© Belga

Discrimination linguistique : parcours d’obstacles

Le Vif

Le gouvernement va-t-il enfin soutenir effectivement les victimes de discrimination linguistique, comme l’y invite le 1er rapport d’évaluation des lois antidiscrimination de 2007, présenté, mercredi, à la Chambre ? La revendication politique s’étend mais la mise en place d’un organe dédié à cette cause s’avère problématique.

Dans un courrier adressé, lundi, à l’Association pour la promotion de la francophonie en Flandre, le Premier ministre, Charles Michel (MR), « laisse le soin à la commission d’évaluation et à ses experts de s’exprimer sur les discriminations linguistiques et leur traitement ».

« Restant à votre écoute » : le geste est courtois mais les termes utilisés traduisent la prudence du chef du gouvernement qui doit composer avec son partenaire N-VA. En effet, cette revendication, francophone, portée par Défi (dans l’opposition) et la coalition des associations francophones de Flandre, hérisse les milieux nationalistes flamands, qui ne veulent pas entendre parler de discrimination linguistique frappant les francophones.

Cette prudence de l’exécutif a été réitérée, jeudi, face aux députés, lorsque Charles Michel a répondu à Georges Dallemagne (CDH) que « ce n’est qu’après la conclusion des travaux parlementaires que, le cas échéant, le gouvernement examinera les recommandations de la Chambre. »

.

La veille, en commissions réunies de la Justice et de la Santé, où était présenté le rapport d’évaluation, la demande expresse de prise en charge des discriminations linguistiques s’était étendue à Damien Thiéry (MR, majorité), Georges Dallemagne (CDH) et même Evita Willaert (Groen), tous deux de l’opposition.

La langue est le seul parmi les motifs de discrimination inscrits dans les lois de 2007 à ne pas bénéficier d’outil de protection. Tous les autres motifs (âge, genre, opinions politiques, handicap, etc) voient leurs plaintes traitées soit par le Centre interfédéral pour l’égalité des chances (UNIA), soit par l’Institut (fédéral) pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dévolu aux discriminations basées sur le genre.

Parmi ses recommandations, la commission d’évaluation des lois antidiscrimination souligne que « cette incohérence du dispositif de protection contre les discriminations crée une inégalité entre les victimes ». Elle suggère au gouvernement de « désigner un organisme de promotion de l’égalité de traitement compétent pour le motif de la langue » et relève qu’UNIA est disposé à voir ses missions élargies, lui qui recueille déjà de nombreuses plaintes fondées sur la langue, sans pouvoir les traiter.

Il y a deux façons de satisfaire à la recommandation de la commission d’évaluation. Créer un Institut national des droits de l’Homme ou étendre les compétences d’UNIA, comme le prévoit la proposition de loi Maingain-Caprasse (Défi), déposée à la Chambre.

Depuis les années nonante, l’ONU recommande aux Etats membres de créer un « Institut national des droits de l’Homme », avec mandat aussi étendu que possible et totalement indépendant des autres pouvoirs. Conditions pour être reconnu par les instances internationales. Ce serait une « première » en Belgique car UNIA n’a qu’un mandat limité et n’est pas totalement indépendant du pouvoir exécutif.

Le gouvernement promet, de son côté, la création d’un « mécanisme national de contrôle des droits de l’Homme » (notez la nuance) avant la fin de la législature.

« Des cyclistes néerlandophones tabassés à Liège »

UNIA, pour sa part, exerce ses missions dans les matières relevant de l’État fédéral, des Communautés et des Régions. Ses compétences pourraient être élargies à la discrimination linguistique. Mais cela nécessiterait un nouvel accord de coopération entre le fédéral et les entités fédérées.

« L’accord de coopération qui fonde nos compétences, explique Patrick Charlier, le directeur d’UNIA, a été signé par tous les gouvernements du pays et adopté par huit parlements, fédéral et fédérés. En cas d’extension de nos compétences aux discriminations linguistiques, cet accord de coopération devrait être approuvé par tous les ministres de l’Egalité des chances et repasser le cap de ces huit assemblées. Il faudrait donc, au préalable, un accord de tous les partis présents à ces différents niveaux de pouvoir. » Soit tous les partis démocratiques du pays, à l’exception du PTB/PVDA et des écologistes…

Politiquement, est-ce réalisable ? M. Charlier se veut optimiste.

« La proposition ne passera que si l’on dégage une majorité au sein des deux grandes Communautés du pays qui y voient un intérêt. Il ne faut pas en faire une question purement francophone. Les néerlandophones doivent se rendre compte qu’ils ont aussi intérêt à ce qu’UNIA soit compétent en matière de discrimination linguistique. A Liège, poursuit M. Charlier, nous avons eu le cas de ce groupe de cyclistes néerlandophones tabassés par des francophones parce qu’ils étaient flamands. Nous sommes là dans un délit de haine lié à la dimension communautaire. La législation antidiscrimination aurait pu les protéger efficacement.

Et les germanophones, sont-ils également sensibles à la discrimination linguistique ? Le directeur d’UNIA est formel : « Oui. Ils sont conscients d’être une minorité linguistique vis-à-vis de l’Etat fédéral et de la Région wallonne. Ils ne sont pas toujours en capacité d’être servis dans leur langue. On dépasse donc de loin l’intérêt avancé au bénéfice des seuls francophones. Si nous parvenons à faire passer cette idée des intérêts multiples, si nous arrivons à un consensus sur cette question dans les différents partis concernés, notre extension de compétences pourra se réaliser. »

Michelle Lamensch

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire