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Entre Paul Magnette et Elio Di Rupo, la guerre est déclarée

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Révélée par Le Vif/L’Express, la défiance entre Elio Di Rupo et Paul Magnette est désormais publique. Le créateur et sa créature s’affrontent sur la question du cumul. Chacun, au PS, se met tout doucement à choisir son camp. Elio Di Rupo lui-même devrait abandonner l’un ou l’autre mandat.

Le rabbi Loew était si fier de son petit bonhomme d’argile. Le golem, sur le front duquel il avait plaqué le nom de Dieu, défendait si bien la communauté que les habitants du ghetto de Prague se sentaient enfin en sécurité. Et puis le golem est devenu trop grand. La créature a menacé son créateur. Et, raconte la mythologie yiddish, le vieux rabbi Loew a dû éliminer le golem. Il en a eu marre et il y est parvenu. Au Parti socialiste, le golem d’aujourd’hui inquiète toujours plus son créateur. Paul Magnette a du golem l’insolente ingratitude, en plus de la puissance croissante. C’est même à se demander si la créature n’a pas, en plus de sa divine apposition, reçu le parrainage d’un dibbouk, ces esprits démoniaques qui, dans la tradition juive, rendent vicieux le malheureux possédé. Dans la cure du vieux rabbi Di Rupo, la question, en fait, ne se pose plus. Le golem Paul Magnette est bien pris par un dibbouk. Et il faudra de solides tours de kabbale pour l’arrêter.

Les savants lecteurs du Vif/L’Express savent qu’entre Elio Di Rupo et Paul Magnette, les frictions ont progressivement pris des allures de schisme, et que la querelle de l’ancien et du moderne a tourné, depuis plusieurs mois, à la guerre de positions. Chacun sait que Paul Magnette est le successeur tout désigné d’Elio Di Rupo, le premier cité en premier, et que celui-ci prend toujours davantage ses aises. Nos fidèles se souviendront également qu’au début du printemps, Elio Di Rupo avait eu à souffrir de l’hostilité d’une partie de son clergé, précisément de cette strate des députés-bourgmestres, très puissante dans le parti en général et au bureau national en particulier. Ceux-ci lui reprochaient d’avoir voulu, dans l’angoissant tumulte Publifin, imposer de tout en haut de trop brutales mesures de décumul fonctionnel (le mandat unique) et financier (le plafond des 100 % de l’indemnité parlementaire). Quant au golem, pas encore entièrement rongé par le dibbouk, il avait appuyé son président. Mais au coin de ses lèvres montait le sourire sardonique de celui qui s’amuse de voir un ancien ami dans la misère.

La guerre de mouvement

Depuis, le dibbouk a définitivement engagé le golem dans une guerre de mouvement. Ça bouge très fort. Et le vieux Rabbi est vachement secoué. Le déclic date d’il y a un petit mois.

En bureau de parti, Elio Di Rupo revenait alors avec une proposition, toujours plus radicale, de décumul. Laurette Onkelinx, et surtout Paul Magnette, l’appuyèrent. De l’arrière, c’est-à-dire de là où se trouvent les collaborateurs de l’Institut Emile Vandervelde et les militants les plus désintéressés, de grands applaudissements ont même félicité le Carolorégien. Mais aux premiers rangs, les députés-bourgmestres serraient les dents. Dès la sortie, ceux-ci (notamment Laurent Devin, bourgmestre de Binche et député fédéral, Eric Thiébaut, bourgmestre d’Hensies et député fédéral, et Karine Lalieux, échevine de Bruxelles et députée fédérale) assaillirent le vieux Rabbi de sollicitations. Deux semaines plus tard, devant la même assemblée des sages socialistes, le président du parti avançait une proposition plus émolliente : décumul immédiat si les autres partis l’acceptent, après 2024 pour les seuls socialistes dans le cas contraire. Seuls deux membres du bureau s’y opposèrent, dont l’Aiseau-Presloise Graziana Trotta, tandis que plusieurs Wallons s’abstenaient, dont le Montois Nicolas Martin – un sacré petit dibbouk qui s’agite beaucoup dans le jardin du vieux rabbi aussi, celui-là, un des seuls à avoir pris la parole.

Le président devra donner des gages en cédant certains de ses mandats

Le golem Paul Magnette, qui ne dispose pas d’une voix délibérative au bureau, s’est encore emporté. De la caste des roitelets de province, ces députés-bourgmestres qu’il taxe hautainement de ringardise, et qu’il se plait, de plus en plus, à humilier publiquement, il a alors juré la perte. Et dès lors celle, derrière eux, de celui qui était redevenu leur protecteur, le vieux rabbi Di Rupo. Le 3 juin dernier, la malédiction du golem a éclaté au regard des six cents militants participant, à la salle de la Madeleine, à Bruxelles, au rassemblement participatif convoqué par le parti. Ils devaient se prononcer sur la très douce proposition de ne plus cumuler au plus tard après 2024. On le sait, ils l’ont rejetée à 70 %. Leur insubordination avait été étrangement stimulée par de démoniaques fuites médiatiques qui raillaient la volte-face d’Elio Di Rupo, ainsi que par une interview publiée le matin même dans L’Echo, où Paul Magnette proclamait l’urgence de réformes internes. Au rassemblement lui-même, le golem, qui avait mobilisé contre le décumul soft, sautela, exigeant que l’on votât à main levée parce que les petits boitiers électroniques avaient buggé. Bref, le démon sortait de son tiroir.

Une fois Elio Di Rupo et les élus de province remballés, le ministre-président, entêté par son dibbouk, n’allait pas s’empêcher de se vanter de « l’avoir bien mise à Devin, Thiébaut et compagnie ». Et Paul Magnette poursuivra la malédiction à son terme : ce vendredi 16 juin, le congrès de la fédération d’arrondissement socialiste de Charleroi endossera une revendication claire de fin des cumuls, et affichera sa volonté de la porter devant le congrès national du parti, souverain. Sa sortie précipitée, mardi 13 juin au JT de la RTBF, immédiatement suivie par un tweet, au moins aussi précipité, d’Elio Di Rupo annonçant un congrès extraordinaire début juillet est à situer dans cette perspective.

Au Jugement dernier

C’est alors que l’on se comptera, au Parti socialiste. Et qu’on a déjà commencé. Comme un jour de Jugement dernier. Paul Magnette, bien sûr, sera soutenu par une Fédération carolorégienne qu’il domine, aidé par son président Eric Massin. Ceux parmi la base militante qui ne sont pas encore partis et qui ne sont pas indéfectiblement attachés à un leader local – en définitive très peu de monde -, ainsi que les jeunes – dont le président national est carolo -, le soutiendront. Laurette Onkelinx, dont il s’est rapproché ces derniers mois, Jean-Pascal Labille, qui suit à Liège une stratégie similaire à celle du golem carolo, la réussite en moins, et d’autres, comme Rudi Vervoort et Charles Picqué, se sont déjà mouillés, tandis que « le top liégeois pense courageusement qu’il faut laisser faire et s’allier au vainqueur », comme dit un principautaire.

Elio Di Rupo, lui, s’appuiera pour contenir le golem, voire pour l’exorciser de son dibbouk, sur ces corps intermédiaires avec lesquels il a renoué. Il devra avoir, d’ici là, donné des gages aux aspirations décumulardes en cédant certains de ses mandats. Au moins celui de député fédéral. Peut-être celui de bourgmestre de Mons. Pour que le rabbi conserve son magistère, et parce qu’il est revenu de ce golem qui était si gentil. Avant d’être frappé par le dibbouk.

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