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Duel entre Di Rupo et Michel: En cette moitié de mandat, qui s’en sort le mieux ?

« Je n’ai jamais vu un gouvernement aussi mauvais », s’est exclamé Di Rupo à propos du gouvernement Michel. Ce sentiment à tendance à s’étendre à d’autres. Mais alors, ce gouvernement est-il bien celui qui, comme il l’a promis, va changer la donne ? Knack a fait le test.

Le gouvernement Michel ne remplit pas ses promesses. Il serait le gouvernement qui allait mettre fin à la politique du compromis en affichant des choix idéologiques clairs. Sauf que, rapidement, ce même gouvernement va se transformer en « cabinet du rififi ». Depuis l’annonce d’une taxe sur les plus-values, une exigence du CD&V qui s’est transformé dans la foulée en bombe à retardement, ils ne sont plus rares à augurer une fin aussi funeste que proche à ce gouvernement. Certains vont même jusqu’à se demander si ce gouvernement fait vraiment mieux que le gouvernement « marxiste et taxateur » qui le précédait.

Est-ce le cas ? Une telle comparaison n’a rien de hasardeux ou de farfelu puisqu’en ce début 2017 le gouvernement Michel est en poste sur une aussi longue période que ne l’était en son temps le gouvernement Di Rupo. Un gouvernement qui – rappelons-le – lèvera le camp après deux ans et demi aux commandes. Ou pour le dire autrement la coalition peu habituelle d’aujourd’hui a eu autant de temps que la tripartite classique pour tenter de régler le budget et de lancer les réformes économiques qui leur tenaient respectivement à coeur.

Bien sûr, une telle parallèle n’est jamais idéale puisque l’Europe a connu une crise en 2009. Une crise dont la Belgique comme les autres pays a eu du mal à se relever. Ce genre d’évènement pèse sur n’importe quel gouvernement et cela rend difficile de mesurer l’impact réel des réformes. C’est pour cela que nous avons fait appel à différents experts de différentes universités : Wim Moesen (expert du budget et professeur à la KU Leuven), Luc Sels (spécialiste des sciences du travail et professeur à la KU Leuven), Michel Maus (expert fiscaliste et professeur à la VUB), Ive Marx (économiste et professeur à l’UAntwerpen), Lieven Annemans (économiste spécialisé dans la santé et professeur à l’UGent) et Herman Matthijs (Professeur en Finances publiques à l’UGent et la VUB).

Ces derniers nous ont dressé un portrait étrangement similaire des deux gouvernements. Un portrait qui a de quoi intriguer. Le déficit budgétaire que Charles Michel n’arrive pas à juguler en est peut-être l’exemple le plus parlant. Après plus de deux ans aux commandes, ce gouvernement semble bien avoir été rattrapé par la réalité. Un bulletin en plusieurs points.

Budget et finances de l’état: « plus mauvais que le gouvernement Di Rupo »

2010: -4

2011: -4.1

2012: -4.2

2013: -3

2014: -3.1

2015: -2.5

2016: -3.0

Nos gouvernements ont toujours eu du mal à réaliser leur budget. Lorsque Di Rupo s’attelle à la tâche, le déficit budgétaire s’élevait à 4,1 % du PIB. Celui-ci va descendre jusqu’à 3.1 % à la fin de son mandat. Charles Michel va lui passer de 3.1 à 3 en deux ans. Les deux gouvernements ont pu profiter de la baisse des taux d’intérêt qui était liée à une faible croissance économique. Du coup, comment un gouvernement arrive-t-il à faire fondre le déficit d’un 1% alors que l’autre pas ?

