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Commission Panama Papers : la grande hypocrisie

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Comme prévu, l’audition des banques au Parlement se révèle indolore. Quant à l’enquête interne de l’ISI sur son inaction, elle lave l’administration de tout soupçon. C’est du belge…

Les révélations des Panama Papers sur les pratiques bancaires offshore ont soulevé l’indignation en Belgique. Parmi les banques dans la ligne de mire, Dexia qui, via des dizaines de filiales, a mis en place un système d’aide à l’évasion fiscale en créant des sociétés offshore pour ses clients les plus fortunés. Sa filiale Experta, en particulier, détient le record de création d’offshore (1 659 !) chez Mossack Fonseca, le cabinet d’avocats au centre du scandale des Panama Papers. Experta a continué jusqu’en 2011 à proposer des sociétés offshore à ses clients belges, français et allemands (Le Vif/L’Express du 29 avril dernier). Pis : pendant les années où ce mécanisme d’évasion battait son plein, des représentants de différents partis (Dehaene, Di Rupo, Kubla, De Gucht…) siégeaient au conseil d’administration de cette banque sauvée de la crise à coups de milliards d’euros.

Pointés du doigt, les politiques ont compris qu’ils devaient vite trouver le moyen d’éteindre le feu des critiques. Quinze jours à peine après les révélations du consortium de journalistes (ICIJ), ils ont sorti de leur chapeau la solution de la commission parlementaire. Un grand classique, parfois fructueux. Sauf qu’ici les chefs de groupe de la Chambre ont décidé qu’il ne s’agirait pas d’une commission d’enquête pouvant prendre, comme le juge d’instruction, toutes mesures prévues par le code d’instruction criminelle. Conséquence : les témoins entendus par la commission spéciale Panama Papers ne doivent pas prêter serment. Force est de constater, après les auditions de responsables de banques concernées par les Panama Papers, qu’on assiste au Parlement à un « good news » show bien rodé et invérifiable ou, autrement dit, un exercice de com peu instructif.

Des cadres en costume-cravate ont envahi la tribune habituellement occupée par la presse. Ils scrutent, écoutent attentivement, prennent des notes. Ils sont là visiblement pour préparer leur patron à se faire cuisiner par la commission. Cuisiner est un grand mot, car, à l’exception d’Ecolo-Groen et du S.PA, les parlementaires se montrent peu incisifs. Et ceux qui posent des questions dérangeantes restent sur leur faim, puisque les banquiers répondent sans être soumis à la moindre contrainte. Tous jurent, la main sur le coeur, qu’ils ont renforcé les contrôles ces dernières années, mais aucun n’éclaire les élus sur les pratiques du passé concernant les montages offshore. Pas même Dag Wyntin, responsable fiscalité chez KBC (qui avait des filiales dans tous les paradis fiscaux), en poste depuis plus de vingt ans. Bref, l’exercice se révèle très indolore pour les banques.

Pourquoi l’ISI n’a rien fait ?

Il faudra attendre le 21 juin pour voir la commission spéciale vibrer un peu. Ce jour-là, Karel Anthonissen, l’entreprenant directeur régional de l’ISI Gand, viendra répondre aux questions de la commission. Il y expliquera comment, depuis le début de 2009, il a averti sa hiérarchie que certains dossiers fiscaux, traités par ses services ou par des collègues, ont révélé la présence de sociétés offshore liées à des banques belges via leurs filiales. A l’époque, il pointait déjà quatre institutions : BNP Paribas-Suisse, BNP Paribas-Singapour, Dexia-Luxembourg et Van Lanschot Bankiers en Suisse. Cette séance du 21 juin sera importante car, après la révélation des Panama Papers, une vive polémique a éclaté entre Anthonissen et le patron de l’ISI.

Le premier a rappelé avoir dénoncé le mécanisme depuis belle lurette. Selon lui, tout le monde était au courant… Il cible en particulier Frank Philipsen, à la tête de l’ISI, et les ministres des Finances successifs depuis 2009, Didier Reynders (MR), Steven Vanackere (CD&V) et Koen Geens (CD&V), mais aussi la CBFA, l’ancienne autorité de contrôle des banques, et la Banque nationale de Belgique (BNB). Face à ces accusations, Philipsen a lancé une enquête interne à l’ISI pour déterminer s’il y avait eu des manquements. Le rapport de huit pages de cette enquête que nous avons parcouru conclut que, depuis 2009, Anthonissen avait bien alerté sa hiérarchie sur les pratiques offshore de certaines banques, en particulier la Dexia BIL (Luxembourg) qui avait fourni à un client belge une attestation au nom de la société offshore Kestrel Overseas.

En juin 2009, le Gantois avait également présenté un exposé devant la Fiscale Hogeschool de Bruxelles, où il avait, entre autres points, attiré l’attention sur ces attestations fournies par des banques belges pour des structures établies à l’étranger. Il avait envoyé le projet de son exposé à Didier Reynders en personne, alors aux commandes des Finances. Voyant que cela ne suscitait aucune réaction, Anthonissen s’est alors exprimé sur le sujet dans la presse spécialisée, soit la Revue de droit fiscal.

Puis, fin 2010, le quotidien De Tijd a publié un article dénonçant les pratiques bancaires suspectes. Cette fois, la CBFA a réagi et contacté Anthonissen. Sans suite convaincante. La même année, la CBFA est devenue la FSMA. Une partie de ses pouvoirs de contrôle a été transféré à la BNB qui a dû hériter du dossier « Anthonissen ». L’ancien gouverneur Luc Coene a pourtant déclaré n’être au courant de rien… Remarque : à l’époque, les acteurs concernés, les patrons de l’ISI, de la CBFA et de la BNB, avaient tous l’étiquette libérale.

Ces différentes étapes sont relatées dans le rapport interne de l’ISI qui conclut néanmoins qu’Anthonissen n’a lui-même ouvert aucun dossier sur les banques concernées ni fait une demande ou proposition d’enquête sur Dexia. On ne pourrait donc reprocher à l’ISI de n’avoir pas réagi. « C’est vrai que je disposais d’une certaine autonomie sur mon territoire, a exposé Karel Anthonissen dans La Libre, le 12 avril. Mais lorsqu’un contribuable flamand utilise une banque dont le siège est à Bruxelles, j’ai besoin d’une autorisation de Frank Philipsen. Et elle n’était pas toujours facile à obtenir. »

Par contre, ce que l’enquête interne ne dit pas, c’est que, comme le rappelle un rapport de la Cour des comptes de 2010, l’administration centrale de l’ISI peut également prendre l’initiative de demander à une direction régionale d’ouvrir un dossier, celle de Bruxelles, par exemple, où se trouvent les sièges centraux des banques. Elle peut aussi porter des informations à l’attention du parquet. Or elle ne l’a pas fait. Pourquoi le rapport n’en dit mot ? On a l’impression que l’ISI cherche juste à se couvrir. Une hypocrisie de plus dans la suite donnée aux Panama Papers.

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