Carte blanche

Ecolo : « Tirons les leçons du CETA »

Depuis le 14 octobre, plus aucun diplomate n’ignore où se situe la Wallonie. Géographiquement et politiquement. C’est en effet ce jour-là que son Ministre-Président, Paul Magnette, annonçait qu’il ne pouvait pas accepter l’Accord Economique et Commercial Global entre l’UE et le Canada. Il fondait sa position sur une résolution du parlement wallon.

Ce parlement a consacré une vingtaine de ses réunions depuis ses deux dernières années à l’analyse du texte. Au cours de ces réunions, des experts, des représentants de la société civile, de la Commission et du Canada ont livré leurs analyses dudit Traité.

La saga CETA s’est finalement dénouée ces derniers jours lorsqu’un accord intra-belge est intervenu jeudi, qu’il a été confirmé vendredi par les parlements régionaux et que le Traité fut signé par les Européens et les Canadiens ce dimanche.

Les Cassandre ont mis en garde que la persistance du veto wallon signifierait la mort de la politique commerciale européenne qui est l’une des rares compétences exclusivement gérées par l’UE. C’est d’ailleurs, la principale raison avancée par certains fédéralistes européens pour tempêter contre les Wallons ; peu leur importe au final le contenu controversé de l’accord.

Il est désormais clair qu’il faudra repenser la politique commerciale en profondeur.

Sans grand enthousiasme, la Commission avait ouvert le débat en publiant en octobre 2015 une nouvelle stratégie « Trade for all ». Elle y plaidait en faveur d’une politique de commerce et d’investissement « plus transparente, fondée sur les valeurs et tournée vers l’avenir pour façonner la mondialisation ». Prenons-la au mot !

Une politique commerciale centrée sur l’intérêt général

Au 21e siècle, la politique commerciale ne peut plus avoir pour objectif la maximisation des flux commerciaux internationaux, antagoniques avec l’impératif de réduire notre empreinte écologique, pas plus que la maximisation des profits des entreprises, qui n’est pas l’objet des politiques publiques, ou encore la concentration de ces profits entre des mains toujours moins nombreuses, ce qui est contraire à l’intérêt général. Au contraire, l’objectif premier de cette politique doit être la propagation des standards sociaux, environnementaux, sanitaires et démocratiques les plus élevés. Autrement dit, ils doivent être l’instrument par lequel nos démocraties renforcent le cadre dans lequel peuvent se déployer les activités économiques, plutôt que de se le laisser dicter par les entreprises multinationales. Et compte tenu du fait que 1 % des entreprises – généralement, des grandes entreprises qui ont souvent recours à l’ingénierie fiscale – concentrent 50 % des exportation, ces accords doivent aussi contenir d’ambitieuses dispositions de coopération fiscale. Cette proposition ne devrait pas être perçue comme révolutionnaire : il y a à peine un an, la communauté internationale adoptait le nouveau programme de développement durable des Nations Unies qui ne vise rien d’autre que cela ! Nos traités commerciaux – qu’ils soient en gestation – CETA, TTIP, TISA… – ou à venir, doivent donc contribuer à améliorer le bien-être des populations, ici et ailleurs, aujourd’hui et à l’avenir, plutôt que les ratios financiers de la poignée de grandes entreprises qui profiteront des libéralisations.

Coopération réglementaire = harmonisation vers le haut

Les accords transatlantiques ne sont pas des accords de libre-échange au sens classique du terme puisque, sauf exception agricole notamment, les échanges de biens, de services et d’investissement sont déjà libres. Ces accords visent l’harmonisation des normes et des règles qui encadrent nos sociétés et l’économie et que les multinationales considèrent comme des obstacles. Or certaines de ces normes et règles sont des choix démocratiques, comme les services publics ou le principe de précaution par exemple. Si la convergence des normes entre les deux rives peut faire sens, c’est évidemment par une approche sectorielle en prenant systématiquement la norme la plus élevée comme la référence à atteindre. Certainement pas en échangeant les marchés publics contre de la sécurité alimentaire, de la protection du climat contre de la protection de la santé, en plaçant les intérêts privés au-dessus de l’intérêt.

Pour que les citoyens se réapproprient l’Europe, il faut maintenant tirer les leçons du CETA

Relégitimer les accords commerciaux

Le début de l’été fut marqué par une polémique concernant la nature du CETA : accord mixte ou européen. Autrement dit, fallait-il le soumettre aux 38 parlements nationaux et régionaux ou non ? Après avoir tenté de passer en force, la Commission a finalement cédé face aux exigences des États membres (poussés dans le dos par leur opinion publique). L’accord fut déclaré mixte ce dont se mordent les doigts une série de ministres tout surpris du blocage par cette petite région de moins 4 millions d’habitants.

