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Enseignement à Bruxelles : les chiffres qui font trembler les francophones

Avec 170 000 à 200 000 habitants de plus dans quatre ans, Bruxelles grandit à très vive allure. Une explosion démographique qui donne le vertige avec, à la clé, une pléthore de problèmes à régler : notamment l’instruction de 22 700 nouveaux élèves.

Nous sommes engagés dans une course contre la montre », déclarait sur un ton alarmiste, il y a tout juste un an, Charles Picqué faisant état d’un choc démographique annoncé à Bruxelles. Mandaté par le ministre-président socialiste, l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA) alignait alors des projections édifiantes : 200 000 habitants de plus en moins de dix ans.

« Cette augmentation concerne en particulier les enfants en âge d’être scolarisés. » Soit pas moins de 18 000 places à créer dans le primaire et 4 700 dans le secondaire, endéans les quatre ans. Un « bourrelet » démographique qui n’est pas ponctuel, quelque 12 000 écoliers et 7 800 élèves étant attendus à la rentrée 2020.
Aujourd’hui déjà, dans des « poches » géographiquement bien identifiées, au nord-ouest et au centre, les rentrées scolaires précédentes se sont révélées acrobatiques. Pour absorber un nombre croissant d’élèves en maternelle et en primaire, des communes en sont déjà réduites au rafistolage. En septembre dernier, à Anderlecht, il a fallu loger en urgence une école maternelle tout en préfabriqué. Pis ! à la rentrée 2009, l’entité a dû « caser » 650 bambins dans des greniers, des caves, des couloirs, des bibliothèques, transformées en classes. Mais ces pratiques ont atteint leurs limites. Saint-Josse-ten-Noode est ainsi aux prises avec de graves problèmes d’espace : plus aucun mètre carré disponible. En petite section, on enregistre deux demandes pour moins d’une seule place. Résultat : des parents sont contraints d’envoyer leurs enfants dans un établissement plus éloigné du domicile, voire d’inscrire une fratrie à différents endroits.

Aveuglement des politiques

N’a-t-on rien vu venir ? Non, reconnaît-on à la Communauté française. Cette simple déclaration mérite qu’on s’y attarde, car elle démontre que les pouvoirs publics n’étaient donc nullement préparés à l’essor démographique. « L’ancienne majorité n’a donné aucune priorité à ce dossier, déclare un expert au cabinet du ministre Ecolo Jean-Marc Nollet. Sur les 49 projets ex-Partenariats publics-privés, 4 étaient situés à Bruxelles et près d’un tiers au Luxembourg. »

Pourtant, la saturation actuelle se dessinait déjà il y a trois ans et demi : en 2008, le Bureau du Plan annonçait déjà 170 000 nouveaux habitants pour 2020. Un scénario en retrait des tendances révélées par l’IBSA, mais qui montre une progression très nette. Les Bruxellois, avec les Flamands, ont aussi joué les sonneurs d’alerte. En mars 2009, sur la base d’une étude réalisée par la VUB en 2008, Guy Vanhengel (Open VLD), ministre bruxellois de l’Enseignement flamand, estimait que l’école néerlandophone aurait besoin de 3 000 nouvelles places à l’horizon 2015, pour 12 000 dans l’enseignement francophone.

En tout cas, le défi, gigantesque, a eu du mal à créer l’unanimité autour de lui. Comprenez sensibiliser la Communauté française, qui de plus ne disposait alors d’aucun cadastre du nombre de places disponibles dans les écoles maternelles et primaires en Région bruxelloise.

Comment répondre à la demande pressante, même si aujourd’hui tous les élus se seraient calés sur le scénario de l’IBSA, qui avance la nécessité d’ouvrir 79 écoles d’ici à 2015 ? Mais la perspective, qui soulève la grimace, n’est toutefois pas avalisée par les collègues communautaires. « L’IBSA ne prend en compte que les communes dont la population augmente et non celles dont la population diminue, ce qui n’est pas sans effets sur l’ampleur des chiffres avancés », commente Bruno Ponchau, en charge des bâtiments scolaires auprès de Jean-Marc Nollet. L’observation heurte des mandataires bruxellois. « On ne peut plus attendre. Si nous n’agissons pas maintenant, nous arriverons à une situation où, en Belgique, on pourra dire qu’il n’existe plus d’enseignement pour tout le monde », déclare Philippe Moureaux (PS), bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean, dont la population a augmenté de 25 % en dix ans.

