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Ecolo :  » N’ayons pas peur d’être wallons ! »

« Il n’y a pas de raison que les Wallons restent muets », déclare Bernard Wesphael, chef de groupe Ecolo au parlement wallon. Le député rebelle fait souffler un vent régionaliste dans son parti, traditionnellement enclin à défendre la Communauté française.

Ira ? Ira pas ? Si la participation d’Ecolo au prochain gouvernement fédéral demeure incertaine, les verts devraient par contre appuyer la réforme de l’Etat qui s’annonce. Sur ce terrain institutionnel, la position des écolos est connue : attachement au fédéralisme, liens étroits avec les Flamands de Groen !, défense de la Communauté française en tant qu’institution. Spécialiste attitré du parti en la matière, Marcel Cheron est l’un des plus chauds partisans du rapprochement entre Bruxelles et la Wallonie. Cette volonté d’unir les francophones menace-t-elle les identités régionales des uns et des autres ? Bernard Wesphael n’ira pas jusque-là. Le député wallon assure qu’il se trouve bien sur la même ligne que Marcel Cheron. N’empêche, son discours tout en sous-entendus (« A ce stade, je me refuse à dire qu’il faut supprimer la Communauté française ») comporte des accents régionalistes assez inhabituels chez Ecolo. Interview.

Le Vif/L’Express : Les enjeux institutionnels n’ont jamais été la tasse de thé d’Ecolo. Votre parti est-il crédible sur ce terrain-là ?

Bernard Wesphael : Je crois que oui. Parce que nous sommes le contraire de boutefeux. Il y a, dans la famille verte, une certaine sagesse sur les questions communautaires. Mais il existe évidemment des sensibilités diverses. Je suis très attaché à un Etat fédéral basé sur des Régions fortes. Je pense qu’il faut donner à la Wallonie la maîtrise de son avenir. En solidarité avec Bruxelles, évidemment, mais sans avoir peur de permettre à la Wallonie de développer un projet propre, décliné dans tous les domaines – économique, social, mais aussi culturel. Malheureusement, on assiste à une certaine frilosité du côté wallon. La Flandre vient de rappeler ses priorités. Il n’y a pas de raison qu’à l’approche d’un débat institutionnel important, les Wallons restent muets.

Il faut « oser être wallon », pour reprendre la formule utilisée naguère par certains militants régionalistes ?

Oui, il faut oser être wallon ! N’ayons pas peur de dire que nous sommes fiers d’être wallons ! Non pas à la façon des imbéciles qui sont nés quelque part, comme dirait Brassens, mais parce que nous avons chez nous des esprits brillants, et que nous sommes prêts à développer notre Région. Même s’il nous manque un certain nombre de leviers pour permettre un véritable décollage…

La Wallonie, qui bénéficie déjà d’une très large autonomie, ne dispose-t-elle pas de tous les « leviers » nécessaires pour assurer son redéploiement ? Que lui manque-t-il encore ?

Je pense que la Wallonie devrait avoir ses leviers d’investissements publics, autres que la Caisse wallonne (1), qui est une initiative sympathique, mais qui ne permet pas le financement de grands chantiers. Bien sûr, avant de créer un outil financier fort, il faut d’abord supprimer des couches à la lasagne institutionnelle wallonne. On a trop de structures publiques, trop de succursales d’intercommunales dont l’utilité reste à démontrer. Il ne serait pas sain de rajouter une tranche supplémentaire sans rationaliser en profondeur les outils existants. Néanmoins, disposer d’un outil d’investissement public permettrait de financer de grands projets fédérateurs – qui ne sont pas les chantiers d’hier, comme les autoroutes ou les aéroports…

L’avenir économique de la Wallonie ne passe pas par les aéroports ?

Etait-ce une bonne idée de soutenir à coups de centaines de millions d’euros le développement d’aéroports régionaux qui vont participer très activement au réchauffement climatique ? Je ne le pense pas. Ces activités sont, de plus, parfaitement délocalisables. On a bien vu le chantage de Ryanair… Maintenant que les aéroports existent, qu’ils créent des emplois et que nous traversons une crise économique importante, ils s’avèrent bien indispensables à Liège et à Charleroi. Mais je n’ai pas le sentiment, dans le contexte international lié au réchauffement climatique, qu’on pourra continuer à voler demain comme on le fait aujourd’hui. Le trafic aérien croît chaque année de 4 %. C’est complètement déraisonnable.

En mars dernier, le ministre-président wallon Rudy Demotte (PS) proposait de lancer un vaste débat autour de l’identité wallonne. Une initiative heureuse ?

