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Ces mouvements qui veulent changer la politique

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les initiatives sont nombreuses pour tenter de transformer le ressentiment des citoyens en un mouvement de renouveau démocratique. Un parti, Oxygène, voit le jour. Des entrepreneurs lancent un En-Marche.be. D’autres créent des think tanks. Une lame de fond.

Un nouveau parti est né, au coeur de l’été. Une formation ayant la volonté d’apporter une réponse à cette colère citoyenne qui enfle depuis des années en Belgique francophone. Son nom : Oxygène. Sa volonté : proposer une alternative politique pour poser les bases d’une  » révolution citoyenne pacifique « . Une réponse aux affaires qui ont explosé ces derniers mois. Publifin, Samusocial, ISPPC et autres Ores ont renvoyé une image désastreuse de la politique. Mais le terreau dans lequel s’enracine l’initiative est plus profond, ancré dans la crise socio-économique et morale qui ronge la Wallonie et Bruxelles depuis 2008.

« Le Macron wallon »

 » Je suis entrepreneur à Fleurus depuis un peu plus de trente ans, explique en exclusivité pour Le Vif/L’Express Walter Feltrin, fondateur d’Oxygène avec son épouse, Barbara Dufour, enseignante engagée pour une réforme de l’école. Tous les jours, je constate à quel point la situation des gens se dégrade de façon très préoccupante. La solution ne peut être que politique. Nous avons étudié en profondeur l’offre actuelle, et rien ne nous convient. Vraiment rien… Soit on est dans les extrêmes, ce qui n’est pas notre tasse de thé. Soit ce sont des politiques professionnels dont l’objectif prioritaire consiste à tout faire pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. Il n’y avait pas d’autre conclusion possible que celle de nous lancer nous-mêmes…  »

Voilà pourquoi les fondateurs d’Oxygène se jettent à l’eau publiquement. Au Vif/ L’Express, ils annoncent leur intention de présenter des listes Oxygène partout en Wallonie et à Bruxelles pour les élections régionales et législatives de 2019. Début 2018, Walter Feltrin se mettra en congé de son entreprise, qui occupe 115 personnes, pour se consacrer à plein temps à cette initiative. En attendant, il publie Alternative. Ni PTB ni Front national (éd. Nowfuture), un livre balisant le projet. Dans sa préface, Pierre Rion, business angel et président du Conseil numérique wallon s’interroge :  » Aurions-nous trouvé en sa personne le « Macron wallon », celui qui prône tant une série de mesures novatrices pour encourager la création d’entreprises que des valeurs la plupart du temps défendues par la gauche mais dont j’ose prétendre qu’elle n’en a pas le monopole ?  » Un adoubement de taille.

En 2012, le G1000 rassemblait des centaines de citoyens pour un grand débat politique. Cette initiative, suscitée alors par le blocage institutionnel, a donné des idées à de nombreux mouvements.
En 2012, le G1000 rassemblait des centaines de citoyens pour un grand débat politique. Cette initiative, suscitée alors par le blocage institutionnel, a donné des idées à de nombreux mouvements. © TIM DIRVEN/REPORTERS

Barbara Dufour et Walter Feltrin se sont fait connaître en publiant deux cartes blanches sur levif.be, toutes deux partagées plus de trente mille fois. La première, le 6 février dernier, exprimait un sentiment de révolte après des propos tenus par le ministre d’Etat Louis Michel (MR) estimant qu’une limitation de la rémunération des parlementaires à 4 800 euros net par mois donnerait  » un Parlement coupé de la réalité, peuplé de fonctionnaires et d’enseignants, mais déserté par le monde de l’entreprise et les avocats « . La seconde, le 20 février, mettait en garde :  » Mesdames et Messieurs les politiques, vous ne mesurez pas notre ras-le-bol.  »  » Après cela, nous avons été contactés par des dizaines et des dizaines de personnes prêtes à nous soutenir, souligne Barbara Dufour. Nous avons aussi croisé le chemin de gens très particuliers, des extrémistes, des activistes, mais ce n’est pas notre vision des choses… Nous ne proposons pas la révolution, mais une force de changement équilibrée.  »