Premières promesses

Pour faire face, les exécutifs francophones ont établi une task force réunissant ministres bruxellois, wallons et de la Communauté française. Son but : établir une stratégie commune. En octobre 2010, l’équipe Demotte annonçait la création de 10 525 places, dont 4 151 dans le primaire officiel à Bruxelles d’ici à 2017. Les communes les mieux servies : Molenbeek et Bruxelles-Ville, avec 450 et 650 nouvelles places. Cette répartition se fait-elle là où les besoins sont criants ? « Dans l’urgence, et en concertation avec les communes, nous avons déterminé les projets susceptibles d’apporter une réponse à moyen terme. Nous avons également tenu compte du coût par place », déclare Jean-Marc Nollet. Aujourd’hui, les communes « sélectionnées » ont reçu leurs promesses de subsides. Une certitude : « Cette répartition des moyens en investissements ne peut répondre à elle seule au défi », poursuit Jean-Marc Nollet.

Chez Rudy Demotte (PS), on estime d’ailleurs que des inconnues subsistent encore : les investissements qui seront consentis par le libre et ceux que pourrait faire la Région flamande (à Bruxelles coexistent les deux Communautés). Là, rien d’acquis encore. « Les néerlandophones rejettent le modèle régional. D’accord, mais qu’ils assument le modèle communautaire et, pour le moment, on est loin du compte. Aucun investissement nouveau n’a été annoncé par la Communauté flamande. Seule la commission communautaire flamande s’est clairement positionnée pour augmenter la capacité de l’enseignement », réagit Charles Picqué. En Flandre, on soupçonne plutôt la Communauté française de vouloir limiter ses coûts en les déplaçant au maximum vers l’enseignement flamand. Ambiance…

Personne n’a les moyens de construire 79 écoles

Où va-t-on trouver l’argent pour les investissements ? En fait, personne n’a les moyens de construire 79 écoles. C’est bien là que se trouvent les points de friction. Pour Rudy Demotte, « dans un contexte budgétaire extrêmement tendu, la Communauté française a fait le maximum ». Sera-t-il suffisant ? Cet effort exceptionnel paraît dérisoire à l’échelle bruxelloise : il couvre 23 % des besoins identifiés aujourd’hui, c’est-à-dire 4 151 places quand la demande porte sur 18 000. Exemple à Molenbeek. La commune table sur 3 000 nouvelles places à l’horizon 2015, contre 4 600 requises, soit un déficit de 1 600 places. Au total, plus de 50 millions d’euros seront nécessaires. « Alors, nous allons aider au financement des projets d’écoles », commente Charles Picqué.

Avec quels moyens ? Pour Bruxelles, des pistes existent comme mobiliser les subsides communaux (versés par la Région) pour les constructions scolaires, et étendre les contrats de quartier (financés par le fédéral). Ces possibilités sont encore à l’étude… « On compense de plus en plus ce que les Communautés ne veulent pas assumer. Mais on est sur le fil du rasoir : ces compensations pourraient être contestées par la Cour des comptes », poursuit Charles Picqué. Sa position, il est vrai, n’est pas désintéressée : les Bruxellois réclament un juste refinancement de leur Région.

Devant l’urgence, il faut également assouplir les règles d’urbanisme pour la construction de nouveaux bâtiments – la durée de réalisation de tels projets se compte en trois à quatre ans. « Sur ce point, ce n’est pas la Communauté française qui détient les leviers », déclare-t-on à l’exécutif communautaire. Sous-entendu : Charles Picqué ne peut être un simple comptable et refiler la « patate chaude » à la Communauté française.

Et les enseignants ?

Dans l’immédiat, et en attendant l’extension du parc scolaire, comment organiser les rentrées qui risquent, à nouveau, de s’avérer acrobatiques ? Pour septembre prochain, il faudra accueillir des élèves dans des unités préfabriquées. Au cabinet Nollet, on a cédé à la Région bruxelloise le soin de s’en charger… Celle-ci a dégagé un subside spécial (de 4,5 à 9 millions d’euros) pour couvrir l’achat des conteneurs et les coûts d’aménagement des terrains.

Autre point nodal et non des moindres : comment amener des enseignants à Bruxelles, où la pénurie est plus criante qu’ailleurs ? Certains ont des idées, comme de leur accorder une prime au logement. Osera-t-on ? Cette éventuelle mesure est susceptible de déclencher un tollé chez les syndicats, farouchement opposés à toute différence de traitement. D’ici à 2020, il faudra également former, pour Bruxelles, 40 instituteurs maternels et 80 instituteurs primaires par an. Comment attirer les étudiants vers ces études ?
« L’essor démographique est l’occasion pour les Communautés de démontrer qu’elles se soucient de la capitale de notre pays », conclut Charles Picqué. Oui, c’est bien le sort de Bruxelles qui se joue dans les négociations actuelles.

SORAYA GHALI

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