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Comment le lobby vert impose les éoliennes

Le Vif

Mille éoliennes sur le sol wallon d’ici 2020 : le défi du renouvelable n’a jamais autant ressemblé à une marche forcée. Derrière l’armée des moulins à vent, un puissant lobby politique et économique. Enquête au coeur d’une inquiétante guerre des tranchées.

C’est une artillerie masquée, silencieuse et savamment orchestrée. « Une machine de guerre », avancent même bon nombre d’observateurs avisés. A l’heure où les énergies renouvelables s’imposent comme une évidence dans le cadre des objectifs européens de réduction de CO2, le lobbying pro-éolien a imprégné toutes les sphères décisionnelles du pays.

La marche énergétique, calibrée à l’horizon 2020, aiguise les appétits en Belgique. Financiers avant tout. Le « cadre de référence éolien », présenté par le ministre Philippe Henry (Ecolo) et approuvé par le parlement régional, prévoit la construction d’environ 700 mâts supplémentaires (contre 261 actuellement) sur le territoire wallon d’ici 2020. L’investissement total se chiffre à plus de 3 milliards d’euros. Mais les promoteurs éoliens, nourris au grain par les certificats verts, s’assurent généralement un rendement de l’ordre de 200 à 500 % sur le capital investi.

C’est dans ce contexte lucratif que les actions de lobbying voient le jour, depuis les arènes parlementaires jusqu’au fin fond des campagnes. « On est en train de créer un paradis vert dans un désert économique », dénonce Claude Eerdekens (PS), décidé à inonder le clan Ecolo de piquantes questions parlementaires. « Le mot d’ordre du lobby, c’est diviser pour régner », résume Jean-François Mitsch, pro-éolien et fondateur de la Fédération belge des coopératives citoyennes de production des énergies renouvelables. Victime d’un travail de sape à l’encontre des projets citoyens, l’homme a toutefois préféré se désolidariser du système.

La principale mission du lobby est excessivement simple. Elle consiste à imposer le modèle actuel de la stratégie éolienne comme une évidence intouchable, incontestable, tout en faisant taire les critiques à coups d’études et de projections. Si bien qu’aujourd’hui, aucun document ne fait état des bénéfices engendrés par les promoteurs. Aucune source indépendante ne mentionne le bilan précis de l’électricité produite par les éoliennes existantes. Et pourtant, elles tournent…

Qui sont les artisans de ce jeu d’influence ? Avec l’Energie et l’Aménagement du territoire dans son escarcelle, le parti Ecolo dispose des deux leviers nécessaires pour piloter la stratégie éolienne. Mais dans leur quête du Graal énergétique, les ministres Nollet et Henry sont épaulés par toute une série d’acteurs aux relations interpellantes.

« Des échanges stratégiques colossaux »

A commencer par Edora (ODE pour le volet flamand), la Fédération des énergies renouvelables, logée au 35 de la rue Royale à Bruxelles. Le groupe de pression, qui compte une centaine de membres, défend notamment les intérêts des promoteurs éoliens. Le conseil d’administration regroupe quelques grands noms du secteur : Eneco Wind, EDF-Luminus, Electrabel… Toutes ces grosses pointures développent des parcs éoliens dans les champs wallons. La première secrétaire générale d’Edora, Annabelle Jacquet, a été débauchée depuis lors par le cabinet Nollet. Elle est responsable de la cellule « énergie ».

Curieusement, c’est à la même adresse qu’Edora que l’on retrouve l’Association de promotion des énergies renouvelables (APERe), censée informer les citoyens et les communes sur les projets en cours… Sans le moindre parti pris. « Le cabinet de Jean-Marc Nollet est notre bailleur de fonds, précise Bruno Claessens, facilitateur éolien pour l’APERe. On nous qualifie parfois de lobby, mais notre rôle vise pourtant à élaborer des coopératives citoyennes, en étroite collaboration avec les communes. » L’APERe s’affirme donc comme un intermédiaire indépendant entre les intérêts des promoteurs et ceux des citoyens.

Pourquoi, dans ce cas, l’association partage-t-elle les mêmes bâtiments qu’Edora ? Pourquoi les chiffres utilisés par le facilitateur émanent-ils directement du lobby des promoteurs éoliens ? Et que fait Edora dans le conseil d’administration de l’APERe ? « Oui, tout cela dérange peut-être certaines personnes, répond vaguement Bruno Claessens. Mais le monde de l’éolien en Belgique est assez restreint. » De son côté, Jean-François Mitsch y voit un vrai problème de déontologie. « Les échanges stratégiques entre le lobby éolien et l’APERe sont colossaux, ce n’est pas normal. »

Pour encourager l’implantation de parcs, les groupes de pression et les promoteurs éoliens déploient trois grandes techniques de persuasion. La première, éminemment politicienne, repose sur une communication positive et cadenassée des éoliennes. Dans un document interne au groupe Ecolo, dont nous avons pris connaissance, le parti propose ainsi toute une série de réponses préconçues, que les élus peuvent débiter à chaque critique rencontrée.