Le blocage n’est pas dû à un caprice que la Wallonie imposerait au reste du monde. Il résulte de l’opacité des travaux et de la méfiance généralisée envers les « élites » et plus particulièrement les eurocrates. Et comment pourrait-il en être autrement alors que les inégalités se sont aggravées au point que, selon l’Organisation internationale du travail, la classe moyenne est une espèce en voie de disparition dans nos pays ? Outre ce climat hostile, mais compréhensible, l’unanimité paralyse l’Europe en raison du risque de veto qui peut survenir après des années de négociations sur un dossier, en l’occurrence du CETA. La majorité qualifiée devrait être généralisée à tous les domaines, qu’il s’agisse de la fiscalité ou de la politique commerciale. Et de tels accords pourraient être considérés comme de compétences exclusivement européennes, mais moyennant deux conditions démocratiques capitales. La première obligerait la Commission européenne à présenter tout projet de mandat de négociation sous la forme d’un acte législatif soumis aux amendements et à l’adoption par le Conseil ET par le Parlement. Comme pour toute autre matière, le projet pourrait faire l’objet d’un carton jaune de la part des parlements des États membres. La publicité du processus permettrait à la société civile pourrait ainsi faire valoir ses arguments auprès des mandataires politiques, lesquels devraient désormais à leur tour assumer publiquement leurs responsabilités. La seconde condition consisterait à soumettre le processus de négociation lui-même au contrôle permanent – avant et après chaque session de négociation – à la fois du Conseil et du Parlement, de sorte qu’ils puissent s’assurer que le mandat soit respecté et à éviter toute surprise en fin de parcours.

Vers un mécanisme de règlement des différends ouverts aux États et à la société civile

Quant à la protection des investisseurs, elle existe dans tous nos pays, à travers la justice publique. Aucune justification économique n’est venue étayer la nécessité d’un transfert de notre souveraineté juridique vers des tribunaux d’arbitrage privés. Nous contestons avec force leur nécessité. En effet, par définition, un investisseur prend des risques, en vue de faire du profit : et lorsqu’il décide d’engager des moyens financiers ou matériels dans des pays à l’état de droit chancelant, il ne peut ignorer le risque politique. Ce risque doit-il être assumé par la société dans son ensemble, sous la forme notamment de tribunaux arbitraux ? Nous pensons au contraire que la règle de base doit réaffirmer la primauté des juridictions nationales dans le règlement des différends. On pourrait alors envisager l’établissement d’une véritable cour commerciale internationale comme ultime recours, mais une fois encore moyennant des conditions rigoureuses. Elle devrait être constituée de juges nommés, payés au salaire fixe et exempts de tout conflit intérêt. Cette Cour devrait être accessible de manière symétrique à la fois aux entreprises et aux États, de même qu’aux syndicats et aux organisations de la société civile, souhaitant poursuivre les entreprises qui se dérobent à leurs responsabilités sociétales, et ce, sur base des lignes directrices sur les entreprises multinationales de l’OCDE par exemple. Ainsi, les pouvoirs publics pourraient trainer en justice les entreprises qui refusent d’assumer la dépollution des sols après la fermeture d’un site ou qui se rendent coupables d’une faillite frauduleuse.

Parachever le marché unique doit rester la priorité

Enfin, s’il est une priorité que l’Union européenne devrait se fixer en matière de commerce international, c’est bien… l’accomplissement de son marché unique. Si seules quelques PME sont intéressées par la grande exportation, innombrables sont celles qui éprouvent bien des difficultés à opérer ne serait-ce que dans deux États membres de l’Union. L’harmonisation vers le haut des standards sociaux, environnementaux, sanitaires, mais aussi des règles d’accès à la profession ou encore l’unification de nos marchés de télécoms ou de l’énergie demeurent des objectifs encore largement insatisfaits.

Le CETA a eu le mérite d’ouvrir un débat et de créer un embryon d’espace public européen. Il s’agit maintenant pour les démocrates et fédéralistes de veiller à ce que celui-ci ne se referme pas, mais au contraire, s’étende à un nombre croissant d’Européens. C’est par là aussi, et surtout par là, que doit passer l’intégration européenne, en permettant et acceptant le débat contradictoire. À moins que les déçus de l’Europe n’aient raison de penser que celle-ci ne soit qu’au service des lobbies et des puissants.

Zakia Khattabi, co-Présidente Ecolo

Philippe Lamberts, eurodéputé Ecolo, co-Président des Verts UE

Bart Staes, eurodéputé Groen

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