Olivier Mouton

Ceta: la victoire stratégique du PS et la Bérézina du MR

Olivier Mouton Journaliste

L’accord finalement engrangé sur le traité de libre-échange avec le Canada est avant tout un triomphe symbolique de la gauche francophone. Les libéraux tentent de ramasser les morceaux.

« Accord sur le Ceta. » Un peu partout, du Canada à la France en passant par les Pays-Bas ou l’Allemagne, des messages se sont envolés ce jeudi vers midi pour saluer la « fumée blanche » du Lambermont sur le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta). L’accord belgo-belge enfin conclu grâce au « oui » d’une Wallonie, qui existe désormais sur la carte du monde. C’est là une victoire stratégique du PS, qui n’est pas sans risque, et une débâcle du MR, ressentie jusque dans ses propres rangs. Sur le fond, par contre, les acquis sont importants, certes, mis pas révolutionnaire.

1. La victoire du PS

C’est sans doute le plus beau coup d’Elio Di Rupo, président du PS, depuis qu’il est revenu à la tête de son parti, après sa période de lévitation au Seize. Court-circuitant le PTB et davantage encore Ecolo, poussant le ministre-président, Paul Magnette, dans la fosse aux lions, le Montois a démontré qu’il conservait un redoutable sens politique en anticipant l’impact que le dossier du Ceta, a priori technique et lointain, aurait sur l’opinion publique wallonne. Le dossier agitait, il est vrai, les associations altermondialistes depuis des semaines, il a fait l’objet d’un examen approfondi au parlement wallon, c’était donc un dossier mûr pour le hisser au premier plan de l’actualité. Pour le PS, c’est un coup de maître : un combat réussi contre la mondialisation, les multinationales et l’Europe – tout en une fois. Une forme de revanche après les séismes Caterpillar et ING, face à une Europe ultra-libérale. Par la même occasion, il a imposé un leader, Paul Magnette devant ce « Magnetix » qui résiste à l’occupant, coupant l’herbe sous le pied des Hedebouw et autres Khattabi, contraints de le saluer. Chapeau bas. 70% des Wallons approuvent : que demande le peuple socialiste ? Pour le CDH, le pari est plus audacieux : oui, cette résistance plaira aux agriculteurs et petits patrons de PME wallons, mais tout le monde comprendra-t-il cette radicalisation à gauche ?

2. La Bérézina du MR

Au sein même du parti, on le reconnaît : « Nous sommes complètement passés à côté du sujet. » Trop occupés par les tensions au sein de la majorité, obnubilés par leurs convictions, les deux ténors du MR au fédéral, Charles Michel et Didier Reynders, n’ont pas vu venir le missile venu de Wallonie et n’ont pas cru que le sujet prendrait une telle ampleur, ni que Paul Magnette et Benoît Lutgen iraient au bout de leur logique. Le plus cuisant dans cette défaite, c’est que la voix des libéraux a été quasiment absente d’un débat pourtant bouillant, laissant les négociations internationales se faire au nez et à la barbe du Premier ministre. « C’est un excellent accord et un modèle pour la suite, a commenté Didier Reynders, suite à l’accord. Il y avait des préoccupations légitimes. » De deux choses l’une : ou le MR espérait que la Wallonie irait au bout de son isolement, ou il a laissé les majorités francophones faire le sale boulot au sujet de préoccupations qu’il partageait. Dans les deux cas, pour lui, c’est la Bérézina. Et ce n’est pas en tentant de ramasser les morceaux et en se félicitant d’avoir sauvé le libre-échange grâce à ce succès de dernière minute que le MR en sortira grandi. Le voilà plus que jamais isolé du côté francophone, dans la perception à tout le moins. Mais une autre lecture de ce dossier pourrait suggérer que les libéraux francophones ont laissé les socialistes engranger des acquis : le MR aurait pu suivre la logique d’un Guy Verhofstadt par exemple, en forçant la signature du traité sans tenir compte de la position du PS et du CDH. Mais qui le créditera maintenant de cette magnanimité ?

3. Tout ça pour ça ?

La résistance forcenée du PS et du CDH a-t-elle accouché d’une souris ? C’est une question que l’on peut légitimement se poser, dès lors que la fronde de « Magnetix » était présentée comme un combat contre la globalisation – ce qu’elle n’était pas, au fond… Les acquis obtenus au sujet de la Cour d’arbitrage entre entreprises et Etats méritaient, oui, de faire pression : cela permet de sauver nos systèmes judiciaires démocratiques de structures parallèles susceptibles de démanteler des pans de législation à coups de recours venant des grandes entreprises. De là à dire que c’est une victoire des valeurs sociales contre le grand capital, il y a un pas que l’on ne franchira pas. En matière agricole aussi, des avancées sont notables, mais la protection d’une agriculture de qualité figurait déjà au menu du traité et de la Commission (pas de boeuf aux hormones, appellations protégées…). Voilà donc deux trophées, surtout symboliques, pour justifier un combat certes sain mais qui ne modifiera pas la marche du monde.

4. Une victoire à la Pyrrhus ?

Last but not least, cette lutte acharnée laissera des traces. Dans les urnes, en 2018 et 2019, peut-être, mais aussi dans les esprits. Les députés N-VA ont multiplié ces derniers jours les messages affirmant que la Wallonie démontrait au monde entier que la Belgique « est composée de deux Etats » : cela les arrange bien de le dire pour accréditer leur thèse confédérale et nul doute qu’ils manipuleront ça à profusion ces prochains mois. Ce constat des « deux démocraties » fut certainement correct tant que Magnette et les siens bloquaient dans toutes les langues, pour peser sur la négociation. Moins depuis que l’accord a été conclu. Y aura-t-il des représailles, commerciales ou politiques ? C’est un risque. Benoît Lutgen, dans les moments chauds de la crispation, a dénoncé des « comportements de délinquants politiques » de la part de ceux qui menaçaient la Région. Fort de son coup de force, Paul Magnette va désormais s’employer à apaiser les esprits. Il s’est déjà excusé auprès de ses partenaires européens du temps pris pour arriver à un accord. C’est une nécessité pour lui, s’il ne veut pas se couper des décideurs européens, des investisseurs et des Canadiens. « Magnetix » a gagné un combat. Il redescend aujourd’hui sur terre pour faire comprendre qu’il est un social-démocrate, pas un révolutionnaire. Et là, le PTB l’attend à nouveau au tournant.

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