Carte blanche

Droit à l’avortement: il existe une majorité en Belgique pour le remettre en cause !

C’est une véritable lame de fond qui partout menace le droit à l’avortement. On le voit même chez nous, ce droit n’est pas acquis ! Au contraire, il doit être non seulement protégé mais renforcé aussi.

Par Karine Lalieux, Julie Fernandez Fernandez, Eric Massin, Laurette Onkelinx, Ozlem Ozen, Fabienne Winckel – député(e)s du groupe PS à la Chambre

C’est une évidence: le droit à l’avortement et le droit des femmes à disposer de leur corps sont aujourd’hui menacés de par le monde. On a tous évidemment en tête la photo cruellement symbolique de Donald Trump qui, entouré d’un aréopage exclusivement masculin, s’empresse de couper les financements à des ONG qui soutiennent le droit à l’avortement. On pense aussi aux manifestations monstres en Espagne, en Pologne, en Hongrie… pour tenter d’empêcher ou de soutenir, avec succès ou pas, l’adoption de législations toujours plus restrictives pour le droit des femmes à avorter.

C’est une véritable lame de fond qui partout menace le droit à l’avortement. Pas toujours de manière aussi spectaculaire. Elle peut parfois prendre des chemins détournés mais gagne du terrain, l’air de rien. Même chez nous, en Belgique.

Pas plus tard que le 9 février dernier, la Chambre a adopté à une très large majorité – seul le PS a voté contre – une proposition de loi déposée par le MR qui vise à reconnaître la filiation pour les couples non-mariés dès qu’un certificat atteste de la grossesse de la mère.

Pourquoi une telle loi ? Selon le MR, les administrations communales exigent aujourd’hui le respect de délais différents pour permettre la reconnaissance prénatale de la filiation aux parents non-mariés : certaines exigent un délai de six mois de grossesse avant la reconnaissance prénatale, d’autres moins. Dès lors, les libéraux, sous prétexte d’harmoniser les pratiques, ont proposé d’autoriser la reconnaissance prénatale par un parent non marié dès qu’une attestation médicale établit la grossesse. C’est-à-dire très tôt !

Sous couvert de faciliter la vie des parents et d’uniformiser les démarches administratives, les libéraux ouvrent la voie à l’octroi d’un statut au foetus.

En permettant d’établir une filiation dès les premiers jours de la grossesse, on fait rentrer l’enfant à naître, qu’il soit viable ou pas, dans le Code Civil ! On donne le nom d' »enfant » à un foetus ou un embryon !

Cette proposition est une attaque à peine déguisée contre le droit à l’avortement : le lien de filiation pourrait être établi alors que la femme est encore susceptible de pratiquer une IVG selon le droit belge. Certaines femmes pourraient donc avorter alors que l’enfant est déjà reconnu par l’autre parent. Cette reconnaissance administrative peut être un nouvel obstacle, une nouvelle pression psycho-sociale qui pèse sur les femmes souhaitant avorter.

Ce n’est pas un hasard si le Centre européen de bioéthique, un think tank d’opposants à l’avortement, salue l’adoption de cette nouvelle disposition légale qui « souligne la réalité du lien affectif entre l’homme et l’embryon-foetus, lien essentiel à l’heure où les femmes expriment leur solitude et le manque de soutien du compagnon, comme cause première les poussant à avorter. [1] »

Point de vue qui n’est pas défendu par des associations qui défendent le droit des femmes. Par exemple, le Conseil des Femmes francophones de Belgique a déjà annoncé en ce qui concerne la reconnaissance prénatale qu’il « mettra tous les moyens possibles en oeuvre pour faire échec à ces attaques de plus en plus directes, au droit fondamental des femmes à décider de poursuivre ou non une grossesse. [2] »

Pourquoi ne pas avoir uniformisé la pratique administrative en toute logique autour du délai de 6 mois déjà pratiqué par de nombreuses communes ? En effet, ce délai de 6 mois correspond aux 180 jours requis par l’article 80bis du Code civil, concernant la reconnaissance des enfants nés sans vie.

La réponse est très certainement à chercher tant du côté de la majorité MR/N-VA qui prévoit dans l’accord de gouvernement l’enregistrement des enfants nés sans vie que de certains textes au parlement qui prévoient d’octroyer la reconnaissance des enfants nés sans vie, non plus à 180 jours, mais bien à 140. Et même d’obtenir en deçà de ces 140 jours, un acte de déclaration d’enfant sans vie, sur lequel peuvent être inscrits nom et prénom.

Si les aspirations à la « reconnaissance » des enfants nés sans vie de parents frappés par la douleur sont légitimes, elles peuvent prendre d’autres formes que ce nouveau pas vers une reconnaissance légale du foetus.

La proposition MR sur la reconnaissance prénatale à tout moment de la grossesse, l’avancement de la reconnaissance de l’enfant né sans vie à 140 jours de conception, l’acte de déclaration de l’enfant né sans vie sans délai vont dans le sens de l’octroi d’une personnalité juridique au foetus.

L’avortement n’est pas un acte banal, les circonstances qui l’entourent peuvent être difficiles : les initiatives qui visent à reconnaître un statut précoce à l’enfant à naître, qu’il soit viable ou pas, fragilisent le droit à l’avortement.

On le voit même chez nous, le droit à l’avortement n’est pas acquis ! Au contraire, il doit être non seulement protégé mais renforcé aussi.

C’est le sens de plusieurs propositions déposées au Parlement par des partis de l’opposition pour sortir l’avortement du Code pénal. Pour les socialistes, l’avortement est un acte qui est intimement lié à la vie privée et à la santé des femmes, il ne doit plus être mentionné dans le Code pénal comme un « crime ou un délit contre l’ordre des familles et la morale publique », susceptible d’une peine de prison ou d’amendes. L’avortement doit, en revanche, être reconnu comme un droit fondamental des femmes à la santé et à l’autodétermination.

Mais force est de constater que si plusieurs partis de l’opposition s’entendent pour défendre la dépénalisation de l’avortement, il y a aujourd’hui une majorité dans ce pays qui s’attaque à le fragiliser ; les conservateurs de tous bords se sont trouvés pour, chez nous aussi, remettre en question le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.

[1]http://www.ieb-eib.org/fr/voir_nl_bulletin.php?id=410#sujet1193

[2] Statut du foetus, reconnaissance anténatale : les attaques au droit à l’IVG doivent cesser ; http://www.cffb.be

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