© Jonas Hamers/Image Globe pour Le Vif/L'Express

Comment Modrikamen est devenu infréquentable

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

C’est l’histoire de la chute d’un avocat brillant, qui s’est perdu en politique. Ses amis, relations, connaissances cherchent une explication. Ils découvrent un gâchis humain. Un suicide moral. Récit.

Il fut un temps où Mischaël Modrikamen attirait les journalistes. Il était alors l’avocat-vedette de la saga Fortis, celui qui avait fait tomber un gouvernement. Terminé : désormais, président du Parti populaire, il suscite l’ignorance, le mépris, le malaise. Et il encaisse encore mal le choc du désamour d’avec ceux qui l’avaient porté aux nues. Il ronge son os. La presse, il le constate, a décidé de ne pas l’aimer, de tuer « son potentiel » dans l’oeuf. « Le Parti populaire est maltraité et moi, je suis ostracisé. »

Il a pourtant été longtemps fréquenté. Mischaël Modrikamen était l’ami de tant de monde, qui l’appréciait. « A l’époque, on se bousculait pour lui serrer la main dans les rues, pour signer des autographes telle une star », raconte un de ses confrères. Aujourd’hui, à 47 ans, il est presque un homme seul. Ses anciennes connaissances, avec lesquelles il déjeune encore de temps en temps, refusent de s’afficher à ses côtés et se tiennent volontairement à distance. « Quand nous nous rencontrons, je me replie sur un restaurant discret, éloigné. Je ne souhaite pas que l’on nous voit ensemble », confie l’une d’entre elles.

« Tout d’un coup, il s’est vu devenir un leader. Un millier de personnes en délire pour lui. Il a basculé dans l’autre monde… », analyse un proche. « L’autre monde » donc, le jour le plus fou de la vie de Mischaël Modrikamen, c’est le mardi 28 avril 2009. L’assemblée des actionnaires de Fortis doit se prononcer sur la vente de Fortis Banque à BNP Paribas. Dans le hall principal du Flanders Expo, l’avocat est déchainé, il hurle pour exiger la démission des administrateurs de la banque, invite les actionnaires à se lever, à avancer vers l’estrade où se tient le président de l’AG. Des projectiles volent. Les injures aussi.
Ce jour-là, Modrikamen a perdu la bataille Fortis (la banque sera cédée à BNP Paribas). Mais il s’est vu en leader charismatique, propulsé par une foule, prête à se lever pour lui. Ça lui a plu.

Elève moyen, des études de droit à l’ULB, il devient très vite un brillant avocat d’affaires, friand de joutes intellectuelles et qui aime la provocation. Un plaideur hors pair, l’un des meilleurs. A 27 ans, il ouvre son propre cabinet. En une quinzaine d’années, il se taille une solide réputation de défenseur des actionnaires minoritaires. L’avocat s’installe dans une vaste demeure de 1 200 mètres carrés (qu’il occupe toujours et qui sert de cabinet et de siège du parti), fume le cigare, dîne avec l’élite politique et financière. Il compte parmi ses amis Pierre Salik (dont le père s’est enrichi dans le textile), des clients comme Deminor, François le Hodey (IPM) ou Philippe Delusinne (RTL), fréquente le gratin politique, de gauche comme de droite…

Après le tournant de 2009, Modrikamen « ne veut plus devenir un éveilleur mais un bâtisseur » ». Avec cette ambition de créer son parti. Ni PS ni MR, mais un parti revendiquant une « droite décomplexée », qui « s’assume », un parti « populaire », parce que « proche du peuple ». Avec pour seule stratégie, celle de la rupture. Politiquement, les priorités du PP se concentrent sur la justice, la sécurité, l’immigration. Il est temps, selon son leader, de rétablir l’ordre, de fermer les frontières, tout en intégrant les immigrés déjà présents. Les autres, « c’est dehors ». Confédéraliste, proche de la N-VA, il convoque des figures tutélaires : Clémenceau, qui ne conçoit pas de République sans ordre. Comme lui, Modrikamen soutient l’individualisme, opposé au collectivisme. Ou Winston Churchill, dont un gigantesque portrait est accroché à l’entrée de sa demeure, parce qu’il a assumé la rigueur et dont il admire le courage. Ou Ronald Reagan, dont la politique tient en trois principes : trop d’impôts tue l’impôt, il faut baisser les dépenses publiques, et c’est l’offre qui crée la demande et non l’inverse.

Favorable à la peine de mort, il précise : « Pour ceux qui ont commis des meurtres d’enfants et les terroristes. » Désormais, après s’être revendiqué du sarkozisme, de l’UMP, il se réclame du mouvement de Geert Wilders, fondateur du PVV, parti néerlandais nationaliste, et de Marine Le Pen, présidente du FN, avec laquelle il prétend déjeuner de temps en temps. « Je constate que lorsque Jean-François Kahn, ex-rédacteur en chef de Marianne, qui tient une chronique dans Le Soir, déclare que le FN est soluble dans la République, il n’a pas essuyé autant de critiques que moi. Mais que les choses soient très claires : j’assume ce que je suis pas plus, pas moins, mais je ne suis pas raciste. J’ai horreur du racisme ! » s’indigne-t-il.

Aujourd’hui, sa croisade populiste semble avoir tout balayé. « Il a fait le vide autour de lui. Il est entouré de gens à sa botte et il n’y a plus personne pour le contredire », raconte un ex-membre du PP. Lui, semble s’en moquer : « La solitude n’est pas nouvelle pour ceux qui veulent changer les choses en profondeur. » Avec la politique, l’avocat a perdu beaucoup d’argent. Il a donc repris son métier d’avocat, en solo. Il défend ainsi Luc Trullemans, viré par RTL pour « propos racistes ». Une formidable occasion de revenir dans le jeu médiatique, de porter son message à la télévision : et si cette affaire, c’était sa dernière chance ? « Quand il m’arrive de passer à la télévision, je fais quasi autant d’audience qu’Elio Di Rupo », se vante-t-il. Tout en indiquant clairement que les prochaines élections seront les dernières, sans une percée du PP. D’ici au 25 mai 2014, pour faire parler de lui, il appliquera un marketing du scandale, prédisent ses détracteurs. Qui avancent que l’ostracisme que les médias appliquent à son égard serait en partie une explication à sa transformation. Un proche offre un autre éclairage : « Il s’est rendu lui-même prisonnier de sa vie. Il ne peut plus faire marche arrière : il a perdu de l’argent, sa crédibilité professionnelle, ses clients… Surtout, avant il aimait l’argent, maintenant il aime le pouvoir. »

Le dossier dans le Vif/L’Express de cette semaine.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire