Bourgmestre de Dour depuis 2006, Carlo Di Antonio a continué à faire le plus gros de ses affaires sur le territoire de la commune qu'il dirige. © Ronald Dersin/PHOTO NEWS

Carlo Di Antonio, le dourocrate

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Très grand propriétaire immobilier, gros actionnaire du festival qu’il a fondé, le ministre wallon et bourgmestre empêché de Dour (CDH), Carlo Di Antonio, cumule bonnes fortunes publiques et fructueuses affaires privées. Toujours sur le territoire de sa commune.

La transparence est un vieux truc de prestidigitateur : parfois, les choses sont si claires qu’on ne les remarque plus. A Dour, 17 000 habitants, aux confins du Borinage et des Hauts-Pays, tout le monde sait tout ce que fait le bourgmestre. Pas parce que c’est le bourgmestre, mais parce qu’il ne cache rien. Carlo Di Antonio (CDH), en effet, n’est pas le plus connu des Dourois parce qu’il en est, depuis 2006, le premier. Il en est le premier parce qu’il en était déjà le plus connu avant 2006. Et il l’est, surtout, parce que s’il est si connu, c’est qu’il a mis Dour sur la carte. Et qu’il a mis la main sur la carte de Dour. Coureur de demi-fond, organisateur de festival, entrepreneur, propriétaire, administrateur délégué, député, bourgmestre empêché, ministre, le cumul des vies de Carlo Di Antonio est assez simple à résumer : à Dour, il fait tout et il a tout, ou presque.

Rien ne se fait en cachette, et tout se fait dans les limites de la loi. Il était administrateur délégué rémunéré du festival lancé en 1989. Il n’en est plus qu’un actionnaire bien rémunéré depuis que, devenu bourgmestre fin 2006, il a cédé son poste à Damien Dufrasne. Il était gérant d’une poignée de sociétés actives dans l’immobilier, l’Horeca, le sport, l’économie sociale, le tout uniquement sur Dour, où le ministre estime posséder  » une quarantaine de propriétés « . Il n’en est plus que le propriétaire depuis que, devenu ministre wallon fin 2011, il en a cédé la gestion à Damien Dufrasne. Il était bourgmestre de Dour, il n’en est plus que conseiller communal et mayeur empêché depuis que, devenu ministre fin 2011, il en a cédé l’écharpe, pour une fois à quelqu’un d’autre que Damien Dufrasne. Ce dernier était alors échevin et président de la société de logements sociaux, en plus de gestionnaire des sociétés privées du bourgmestre.  » Des situations qui pourraient amener des conflits d’intérêts, il y en a plein « , dit Carlo Di Antonio. Mais le tout est transparent, donc légal. Formellement, il ne s’occupe plus de rien. Même si  » bon, on se voit, hein. Damien Dufrasne et moi on est amis, depuis tout ce temps. Donc s’il y a quelque chose de particulier à signaler, il le signale. Sinon, c’est que ça tourne « , ajoute l’intéressé partout empêché.

L'espace 65, rue Grande. Une des cinq propriétés du bourgmestre-ministre-investisseur dans la principale artère commerçante de Dour.
L’espace 65, rue Grande. Une des cinq propriétés du bourgmestre-ministre-investisseur dans la principale artère commerçante de Dour. © photos : hatim kaghat pour le vif/l’express

Et ça tourne bien. Comme ce 29 mars dernier, où la commission consultative communale d’aménagement du territoire se penchait sur un projet d’immeuble, du 96 au 100 de la rue Grande, principale artère commerçante locale, que les autorités municipales désirent transformer en carrefour du commerce vintage. Ce projet, treize appartements et un rez commercial, est porté par La Sensacion, société dont Carlo Di Antonio, bourgmestre empêché de Dour, est le fondateur et l’actionnaire, et dont Damien Dufrasne, ancien échevin du logement et conseiller communal démissionnaire, est, via sa société Dufrinvest, président du conseil de gérance. Il sera avalisé sans problème. Comme toujours.  » Je ne suis pas le demandeur car je ne suis plus gérant de ces sociétés, je ne suis plus bourgmestre, donc ce n’est pas moi qui signe les permis, mais tout le monde sait que je suis encore actionnaire d’un côté et que je suis encore conseiller communal et bourgmestre en titre, donc un peu le chef de la majorité. Il n’y a pas de conflit d’intérêts parce que les choses sont cadenassées juridiquement. Mais maintenant, c’est clair qu’en matière d’influence, on ne peut pas s’empêcher de penser à ça…  » Il possède de fait, rue Grande, cinq bâtiments, dont un abrite une sandwicherie, un autre, en voie de rénovation, un bandagiste, un autre, sa société de titres-services. L’autorité communale n’a jamais tardé à lui céder les autorisations nécessaires. Parce que toutes les parties sont intéressées.  » A chaque fois, ça a été accueilli avec soulagement par la commune « , lance Carlo Di Antonio.  » Elle voit un truc qui va se rénover, et comme en général on essaie de faire des belles choses, correctement…  »

