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Degrelle : la collaboration francophone en exil

Dans Moi, Führer des Wallons ! Eddy De Bruyne évoque le sort de Léon Degrelle et de la collaboration francophone en exil sur le sol allemand. Interview.

En septembre 1944, la collaboration belge agonise tout en se radicalisant, puis exporte ses derniers soubresauts en Allemagne. En effet, lors de la Libération, des milliers de Belges qui avaient des raisons de craindre la justice ou la colère de leurs concitoyens fuient le pays. La majorité de ces réfugiés, s’ils n’étaient pas enrôlés de force dans la Division Wallonie, se contentaient, pour survivre, de travailler dans les usines du reich. Et une petite minorité d’entre eux ont cherché refuge dans les services de police afin d’éviter de se retrouver au front.

Qu’est-il arrivé à toutes ces familles qui se sont exilées ? Sur quels appuis les collaborateurs belges ont-ils pu compter ? Comment certains ont-ils réussi à effacer à jamais leurs traces ? Dans Moi, Führer des Wallons !, l’historien Eddy De Bruyne se penche sur le sort de la collaboration francophone belge en exil sur le sol allemand.

Quel sens donner à l’équipée de Degrelle en province de Liège ? Qui étaient les commandos belges parachutés derrière les lignes alliées ? Pourquoi, en Wallonie, les anciens du front de l’Est ont occulté leur passé ? Interview d’Eddy De Bruyne.

Le Vif/L’Express : Combien de collaborateurs belges ont pris le chemin de l’Allemagne à la Libération ?
Eddy De Bruyne : Plus ou moins 5 000 personnes. Il y a des familles de rexistes, des membres de formations paramilitaires telles les Gardes wallonnes ou les volontaires wallons du NSKK, le corps de transport nazi. Il y a aussi des adhérents des Jeunesses légionnaires et du Service des volontaires du travail pour la Wallonie, des agents belges de la Sipo-Sd et de l’Abwehr, les services de renseignement policiers et militaires. En fait, on retrouve tous ceux et celles qui craignent pour leur sécurité du fait qu’ils se sont mis au service de l’occupant dans l’un ou l’autre de ces organismes.

Certains exilés sombrent dans l’inactivité, d’autres se mettent au service de la politique de Berlin. Quel est le sort de ces Belges et de leur famille dans les mois qui suivent l’arrivée des Alliés en Belgique ?

Les hommes qui ne sont pas embrigadés dans la Division Wallonie ou qui n’ont pas la chance d’occuper un poste à l’abri de la mobilisation sont absorbés dans l’effort de guerre économique allemand et sont astreints au travail dans les usines ou chez un patron. Il en est de même pour les femmes.

En Allemagne, la rivalité est forte entre rexistes et groupuscules wallons qui disposent de gros moyens financiers. Comment Rex parvient-il à supplanter ses concurrents ? Grâce à une meilleure structure administrative qui encadre la colonie des réfugiés dans la région de Hanovre, alors que les concurrents de Rex n’ont pas une telle structure. Grâce aussi aux appuis et influences dont Degrelle dispose dans les différentes sphères de l’appareil national-socialiste. En outre, la présence de Rex était, à tous niveaux, majoritaire sur l’échiquier collaborationniste.

Dès leur arrivée dans la région de Hanovre, des rexistes découvrent que des exilés belges se sont constitué un butin de guerre. Comment réagissent-ils ?
Des rexistes sincères et convaincus – il y en a eu ! – sont indignés en apprenant les agissements peu reluisants de certains exilés belges, membres de la Brigade Z. A la veille de l’exode, au cours d’expéditions sanglantes, ces agents actifs dans la contre-terreur se sont constitué un butin, dont ils profitent en toute impunité grâce à la protection de la toute-puissante Gestapo. Ceux qui, parmi les rexistes, tentent d’élever la voix sont envoyés au front, en première ligne, sans espoir de retour.

Degrelle a voulu attirer des ouvriers déportés et des prisonniers de guerre au sein de la Division SS Wallonie. Avec quels résultats ?

