent qu’en-dehors des partis politiques traditionnels ne peuvent exister que les anti-démocrates, les idiots, les extrémistes et autres individus infréquentables alors il nous faut admettre que les représentants du futur se trouvent justement parmi ces gens aujourd’hui montrés du doigt et que nous qualifierons de « systémo-sceptiques ». Ces derniers peuvent être anti-démocrates s’ils souhaitent la fin de la démocratie, ou démocrates s’ils considèrent, par exemple, que les relations entre les politiciens et le monde économique sont préjudiciables aux citoyens ou bien encore que la particratie est une confiscation de la démocratie.

Pour ce dernier point, la critique est connue : pour être élu, le candidat doit impérativement figurer en ordre utile sur la liste d’un parti important. C’est le Parti qui établit l’ordre des candidats, c’est donc le Parti qui choisit les futurs élus. N’iront au pouvoir que ceux qui auront été sélectionnés par le Parti, le pouvoir est donc au Parti, il s’agit donc d’une particratie. Certaines personnes considèrent que ce système politique, qu’ils refuseront de nommer particratie, n’est pas un problème pour la démocratie. D’autres y voient une captation anti-démocratique du pouvoir. Ces derniers, des systémo-sceptiques, s’inscrivent dans le mouvement de déconstruction des grands Récits que nous évoquions plus haut.

Systémo-sceptiques

Que l’on se comprenne bien, il ne s’agit pas de dire que la dissolution des Partis est nécessaire parce qu’ils seraient composés de trop nombreux mandataires véreux. Ce qui est en jeu ici c’est la dissolution du principe même de Parti car il est un Récit né dans la Modernité. Les « affaires » précipitent peut-être le mouvement car elles focalisent l’attention sur un (ou plusieurs) parti(s) et mettent en lumière les agissements honteux de certains membres du parti. Mais c’est bien le caractère systémique de ces « affaires » qui pousse à la réflexion : les personnages suspectés ont bien été placés par le Parti, les lois qui ont rendu ces pratiques possibles ont bien été votées par le Parti et le « jugement » des « coupables » est bien effectué par le Parti. Pourtant le Parti refuse d’évoquer un caractère systémique à ses errements.

Pour justifier le système actuel, autrement dit pour sauver le Récit, il est possible soit de nier ou de minimiser les critiques particratiques, soit de les admettre et de se satisfaire de la situation en affirmant, grosso modo, que les autres systèmes politiques seraient pires.

Mais une part non négligeable des citoyens, ceux que nous avons nommé les systémo-sceptiques, ne se satisfait plus de ces deux justifications et demande une remise en cause du système actuellement en place, ce qui, selon nous, pourrait être assimilé à la déconstruction du Récit du Parti. Pour les systémo-sceptiques, il est inconcevable que les politiciens actuels soient impliqués dans la gestion de la situation parce que leur seule présence dans le Parti signe leur appartenance au système. Cela ne signifie pas que ces politiciens soient malhonnêtes ou traitres mais bien qu’ils croient encore dans le Récit du Parti. Ils ne perçoivent pas l’évolution ou la nient ce qui est synonyme de discrédit si l’on adopte, comme nous l’avons fait ici, la perception d’une Histoire qui quitte la Modernité. De la même façon que, après la Révolution française, les aristocrates n’étaient pas forcément des malhonnêtes ou des traitres, mais qu’il était devenu illégitime pour eux de gouverner car leur temps était révolu.

Ancien Système

Si les politiciens actuels constituent une partie de l’Ancien Système (pour faire référence à l’Ancien Régime) et devront donc, tôt ou tard, quitter la scène, cela ne signifie pas pour autant que le reste de la population suit l’hypothétique courant de l’Histoire. Et c’est ici que se cachent le vrai danger et l’opportunité à saisir. Ils sont cachés par une menace agitée comme un épouvantail par ceux qui défendent le Système : la constitution ou l’avènement de tel ou tel parti extrémiste. Le niveau de cette menace nous semble peu élevé puisque, en tant que Parti, ce nouvel avatar du Récit, disparaitrait à son tour rapidement.

Par contre il existe un danger plus imminent : l’apparition d’une radicalisation violente du changement, comme a pu l’être la Terreur. Dans cette approche, le danger à venir n’est donc pas Hitler ou Staline, mais bien Robespierre. Qui gèrera la violence si la contestation contre le Parti quitte le domaine pacifique de l’abstention électorale pour rejoindre la rue ?

Et il existe aussi une formidable opportunité à saisir. Quelles valeurs, quelles pratiques, quelles traditions allons-nous préserver ? Car bien sûr dans toute évolution, des éléments sont conservés et d’autres emportés. Etre opposé à l’apprentissage par coeur des tables de multiplication ne signifie pas que l’on ne veuille plus que nos enfants apprennent à calculer. Alors qu’allons-nous conserver ? Le respect de l’autre ? La bienveillance ? Le profit ? La compétition ? La liberté ? L’égalité ? La fraternité ? Tout est encore possible et c’est le formidable projet que nous devons relever pour qu’un jour l’on puisse parler avec soulagement de l’Ancien Système comme on le fait aujourd’hui de l’Ancien Régime.

Par François-Xavier Heynen, docteur en philosophie

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