A travers les sept pages du texte, l’un des points fournit une réponse à une critique émise par le collectif Vent de Raison, relative à l’impact néfaste des éoliennes sur le paysage. « La beauté est quelque chose de très subjectif, mentionne le document. Beaucoup de personnes trouvent les éoliennes très belles et enrichissant le paysage. » Un autre passage édifiant évoque la récente proposition du ministre Carlo Di Antonio (CDH), visant à implanter des éoliennes le long des autoroutes avec l’aide de la Sofico (la Société wallonne de financement complémentaire des infrastructures). « Implanter des parcs éoliens le long des axes structurants, comme les autoroutes, est l’idée du ministre Henry ! tranche l’argumentaire. Di Antonio essaie d’assurer l’exclusivité de la Sofico sur les terrains le long de l’autoroute. »

Le texte procure même à ses destinataires les liens de quelques reportages élogieux à partager sur les réseaux sociaux : « Pour diffuser sur vos Facebook , la vidéo d’un journaliste qui a dormi au pied des éoliennes d’Estinnes… » La démarche, digne d’une véritable agence de communication, laisse peu de place aux réponses spontanées.

Deuxième priorité : encourager les communes réfractaires à digérer l’implantation d’un parc éolien. Le lobby industriel a trouvé la parade. Outre l’apport financier des redevances ou des taxes par mât installé (la dernière tendance en date), les développeurs de projet jouent cette fois la carte de la complaisance lors des négociations. A Estinnes, par exemple, une « convention de sponsoring » a ainsi été conclue avec le groupe Windvision, promoteur des 11 méga-éoliennes délivrant 6 à 7,5 MW de puissance nominale. Ce dernier s’est engagé à verser 45 000 euros à la commune en 2010, 100 000 en 2011 et 75 000 pour les années suivantes, avec une indemnité de minimum un euro par mégawattheure supplémentaire si le parc dépasse la production escomptée (voir le document en p. 35). A Gembloux, un autre promoteur a poussé son projet éolien en installant des panneaux photovoltaïques sur le toit des bâtiments communaux, pour un montant de 100 000 euros. Enfin, à Andenne, un facilitateur éolien a tenté « d’acheter » le terrible Claude Eerdekens. « Cette personne m’avait promis d’investir un million d’euros dans un projet de mon choix. J’ai évidemment refusé. »

Lourds soupçons d’impartialité

La troisième technique de lobbying est également la plus dense. Alors que la légitimité économique des éoliennes est en perte de vitesse, les groupes de pression s’attellent à faire taire les critiques. Pour y parvenir, nul besoin de verser des pots de vin. La partie se gagne à coups d’études en tout genre. Edora a ainsi demandé à l’Ipsos d’effectuer un sondage sur « l’acceptabilité sociale des éoliennes ». En province du Luxembourg, un travail similaire a été effectué par l’ULg. « Mais personne n’a dit que le groupe Electrabel l’avait financée », précise Jean-François Mitsch, qui a participé à son élaboration. Quant à l’étude macroéconomique du prestigieux bureau Deloitte, régulièrement utilisée dans les réponses parlementaires, elle est vivement critiquée par le collectif Vent de Raison. « C’est un véritable torchon », enrage Luc Rivet, qui pointe de sérieux dysfonctionnements dans le calcul de l’apport du secteur éolien en termes de PIB et d’emplois. L’étude, commandée par Edora et par l’ODE, a été cofinancée par l’European Wind Energy Association (Ewea), lobby auto-proclamé des développeurs éoliens sur la scène européenne.

Où s’arrête donc l’objectivité de telles études ? « A entendre Vent de Raison, tout le monde est corrompu, sauf eux, s’énerve Fawaz Al Bitar, conseiller éolien d’Edora. Si nous faisons appel à des bureaux d’études prestigieux, c’est justement parce qu’ils n’ont pas besoin de nous ! »

La même question se pose autour de l’impartialité des études d’incidences, commandées par les promoteurs éoliens à des sociétés indépendantes, pour un montant d’environ 60 000 euros. Ce travail, crucial, vise à donner les outils nécessaires aux décideurs pour valider ou non un projet de parc éolien. Or la société CSD Ingénieurs Conseils, basée à Namur, est devenue la référence sur ce marché. Elle réalise entre 60 et 70 % des études d’incidences pour les projets wallons. Soit une part très importante de son chiffre d’affaires. En suivant cette même logique, la société n’a pas intérêt à fâcher ses clients. « On est très bien vu par le DNF (le Département Nature et Forêts), reconnaît Jean-Christophe Genis, responsable « énergie éolienne » chez CSD. Nos clients savent donc qu’ils peuvent passer par nous pour les convaincre. Mais la qualité de nos études n’a jamais été remise en cause par les instances chargées de délivrer un avis sur les projets éoliens. »

Alors que le cadre de référence éolien s’enlise dans une consultation houleuse des communes, ces éléments troublants jettent l’opprobre sur la course effrénée à l’éolienne lancée pour l’horizon 2020. Dans cette guerre des tranchées, le lobby pro-éolien avait réussi à rester dans l’ombre, malgré les rugissements perpétuels émis par Vent de Raison. A présent, l’artillerie est un peu trop bruyante. La technique du discrédit systématique des contre-argumentaires ne suffit plus à convaincre les sceptiques ou à faire taire les détracteurs. Et dans les terres venteuses du pays, l’ère du soupçon progresse, pas à pas.

>>> Dossier complet à lire dans le Vif en librairie le 10 mai 2013

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