Selon Wim Moesen cela est dû au fait que « sous Di Rupo, le gros des mesures d’économie se basait sur une hausse des taxes, même s’il y a tout de même eu quelques réformes structurelles visant par exemple à réduire les coûts du chômage et limiter la hausse naturelle de coûts des soins de santé. Michel a lui introduit un taxshift, visant à déplacer les taxes du travail vers la consommation, la pollution et la fortune. C’est l’une des meilleures mesures du gouvernement sauf qu’il a mal calculé son coût et que la baisse des impôts sur le travail n’est pas compensée par les autres impôts. Le taxshift n’est donc pas neutre fiscalement et c’est ce qui creuse le déficit budgétaire. A titre de comparaison le déficit budgétaire aux Pays-Bas est passé dans la même période de 4.3 % en 2011 à 2.4 en 2014 et n’est en 2016 plus que de 0.5.

La conclusion de Moesen est donc la suivante: « Malgré une légère amélioration de la conjoncture, le gouvernement Michel a fait clairement moins bien que le gouvernement Di Rupo en ce qui concerne les finances publiques. Au point que 2016 est même considérée comme une année perdue. Au point aussi qu’à la fois l’Europe, le FMI et l’OCDE exigent que la Belgique établisse désormais un rapport clair avec ses entrées et dépenses. Il est vrai que, sous le gouvernement Michel, la budgétisation n’a pas été faite de manière sérieuse et professionnelle.

Réforme fiscale: « De bonnes intentions avec de mauvais résultats. ‘

Taux d’imposition (ou la part de nos revenus que nous donnons en moyenne au gouvernement)

2010: 42,6%

2011: 43,1%

2012: 44,2%

2013: 45%

2014: 45%

2015: 44,8%

Le gouvernement Di Rupo a augmenté les impôts et le gouvernement Michel les a réduits. Il est vrai que le taux d’imposition a pris de l’ampleur sous le gouvernement Di Rupo. En moyenne une famille donnait 43.1 % de ses revenus à l’état et en 2014 cela était passé à 45 %. Le Gouvernement Michel a lancé le taxshift qui a permis à chacun de voir son salaire à la fin du mois augmenter un tout, tout, petit peu. Le taux d’imposition est passé à 44.8. Ce qui reste tout de même l’un des plus hauts taux d’Europe.

« Mais ce même taxshift coûte aux finances de l’état et donc augmente la dette. Par ailleurs tout le monde dit qu’il faut simplifier les impôts. Or le gouvernement Michel a tendance à encore les complexifier en créant un nombre innombrable d’exceptions. De quoi créer nombre d’inégalités fiscales. La chasse aux fraudeurs fiscaux ne semble pas non plus être miraculeuse. Celle-ci devrait rapporter 425 millions par an, or on en est loin. Les intentions fiscales du gouvernement Michel étaient a priori bien meilleures que celles du gouvernement Di Rupo, mais leur exécution laisse franchement à désirer » dit Maus.

Opportunité d’emploi: à égalité

« Jobs, jobs, jobs »: c’était les trois priorités du premier ministre Charles Michel lors de la présentation de son gouvernement en octobre 2014. Et il souhaitait qu’une majorité vienne du secteur privé. Et cela a été le cas. Entre 2011 et 2013, le nombre de salariés est passé de 3,411 millions à 3,375. En 2014, il passe à 3,401 et en 2016 à 3,470 millions. Le gouvernement Michel semble donc clairement avoir eu un impact.

« Sauf qu’on ne peut juger un gouvernement uniquement sur ces chiffres » prévient Luc Sels. « Le gouvernement Di Rupo a commencé après une crise importante. Contrairement à d’autres pays, le nombre d’emplois a été maintenu à flots au travers de diverses mesures. Entre temps les eaux économiques sont plus calmes et l’économie reprend du poil de la bête ce qui a amené plus d’emploi. Par ailleurs on ne verra les effets bénéfiques du taxshift sur l’emploi d’ici quelques années. En plus la Belgique se trouve un peu à la traîne en ce qui concerne la création d’emploi si l’on regarde ce qu’il se passe dans le reste de l’Europe.

