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Chiffrer les programmes électoraux, la grande illusion

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Les partis se sont engagés à ne plus se jeter à la tête des promesses électorales à coups de milliards invérifiables. Désormais, ils feront chiffrer leurs programmes. Volontaire désigné pour la mission, le Bureau fédéral du plan cale. Et recale.

A chaque dernière ligne droite de scrutin, c’est le grand barnum. Les esprits s’échauffent, les partis montent dans les tours pour amadouer l’électeur, les promesses abondent et les milliards pour les financer s’envolent. Stop, assez ! Désormais, force restera à la loi. Celle adoptée en mai 2014 par le Parlement fédéral, dans un bel élan de transparence et d’honnêteté intellectuelle, impose à l’avenir aux partis politiques candidats aux élections à la Chambre de faire procéder au chiffrage de leurs programmes électoraux.

Un amateur dans la salle pour se charger du boulot ? Approchée, la Cour des comptes a habilement décliné ce périlleux honneur de passer au crible les listes de priorités à rentrer par les formations politiques en campagne. Et la patate chaude a fini par atterrir au Bureau fédéral du plan. Lequel cache sa joie.

C’est que l’exercice a de quoi donner des sueurs froides aux experts les plus endurcis. Pour preuve : vingt mois après l’entrée en vigueur de la loi, le Bureau fédéral du plan s’épanche dans une note éminemment critique à l’intention du Parlement fédéral. Trop d’incertitudes, trop de zones d’ombre enveloppent encore la mission qui lui sera demandée dès le prochain rendez-vous électoral, soit en 2019. Autant dire après-demain.

20, voire 68 partis dont les priorités électorales sont à scanner…

Chiffrer l’impact des engagements électoraux sur les finances publiques, sur le pouvoir d’achat et l’emploi des divers groupes de revenus, sur la sécu, sur l’environnement et la mobilité : à la seule vue du cahier des charges, les compteurs du bureau d’études indépendant se sont mis à s’affoler. Si l’on s’en tient au dispositif légal, 20 partis au bas mot seraient obligatoirement concernés par l’exercice de chiffrage, mais ils pourraient (devraient ?) être 68 sur la base du nombre total de formations politiques qui ont tenté leur chance lors des dernières élections législatives de mai 2014.

Or les questions laissées en suspens fourmillent. Quid des effets macroéconomiques des compétences régionales et communautaires ? Quid du maintien de la confidentialité des échanges entre chaque parti et le Bureau du plan si l’appel à l’expertise d’autres instances est permis ? Quid en cas d’élections anticipées, à organiser dans les 40 jours ? Sur ce point, le Bureau du plan se charge lui-même de la réponse : « Il est clair que ce calendrier ne peut être respecté dans un tel cas. »

Calendrier ? Parlons-en. Le Bureau du plan est en manque et en demande de clarté : sur les périmètres à baliser, sur les outils et les modèles technologiques à adapter, sur les moyens humains à mobiliser. Le tout, de préférence, serait à préciser d’ici 2016-2017, pour que la nécessaire phase de test puisse être lancée sur la période 2018-2019.

Bien sûr, en guise de référence, il est renvoyé au modèle néerlandais de chiffrage. Comparaison n’est pas raison : aux Pays-Bas, l’exercice est volontaire, et le dernier en date, effectué en 2012, n’a porté que sur dix partis politiques. Le Centraal Planbureau (CPB) a dû passer à la loupe quelque 2 500 mesures, y a affecté 80 à 90 personnes durant deux à trois mois. Conclusion : le centre d’expertise néerlandais juge la mission impossible et demande à ce que les ambitions soient revues à la baisse.

Dans l’état actuel des choses, son homologue belge admet sans honte ne pouvoir assumer pleinement la tâche, faute notamment de disposer des modèles de microsimulation permettant de fournir tous les calculs désirés. Question parmi tant d’autres : n’aurait-on pu y songer plus tôt, avant d’adopter la loi ?

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