Hugues Brulin, directeur de l'encadrement à la Sûreté de l'Etat. © DR

« Des archives de la Sûreté ont, hélas, été détruites »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les archives de la Sûreté de l’Etat auraient-elles horreur de la lumière ? Hugues Brulin, directeur de l’encadrement à la Sûreté, insiste : aucun secret n’est éternel. Mais certains ont disparu sans laisser de traces.

La Belgique croulerait sous les secrets d’Etat…

Je n’en sais fichtre rien. En tout cas, il n’y a plus de secrets d’Etat dans les archives de la Sûreté de l’Etat jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tout a été nettoyé jusque 1949, archivé ou détruit.

Détruit pour des raisons valables, au moins ?

Malheureusement, nous n’en savons rien. Qu’a-t-on détruit ? Pour quels motifs ? Nous l’ignorons. Ces faits datent de nos prédécesseurs. Nous sommes les héritiers d’une situation regrettable, des errements d’un passé où les services ne raisonnaient pas en termes de transparence et d’archivage. Avant 1998, faute de législation, nécessité faisait loi. Ce que je peux vous dire, c’est que désormais toute destruction d’un document dont la dernière manipulation remonte à cinquante ans se fera sur autorisation de l’archiviste général du Royaume.

De quels secrets pourrait accoucher la montagne de dossiers en attente d’être explorés à la Sûreté ?

Ce n’est qu’en jouant à Indiana Jones que l’on pourra se faire une idée du volume et découvrir ce que contiennent les archives de la Sûreté de l’Etat qui couvrent la période allant de 1949 aux années 1970, début de l’informatisation des dossiers opérationnels à la Sûreté. On peut estimer le nombre de ces documents à examiner à plusieurs centaines de milliers au bas mot, conservés sur papier ou sur microfiches en rouleaux.

La Sûreté de l’Etat souffre-t-elle de classification aiguë ?

Nous ne classifions pas, c’est-à-dire nous ne restreignons pas l’accès à un document, pour le plaisir de cacher ou la volonté de dissimuler mais par nécessité de protéger des intérêts fondamentaux qui touchent à la sécurité du pays ou pourraient mettre des vies en danger. Non, la déclassification n’est pas une opération routinière.

Une proposition de loi à l’examen à la Chambre plaide pour une procédure de déclassification systématique, plus souple. Classifier des documents pour plus de cinquante ans deviendrait l’exception. Une hérésie ?

Une déclassification automatique nous dérangerait au plus haut point. Nous dénonçons le caractère mécanique d’une entreprise de déclassification. Seul le service compétent est à même de décider de déclassifier un de ses documents. La sensibilité d’une information ne peut s’automatiser. Déterminer quand une pièce aura perdu son caractère sensible aux yeux du monde du renseignement n’est pas évident. Nous voulons être dans la capacité de reconsidérer les délais de déclassification après évaluation, par une pondération des risques. La question clé sera évidemment les moyens humains et logistiques qu’il faudra dégager pour mettre en oeuvre un tel mécanisme – moyens que nous ne possédons pas – si la proposition de loi à l’examen devait être adoptée. La Sûreté de l’Etat n’a pas non plus vocation à devenir l’usine de déclassification des documents relevant d’autres départements ministériels.

Pourquoi faire tant de mystère à propos de vieilles histoires ?

Acquérir une source humaine exige de la part de la Sûreté de l’Etat une approche de très longue haleine. Il faut beaucoup de temps pour pouvoir tisser une relation de confiance et la préserver. Des informateurs doivent pouvoir être protégés toute leur vie et, dans l’intérêt de leurs familles, après leur décès. Une déclassification automatique des documents ferait passer un message inquiétant qui pourrait dissuader de potentiels informateurs de franchir le pas.

Lever le secret sur des archives qui ont trente, voire cinquante ans, est-ce trop demander ?

La Sûreté de l’Etat est un service de renseignement qui travaille sur des phénomènes et qui s’inscrit dans la durée. Un document ancien où figure l’identité d’une source ou qui contient une information communiquée par un service étranger peut être lié à un phénomène toujours d’actualité. La politique d’un groupement suivi par la Sûreté de l’Etat peut fort bien plonger ses racines dans des activités qui remontent à des décennies. La radicalisation est un processus très progressif. L’évolution historique du mouvement des Frères musulmans reste en lien avec des groupes terroristes actuels. Un contexte géopolitique peut aussi toujours changer. Des espions pourraient être réactivés dans des entreprises privées et publiques après des décennies.

Faux prétextes, disent certains. La Sûreté de l’Etat n’aurait tout simplement pas envie que l’on plonge dans sa cuisine interne liée à la guerre froide ou aux années de plomb, celles des CCC et des tueurs du Brabant…

Une relation de confiance structurée est en train de se bâtir entre la Sûreté de l’Etat et les Archives générales du Royaume et nous regrettons sincèrement de n’avoir pu collaborer plus tôt avec les AGR. Nous avons convenu que le nettoyage se fera en commun pour éviter le vase clos. 200 à 300 boîtes d’archives de la Sûreté coloniale ont déjà été transférées aux AGR. La Sûreté de l’Etat s’est aussi ouverte au monde académique dans les dossiers sur l’assassinat de Julien Lahaut (NDLR : leader communiste belge abattu en 1950) ou sur l’immigration italienne entre 1946 et 1956.

Le maintien du secret heurte le devoir de transparence en démocratie…

La Sûreté de l’Etat ne détient pas de secrets éternels. Tout document a vocation à être déclassifié, tôt ou tard.

Pourra-t-on un jour écrire la véritable histoire de la Sûreté de l’Etat ?

Je l’espère. Sans aller jusqu’à devenir une maison de verre, nous ne voulons plus être une tour d’ivoire. Il a aussi été décidé à la Sûreté de l’Etat que si la déclassification de documents devait déboucher sur la découverte d’infractions jadis commises en son sein, elles seront dénoncées au parquet. Force devra rester à la loi. Vous voyez que nous progressons (sourire).

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