Sels voit surtout, dans ce domaine bien particulier, une certaine continuité dans ces deux gouvernements. Di Rupo avait déjà annoncé qu’il faudrait augmenter l’âge de la pension et que les conditions de pré-pensions allaient être durcies. Ce qui a préparé le terrain. Di Rupo a fait la passe et Michel a marqué le but en quelque sorte. Ce qui fait que je trouve que sur ce point ils sont à égalité. »

Soins de santé : « De Block ira beaucoup plus loin que Onkelinx »

Les indemnités maladies et invalidité

La populaire ministre de la Santé Maggie De Block (Open VLD) s’est retrouvée pour la première fois sous le feu des critiques après le contrôle budgétaire de novembre. Ses mesures d’économies ont provoqué la grogne du secteur. Depuis toutes ses tentatives sont décriées. Onkelinx, en son temps, avait elle aussi eu droit à sa volée de bois vert lorsqu’elle a tenté de réformer le paysage hospitalier. Ses autres mesures d’économies ne lui ont pas non plus valu que des amis.

Il y a en ce moment comme une accélération trouve l’économiste spécialisé dans la santé Lieven Annemans. « De Block semble déterminée à faire passer sa réforme du financement des hôpitaux. Tout comme ce fut le cas lors de ces négociations avec le secteur pharmaceutique. En construisant une relation de confiance, elle arrive à obtenir plus de réduction qu’Onkelinx. Le remboursement ne se fera plus que si le traitement est utile, efficace et rentable. Des critères très stricts auxquels De Block se tient. »

Toutes ces réformes visent à limiter la hausse des coûts des soins de santé. Il y a 10 ans ces derniers augmentaient de 4.5 % par an. Sous Di Rupo ce chiffre était passé à 2. Le gouvernement Michel est lui parvenu à le faire passer en dessous des 1.5 % des prévisions. Mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. On le sait le vieillissement et les innovations font que les coûts des soins augmentent. On estime celui-ci à 2%. Des mesures trop rudimentaires et sans vision à long terme pourraient se révéler contre-productives.

Conclusions de Annemans: « l’accord gouvernemental était ambitieux et Maggie De Block souhaite le réaliser. Elle a déjà obtenu un accord avec le secteur pharmaceutique et les mutualités et après avec les pharmacies. Peut-être que sa prédécesseure lui a facilité le travail, mais elle ira beaucoup plus loin qu’Onkelinx. »

La sécurité sociale et les pensions: Ils n’ont absolument pas inversé la tendance en tous cas.

Le gouvernement Michel a pris une décision historique: il a augmenté l’âge de la pension de 65 ans à 66 et 67 ans. Ce qui devrait permettre de rendre notre système de pension plus payable. Mais ce dernier ne sera mis en place qu’à partir de 2025 et 2030. Lorsque ce gouvernement ne sera plus d’actualité. La valeur symbolique est donc élevée. Cela nous a permis de marquer des points auprès de l’Europe et les électeurs n’ont pas à s’en soucier dans l’immédiat.

Le fait de rendre moins accessibles les prépensions, ce qui avait déjà été mis en place sous le gouvernement Di Rupo, a été élargi sous le gouvernement Michel et les pensions des fonctionnaires ont été modifiées. Leurs années d’études ne seront plus automatiquement prises en compte pour leur pension. Tout le monde peut les racheter. Mais pour le reste l’économiste Ive Marx est plutôt déçu par le gouvernement Michel. « C’est le gouvernement Di Rupo sous la houlette de la ministre Monica De Coninck (SP.A) qui a rendu les allocations d’attente des jeunes beaucoup plus strictes et les indemnités de chômage dégressives. « Ce n’est que maintenant l’on voit l’effet de ces mesures; pour le reste le gouvernement Michel n’a pas fait grand-chose. On a principalement parlé du fait de limiter ces indemnités dans le temps, mais c’est surtout symbolique. Cela n’a jamais été mis en oeuvre. « 

C’est souvent le cas trouve Marx. « Des ministres comme Kris Peeters (CD&V) lancent beaucoup d’idées, mais il n’en ressort finalement que très peu.’

Une différence notable entre les deux gouvernements est cependant leur relation avec les acteurs sociaux. Le gouvernement Di Rupo accordait de l’importance au dialogue social alors que pour le gouvernement actuel et certainement pour la N-VA ce n’est pas une priorité.

Est-ce pour cela que toutes les ambitions ne sont pas réalisées ? Marx « il est quand même surprenant de réaliser l’ampleur de la protestation face à des mesures d’économies somme toute modestes de ce gouvernement. Mais est-ce que les partenaires sociaux accepteraient ces mesures s’ils étaient plus impliqués ? Rien n’est moins sûr. J’ai quand même l’impression que sous les socialistes de plus importantes mesures étaient possibles que sous ce gouvernement de centre droit. Le gouvernement Michel ne s’en sort en tous cas pas mieux que celui de Di Rupo. Ils font beaucoup d’effet d’annonce, mais la plupart du temps ça en reste là. Ils n’ont absolument pas inversé la tendance en tous cas. »

Les fonctionnaires et les entreprises étatiques : « pas le changement promis »

La part des services publics dans l’économie belge:

2010 : 53,3%

2011: 54,4%

2012: 55,8%

2013: 55,6%

2014: 55,1%

2015: 54%

2016: 53,7%

La part des services publics dans l’économie belge est l’une des plus élevées au monde. Sous le gouvernement Di Rupo elle est passée de 54,4 % du PIB à 55,1% en 2014. Le gouvernement Michel en a fait une de ses priorités et a effectivement réussi à la faire baisser à 53,7 % en 2016.

Une primeur ? En fait oui, puisque c’est le premier gouvernement à faire baisser les dépenses et les recettes dit le professeur Herman Matthijs. « C’est historique, mais comparé à d’autres pays comme les Pays-Bas ou la Suède ce n’est pas terrible. Même si le gouvernement Michel arrive à faire baiser ce pourcentage à 53%, c’est encore fort haut. Aux Pays-Bas il est à 44.7 % en 2016 par exemple. »

Le gouvernement Michel continue ce que le gouvernement Di Rupo avait commencé: faire baisser le nombre de fonctionnaires. En augmentant il est vrai la cadence puisque désormais un fonctionnaire sur 5 ne sera pas remplacé. Pour 2019, le budget du personnel sera amputé de 12%. Mais s’il arrive effectivement à faire baisser le nombre de fonctionnaires, l’opération n’est pas pour autant un succès parce que le gouvernement ne fait pas de vrais choix. Au lieu de déterminer ce que l’état doit continuer à faire, et donc de maintenir du personnel là où il est nécessaire, les institutions dégraissent de façon linéaire. Ce qui fait que des services comme les finances ou la police fédérale sont en manque aigu de personnel.

La SNCB est une épine dans le pied de n’importe quel gouvernement. Et le gouvernement Michel n’en viendra pas plus que les autres à bout. La politique n’a aucune emprise sur ce sujet. Cela va être une seconde Sabena prédit Matthijs. « Lorsque le rail sera libéralisé, un acteur étranger va racheter la compagnie. Le gouvernement Michel a placé ses pions au sommet de l’entreprise fin 2016. On a continué les nominations politiques. Il est normal que les politiques veuillent garder un contrôle sur les entreprises étatiques. Le gouvernement précédent n’a rien fait, celui-ci non plus et il est pratiquement certain que le prochain n’en fera pas plus.’

La conclusion de Matthijs: il n’y a que peu de choses qui ont changé dans le fonctionnariat. Cela n’intéresse pas tellement l’électeur d’ailleurs. Mais même dans des sujets qui intéressent le citoyen comme une fiscalité plus simple avec moins de paperasse le gouvernement Michel n’a presté que mollement et ne fait pas grand-chose pour voir réalisée sa promesse de changement.

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