Précieuses anciennes câbleries

De ces  » belles choses  » qui garnissent le patrimoine mayoral, une prochaine entrera bientôt dans le giron ministériel, une massive ferme-château au coeur d’Elouges. La rumeur évoque une transaction à 300 000 euros.  » Je pense que c’est moins. Ma soeur voudrait y habiter « , explique-t-il. C’est que cet aîné de six enfants, fils d’un mineur venu des Abruzzes, self-made-man des Hauts Pays, n’a pas grandi tout seul. Frères et soeurs se sont associés à la plupart de ses initiatives. Roberto, dit  » Bob « , est le plus actif de la fratrie : sa société, Mar’Bob, s’occupe d’immobilier, d’Horeca, et d’exploitation de sablières et de marbrières. Le bourgmestre de Dour en détient une part. Au printemps 2014, le ministre wallon de l’Aménagement expropriait partiellement trois parcelles appartenant à Mar’Bob, pour pouvoir y construire une route de contournement de Dour, grâce à laquelle les trois parcelles ne seront plus enclavées.  » J’ai dû me bagarrer avec les propriétaires « , déclarait l’expropriateur-exproprié lorsque nos confrères de L’Avenir, en mars 2016, révéleront l’affaire. Somme toute, Carlo Di Antonio expropriait un peu Carlo Di Antonio, et désenclavait trois des biens de Carlo Di Antonio.  » Une imprudence « , concédera-t-il tout au plus.  » Une maladresse « , renchérira le ministre-président Magnette.

L’homme d’affaires et le politique

A la fin de cette année 2014, le ministre wallon de l’Aménagement du territoire signe un autre document intéressant hautement le premier des Dourois. Le 23 décembre 2014 en effet, Carlo Di Antonio le ministre paraphe un arrêté fixant le périmètre du  » site à réaménager  » (SAR, en wallon administratif) des anciennes câbleries de Dour qui intéresse directement Carlo Di Antonio le bourgmestre et qui intéresse indirectement Carlo Di Antonio l’homme d’affaires. Le vaste site de l’usine, chancre, puis friche, s’était trouvé un repreneur, venu un jour présenter ses plans à la permanence du bourgmestre, un samedi matin. Le projet de Ducadour séduit majorité et opposition. La nouvelle est excellente pour Dour et très bonne pour un de ses grands propriétaires. Car l’investissement vise à implanter un centre commercial de quelque 20 000 mètres carrés, flanqué de logements. Sauf que d’autres sociétés prospèrent déjà sur le site, juste à côté de la surface concernée par le SAR. Celles de Damien Dufrasne, Carlo et Bob Di Antonio. C’est là, en effet, au 100 rue des Canadiens que se trouvent les sièges sociaux de La Sensacion, de la Sogevest, des Galeries, de L’Entraide, de Dour Locations, des Aulnes, de Dufrinvest et, bien sûr, du Dour Music Festival. Cette dernière loue d’ailleurs à Dour Locations des hangars des anciennes câbleries, où se trouvent ses bureaux et ses stocks. Et que ces sociétés en profiteront largement lorsque Ducadour inaugurera son centre commercial.  » Tout ce coin-là de Dour va augmenter de valeur, j’espère bien! « , clame Carlo Di Antonio.  » Nos bâtiments ont déjà leur vie propre par l’autre rue, et puis il n’y aura pas un spectateur de plus au festival grâce au centre commercial…  »

Aujourd’hui, ce festival est une affaire qui marche du tonnerre, au plus grand profit de ses actionnaires. Il coûte aussi de l’argent à la collectivité : 60 % du budget d’intervention de la zone de police locale y sont consacrés.  » Mais nous sommes le seul festival qui donne de l’argent à la commune, chaque année, entre 30 000 et 45 000 euros lui sont versés. Et il n’y a aucun ouvrier communal qui preste quoi que ce soit !  » assure le bourgmestre empêché. Le festival a fait de Carlo Di Antonio un millionnaire. Le millionnaire a choisi de réinvestir dans la vie économique communale. L’investisseur a choisi de s’investir dans la vie politique communale. Le bourgmestre a choisi de céder la gestion de son patrimoine à un ami. L’ami a choisi de s’investir dans la vie économique communale aussi, et dans la vie politique communale aussi. Damien Dufrasne a abandonné la politique locale. Un suppléant sur la liste du bourgmestre lui succèdera. Pas un CDH, un MR : le bijoutier Alain Miraux. Un des trois administrateurs, avec Damien Dufrasne et Bob Di Antonio, de Dour Music Festival. Toujours dans la plus grande transparence.

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