Pour les prisonniers de guerre, il dispose de recruteurs patentés qui font le tour des oflags, les camps pour officiers, et des stalags, les camps pour sous-officiers et soldats. Les résultats, après septembre 1944, sont maigres, on s’en doute. En ce qui concerne les travailleurs, Degrelle use d’une tromperie : il fait miroiter aux ouvriers un stage de trois mois dans un camp de travail wallon, présenté comme une remise en forme physique au terme de laquelle ils retourneront dans leurs usines. En réalité, ils sont embrigadés dans la Division Wallonie. A partir de février 1945, ces ouvriers « requis » sont contraints de rejoindre le front en Poméranie, où une dernière offensive allemande est tentée pour contrer l’avancée soviétique.

Vous évoquez le sort des rexistes et autres exilés francophones. Jef van de Wiele, chef de DeVlag, et les autres collaborateurs flamands ont-ils suivi exactement le même parcours fin 1944-début 1945 ?
Oui, à peu près. Regroupés dans la partie septentrionale du Gau Hannover, ils y ont formé un Landsleiding, sorte de gouvernement flamand en exil. Leur objectif : embrigader du monde dans la division Langemarck, mettre les gens au travail, s’occuper du logement et de l’installation de la colonie flamande. Seule différence par rapport aux Wallons : ils sont deux fois plus nombreux.

Lors de la contre-offensive von Rundstedt, dernier coup de dés d’Hitler, en décembre 1944, des commandos de collaborateurs belges sont formés pour être parachutés derrière les lignes alliées. Quel éclairage apportez-vous sur cet épisode peu connu ? La formation de commandos wallons est l’oeuvre du « département VI », chargé de l’espionnage à l’étranger, et du RSHA, l’Office central de la sécurité du reich, issu notamment de la Gestapo. Quelques équipes wallonnes et flamandes ont été mises sur pied à Marbourg et ailleurs dans des kampfschulen, des centres spécialisés où l’on enseignait les méthodes de sabotage, de parachutage, d’espionnage et où l’on dispensait des cours de morse. Il y a eu des parachutages d’agents flamands. En revanche, les équipes wallonnes n’ont pas été opérationnelles.

En décembre 1944 et janvier 1945, à défaut d’établir son « gouvernement » à Bruxelles, Degrelle doit se contenter de séjourner à Steinbach et Limerlé, dans les confins orientaux de la province de Liège. Quel sens avait cette équipée ?
? Il faut surtout y voir, de la part de Degrelle, une manoeuvre politique et non une mission miliaire pour laquelle, en dépit de tout ce qu’il a pu affirmer après la guerre, il n’a reçu aucun ordre. Il s’agit de damer le pion à Jef van de Wiele et d’arriver le premier à Bruxelles afin de s’imposer à Berlin comme seul interlocuteur agissant au nom des deux communautés nationales.

Après la guerre, en Flandre, les anciens combattants du front de l’Est ont été réintégrés dans la société. En Wallonie, ils ont dû occulter leur passé. Quelles conséquences ?
? En Wallonie, il est impossible de se manifester comme ancien du front de l’Est ou comme ex-collaborateur. C’est possible en Flandre. Rappelez-vous la série télé L’Ordre Nouveau : tous les témoins flamands se sont laissé filmer à visage découvert par Maurice De Wilde, avec mention de leur nom. Les Wallons, à de rares exceptions près, ont tenu, eux, à témoigner anonymement. En Flandre, on peut estimer que les anciens du front de l’Est ont été réintégrés dans la société, voire acceptés par une partie de la population. En Wallonie, dans la grande majorité des cas, l’intégration s’est faite en occultant soigneusement le passé. C’est tellement vrai que beaucoup d’ex-légionnaires wallons ont appréhendé le moment de la retraite : il fallait alors constituer un dossier administratif et dévoiler le « trou » dans la carrière. Il correspondait au temps d’incarcération.

Olivier Rogeau

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