Pour la mettre en place, les fondateurs d’Oxygène comptent uniquement sur des candidats issus de la société civile.  » Chez nous, il n’y a pas de locomotive, relève Walter Feltrin. Nous ne visons pas, a priori, de gens connus. Au contraire. Nous voulons des acteurs de terrain, qui font autorité dans leur domaine. Nous sommes extrêmement méfiants à l’égard de ceux qui ont trempé dans la politique. Si certains nous rejoignent, ils seront triés sur le volet.  »

Une myriade d’initiatives

Si les fondateurs de ce nouveau parti citoyen prennent les devants, c’est aussi pour une raison stratégique : ils veulent être les premiers à sortir du bois. Car une myriade de mouvements se bousculent au portillon. Cela dit, il y a eu au moins deux précédents récents. Créé il y a déjà deux ans, sans percer, le petit Mouvement citoyens libres (MCL) tente de se structurer au départ d’un programme axé sur trois révolutions nécessaires : l’instauration d’une allocation universelle, la création d’une  » banque centrale citoyenne  » et la mise en place de référendums décisionnels.  » La théorie voudrait qu’un gouvernement représente les aspirations de sa population, clame Pascal Masarotti, ancien patron de café et fondateur du MLC. La réalité montre que ce n’est pas le cas !  » Avec des accents un rien populistes.

J’ai une « dream team » en tête, mais il faut qu’ils acceptent de se lancer. Toute initiative sans gros calibre est vouée à l’échec

En mai 2017, à la suite de la vague macroniste en France, le mouvement En-Marche.be a quant à lui été créé par un groupe de citoyens issus d’entreprises actives dans les nouvelles technologies.  » Notre mouvement s’inspire pleinement de l’initiative lancée par Emmanuel Macron, précisent ses créateurs. Aussi bien dans la vision de ce que doit être un mouvement politique en 2017, à savoir sortir de l’inertie du fonctionnement des partis politiques traditionnels, que par rapport au positionnement socio-économique, l’importance des nouveaux modèles digitaux, et le projet européen.  » Objectif avéré : présenter des listes aux communales de 2018, puis aux régionales et législatives de 2019. L’initiative, lancée sur le Web, n’en est qu’à ses premiers pas. Tandis qu’à gauche, la Wallonie insoumise cherche, pour à sa part, à surfer sur la vague enclenchée outre-Quiévrain par Jean-Luc Mélenchon.

L’inspiration de Demain vient, là encore, de France, plus précisément du documentaire à succès réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent. Annoncée en avril dernier, la création de ce mouvement radical de gauche, partisan de l’écosocialisme désormais vanté par Elio Di Rupo (PS), est surtout la reconversion d’anciens membres de Vega ou du Mouvement de gauche (MG), cher à l’ex-Ecolo Bernard Wesphael. Ce dernier travaille, lui aussi, à un mouvement citoyen  » apolitique  » en vue des communales à Awans. D’autres initiatives entendent plutôt jouer le rôle de groupe de pression ou de vigilance en matière de gouvernance : songeons à Cumuleo, qui publie le baromètre des cumuls des mandataires, ou Belvox, qui fait des propositions en matière de gouvernance. Quant à Trop is te veel, un groupe lancé sur Facebook il y a moins d’un an par l’ancien patron d’une société de télécoms, Marc Toledo, il totalise près de 30 000 membres, mais ne compte pas se muer en parti.  » Nous ne sommes pas là pour faire de la politique, déclare Marc Toledo. Nous respectons tous les partis, mais nous pensons fermement que la solution passe par l’encadrement du travail de nos élus par des lois.  »

Baudouin Meunier, Bernard Delvaux et Johnny Thijs avaient lancé en mai 2016 un appel au réveil de la société belge.
Baudouin Meunier, Bernard Delvaux et Johnny Thijs avaient lancé en mai 2016 un appel au réveil de la société belge.© BELGAIMAGE

