Gérald Papy

Entre Europe forteresse et Europe passoire

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Six cents mètres. Au terme d’un périple de plus de 6 000 km, il aura manqué six cents petits mètres aux candidats à l’Eldorado européen pour concrétiser un rêve nourri sans doute depuis des années.

Le drame de Lampedusa, c’est d’abord cela : la mort comme sanction brutale d’une quête faite de souffrances, d’exploitation, de privation depuis une Erythrée dictatoriale ou une Somalie démembrée. Il faut se rendre à l’évidence. La crise économique, le renforcement des contrôles et des procédures ou la montée de la xénophobie n’ont pas éteint le pouvoir d’attraction de l’Union européenne aux yeux d’un grand nombre d’habitants de son grand hinterland.

Via les filières d’Afrique du Nord et de Turquie, l’Italie, Malte, la Grèce, Chypre, et même la Croatie ou la Bulgarie sont les pays les plus exposés (quelque 30 000 depuis début 2013 sur les côtes italiennes). Mais il tombe sous le sens que le défi concerne l’Union européenne dans sa globalité, ne fût-ce qu’au nom du principe de solidarité qui a fondé sa création. La solidarité, justement, n’est pas la vertu la mieux partagée dans l’Union actuellement. La crise de la dette l’a démontré à suffisance. La tragédie de Lampedusa doit provoquer un électrochoc et susciter, comme l’a bien résumé le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders, une réponse « globale, solidaire et équilibrée ». Pour dépasser la louable déclaration d’intention, la quête de cet objectif passe par plusieurs actions concrètes.

Il ne s’agit pas en l’occurrence – vieille antienne – d’accueillir « toute la misère du monde ». Ce n’est pas ce qui est demandé aux Européens. La « misère du monde », elle est concentrée dans l’environnement immédiat des foyers de tensions, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie. Sur les 2,1 millions de réfugiés syriens, l’Union européenne en a accueilli 50 000 et le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies lui a demandé d’en abriter 12 000 de plus. L’écrasante majorité végète au Liban, en Turquie, en Jordanie…

Il n’en reste pas moins qu’une meilleure répartition des migrants au sein des Vingt-huit contribuerait à en alléger la charge. A côté de pays comme la Suède, l’Allemagne, la France et la Belgique (sus à l’autodénigrement), qui ont accueilli proportionnellement le plus de demandeurs d’asile dans l’Union en 2012, Syriens compris, ne serait-on pas en droit d’attendre plus de solidarité des Pays-Bas ou de la Pologne, qui ambitionnent pourtant de jouer un rôle de puissance communautaire ?

Ces calculs d’apothicaires confirment qu’une véritable politique migratoire européenne fait encore défaut. S’il est erroné de dire que rien n’a été fait ces dernières années (création de l’agence de contrôle des frontières Frontex et mise en place de son instrument Eurosur), la réponse apportée est insuffisante et sans doute par trop policière. Or, les chantiers à mettre en oeuvre sont connus : dispositif de sauvetage en mer, lutte contre les trafiquants, coopération avec les pays de provenance, voire politique d’immigration légale si une reprise le permet… A rebrousse-poil du défaitisme ambiant face à l’ampleur présumée de la tâche, il est même une politique qui a commencé à engranger des résultats, celle mise en oeuvre par l’ancien Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero conjuguant surveillance des frontières, accords de réadmission, création de centres de formation professionnelle dans les Etats d’origine… A « la globalisation de l’indifférence » dénoncée par le pape François, les Européens sauront-ils répondre par « la globalisation de l’intelligence » en inventant une voie médiane entre Europe forteresse et Europe passoire ?

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