La question, telle que posée, sur les armoiries et sur le coq wallon, n’a aucun intérêt. Oui, je suis fir d’esse wallon ! Mais ce qu’il faut se demander c’est : quel projet wallon allons-nous défendre ? Avec la réforme de l’Etat, nous allons hériter de nouvelles compétences. Il est essentiel de réfléchir à la façon de les utiliser, dans une perspective de rassemblement autour d’un projet wallon. Je constate encore un manque d’adhésion à une idée transversale. Certains continuent de s’inscrire dans un esprit de clocher. A cause de cela, les initiatives qui sont prises aujourd’hui en Wallonie, notamment en matière de gouvernance ou d’aménagement du territoire, sont mises à mal par des résistances qui ne visent pas l’intérêt général, mais l’intérêt sous-localiste, et souvent le clientélisme partisan. On l’a vu dans le dossier Citta verde (2). Si nous voulons une Wallonie forte, il nous faut un parlement fort, qui représente d’abord l’intérêt transversal de la Wallonie. Pour cela, la première étape serait de créer une circonscription wallonne unique aux élections régionales. Le parlement wallon serait en partie composé de députés élus sur l’ensemble du territoire wallon, tandis que les autres seraient élus sur la base des arrondissements actuels.

Dans votre esprit, le destin des Wallons est-il forcément lié à celui des Bruxellois ?

Ce qui compte surtout, c’est de comprendre que Bruxelles a besoin d’aide, d’urgence. La Région bruxelloise souffre d’un sous-financement chronique. Là, les Wallons ont un rôle de soutien à l’égard de Bruxelles. Il peut y avoir des synergies importantes entre Bruxelles et la Wallonie dans les matières économiques, environnementales et culturelles. C’est souhaitable. Mais j’en reviens toujours à l’idée première : pour créer des passerelles entre Bruxelles et la Wallonie, il faut d’abord permettre à chacune de ces deux Régions de construire son projet propre. Osons affirmer la réalité régionale !

Ces passerelles entre la Wallonie et Bruxelles, elles ne passent pas par la Communauté française ?
C’est un débat qui est ouvert, ça…

Mais quelle est votre position ?

A ce stade-ci, je me refuse à dire qu’il faut supprimer la Communauté française.

En votre for intérieur, êtes-vous attaché à la Communauté française ?

[Long silence.] L’entité qui a un sens, pour moi, c’est la fédération Wallonie-Bruxelles. Cela, ça a un sens véritable. Doit-elle prendre la forme d’une Communauté, telle qu’elle existe aujourd’hui ? Ne peut-elle pas évoluer vers une structure plus souple de coopération entre les Régions ? Cela se discute. Je n’ai pas de divergences avec Marcel Cheron concernant la nécessité de tisser des liens forts entre la Wallonie et Bruxelles. Il n’y a pas de contradiction entre une Wallonie qui ose affirmer son projet, sa culture, et la solidarité avec les autres régions du pays et d’Europe.

Vous êtes l’un des rares élus Ecolo à être membre du parti depuis sa fondation, en 1980. Quel bilan général tirez-vous de ces trente ans d’existence ?
D’abord, je constate que l’écologie politique est durable. Trente ans après, nous sommes toujours là, alors que beaucoup prédisaient notre disparition. Le deuxième élément qui me frappe, c’est une faiblesse : nous incarnons une gauche moderne, non dogmatique, non clientéliste, différente de la vieille gauche, mais on ne le dit pas assez haut et fort. Notre victoire en 2009 est due en grande partie au fait que nous avons été perçus comme un parti qui voulait assainir les moeurs politiques. Ecolo incarnait une autre manière de penser la gouvernance. Cette dimension-là a été passée au bleu durant cette campagne. Ecolo doit se présenter plus clairement comme un parti progressiste moderne, attaché aux valeurs de solidarité.

Cette dimension « solidaire » a été mise au second plan lors de la campagne électorale ?

Je pense qu’on n’en a pas parlé, tout simplement. Or on ne résoudra pas la crise climatique sans résoudre au préalable la crise sociale.

Si l’on vous suit bien, Ecolo doit mettre plus en avant son ancrage à gauche, tout en marquant davantage sa différence avec le PS. Compliqué, ça…

Il faut réancrer Ecolo véritablement à gauche, mais une gauche qui n’est pas celle du PS, qui est complètement ailleurs. Nous insistons par exemple sur la recherche d’une qualité de vie, dans des domaines qui ne sont pas nécessairement marchands. Avoir toujours plus n’est pas notre conception des choses. Mais la solidarité avec les personnes qui se trouvent dans le besoin n’est pas négociable chez nous. Nous sommes farouchement contre le néolibéralisme. Au passage, je signale que je ne confonds pas le MR avec le néolibéralisme. Le MR est un parti de centre-droit, pas forcément néolibéral.

Contrairement à vous, Jean-Michel Javaux n’aime pas situer Ecolo sur l’axe gauche-droite. C’était l’une de vos divergences quand vous vous êtes présenté contre lui pour la présidence du parti, en 2003 ?

Oui, c’était une des différences. Nous avons parfois des sensibilités différentes.

François BRABANT

(1) Lancée en avril 2009 par la Région wallonne, la Caisse d’investissement de Wallonie (CIW) est financée par l’épargne des citoyens et investit dans des PME. (2) Projet de centre commercial à Farciennes, refusé par le ministre Philippe Henry (Ecolo). Une décision contestée au sein même du gouvernement wallon, notamment par Paul Furlan (PS).

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