Récit, un « think tank » citoyen

Parmi ces citoyens en quête de nouvelles pratiques politiques, certains réfléchissent à un changement de cadre démocratique. C’est le cas d’un autre mouvement qui vient de naître. Nom de code : Récit, pour Renouveau citoyen.  » Nous sommes un groupement de personnes de tous horizons, expose l’un de ses fondateurs, Alexander Prym, entrepreneur. Nous avons commencé à nous réunir parce que nous étions désabusés par ce qui se passait. Le premier thème sur lequel nous nous sommes penchés, c’est la gouvernance. Nous souhaitons, par exemple, une modification du système qui permettrait vraiment à des citoyens comme nous de s’engager temporairement en politique. Mais nous avons déjà progressé sur d’autres sujets, comme la fiscalité. C’est un travail de longue haleine.  » Ce groupe Récit va se doter d’une page Facebook. Ses membres n’excluent rien pour l’avenir.

D’autres sont dans le doute.  » Si je me lance un jour en partant de zéro, il me faudra être entouré de gros calibres, confie un avocat connu, qui a, lui aussi, passé un peu de temps à explorer l’opportunité de créer un parti. J’ai une dream team en tête, mais il faut que ces personnalités acceptent de se lancer et, pour l’instant, c’est non. Je pense que toute initiative sans gros calibre est vouée à l’échec.  » Nombre de ces groupements citoyens s’inspirent d’ailleurs de l’appel lancé il y a plus d’un an par trois grands patrons – Bernard Delvaux (Sonaca), Baudouin Meunier (UCL – Mont-Godinne) et Johnny Thijs (ex-La Poste) – appelant à réveiller la société belge en travaillant au départ de projets.  » Une idée intéressante, note Walter Feltrin (Oxygène). Mais il faut aussi songer à un projet global de société.  »

Ce foisonnement d’initiatives en tout genre va-t-il vraiment induire un changement ? Le label  » citoyen « , censé être davantage un gage d’honnêteté que l’étiquette  » politique  » salie par les affaires, a été brandi lors de chaque crise structurelle touchant le pays. Ce fut singulièrement le cas après les dysfonctionnements de l’ère Dutroux et la Marche blanche, dans les années 1990 En vain : le paysage politique francophone est resté relativement conservateur, et les affaires ont continué. Cette fois, la profondeur des crises multiples secouant la société depuis 2008 pourrait pourtant permettre à une offre politique nouvelle d’émerger. C’est l’avis de trois politologues de l’UCL, Min Reuchamps, Vincent Jacquet et Christoph Niessen.  » Le pire serait que rien ne change « , disent-ils au Vif/ L’Express

Les temps changent. Mieux vaut être prêt. Ce n’est sans doute pas un hasard si un Jean-Michel Javaux, ancien coprésident d’Ecolo et éternel wonder boy de la politique francophone, a lancé un groupe de réflexion baptisé E-change avec, notamment, Alda Greoli (CDH).  » Tout l’inverse d’un parti, a-t-il affirmé, réfutant toute nouvelle ambition politique. L’objectif consistait, au contraire, à créer une dynamique permettant à des gens de discuter de projets à long terme « , mais au sein même d’E-change, certains pensaient bel et bien à la création d’un parti. Avant de débrancher la prise des majorités francophones, Benoît Lutgen, président du CDH, rêvait lui aussi d’un mouvement En marche.  » Macron ne réussira pas tout, il connaîtra les échecs mais c’est formidable d’avoir rassemblé les optimistes dans la société française, commentait-il après l’élection du président français. On doit pouvoir le faire chez nous, en Wallonie et à Bruxelles, où l’on est toujours en train de se dire qu’on est mauvais, alors qu’il y a des gens formidables.  »

Dans ce bouillonnement citoyen, quelqu’un parviendra-t-il à incarner ce nouvel optimisme ?

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