Le gouvernement wallon et son ministre Carlo Di Antonio voudraient ne pas se tromper de cible. © BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Carlo Di Antonio (CDH) donne 40.000 euros de subsides à une ASBL fondée par deux de ses collaboratrices

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Une association fondée en 2015 par la présidente du Tennis Club de Dour et par deux employées du cabinet du ministre wallon du Bien-être animal a reçu de la Région 17.000 euros en 2015 et 23.000 en 2016 pour organiser un salon du bien-être animal…sur le site du Festival de Dour. Salon dont Carlo Di Antonio était, bien sûr, un des invités.

Le Borinage. Ses chemins tortueux, son passé minier, son quotidien incertain, et son stade Vedette, où gambadent ces Francs Borains que dirige Bob Di Antonio. Son festival de rock and roll, aussi, qui a placé Dour sur la carte du monde. Et, sur cette carte du monde, un point orange, où mènent presque tous les chemins borains : son bourgmestre empêché parce que ministre wallon, Carlo Di Antonio.

Le Vif/L’Express a déjà raconté comment, à sa désignation comme ministre fin 2011, il avait cédé la gestion de toutes ses sociétés privées à Damien Dufrasne, ami et associé, en politique -jusqu’au printemps dernier, où Damien Dufrasne, encore conseiller communal et ci-devant échevin et président du CPAS, décidait d’abandonner tous ses mandats publics- comme, surtout, en affaires. Carlo Di Antonio, bien sûr, reste intéressé par ses sociétés (Dour Music Festival, par exemple, a distribué 1.500.000 euros de dividendes à ses actionnaires en 2016, et 300.000 cette année), toutes sises au quartier général du 100, rue des Canadiens : Dour Music Festival, bien sûr, mais aussi La Sensacion, la Sogevest, les Galeries, l’Entraide, Dour Locations et les Aulnes, soit autant d’entités, actives dans l’immobilier, l’Horeca ou le commerce, dont le ministre est actionnaire, majoritaire ou minoritaire.

Carlo Di Antonio chez lui, sur le site du festival de Dour. Il n'en est jamais loin, même à Namur.
Carlo Di Antonio chez lui, sur le site du festival de Dour. Il n’en est jamais loin, même à Namur.© Virginie Lefour/Belgaimage

Mais depuis mai 2015, le 100, rue des Canadiens, dispose d’une autre locataire. Une ASBL, fondée le 29 mai de cette année, et qui, selon ses statuts, a « pour but de sensibiliser les différents publics au bien-être animal par le biais de l’organisation d’événements s’y rapportant (salons, conférences, actions de sensibilisation,…) ». Baptisée Bien-être animal (BEA) et constituée par trois fondatrices, BEA est présidée par Anaïs Leleux. Celle-ci, candidate MR à Hensies au communales de 2012, préside également le tennis club « Le Belvédère » de Dour. Et milite « dans le premier cercle du MR local », selon l’échevin réformateur Pierre Carton. MR dourois qui, en 2012, s’était associé à la liste Dour +, menée par Carlo Di Antonio. Auparavant employée par l’ASBL Actions et recherche culturelles Dour-Hauts Pays (ARC), basée au 100 de la rue des Canadiens et section boraine de l’organisme d’éducation permanente national du même nom, historiquement lié au CDH, Anaïs Leleux pilotait alors le projet dourois de Maison des Associations et de la Promotion des Circuits Courts (MAPROCC) porté par ARC. Subsidiée par la Région wallonne et basée au 100 de la rue des Canadiens, la MAPROCC pour laquelle travaillait Anaïs Leleux a évidemment aidé au développement des activités de l’ASBL basée au 100 de la rue des Canadiens que présidait Anaïs Leleux et que la Région wallonne a, elle aussi, subsidiées.

Les deux autres fondatrices de l’ASBL BEA peuvent difficilement être qualifiées autrement que de proches de Carlo Di Antonio, dont elles incarnent l’intérêt manifeste pour les circuits courts, y compris politiques. La première, Melissa Pistidda, milite au CDH d’Hensies, pour lequel elle était candidate en 2012. Elle est employée à mi-temps au cabinet ministériel de Carlo Di Antonio. La seconde, Emilie Lefebvre, CDH douroise, a été salariée par les cabinets successifs de Carlo Di Antonio depuis 2012, à mi-temps jusqu’à décembre 2015, puis comme experte à un dixième de temps-plein, mission qui n’a pas été prolongée à la constitution, fin juillet, du « nouveau » cabinet Di Antonio. Si Emilie Lefebvre avait alors quitté le cabinet, c’est qu’un autre projet professionnel l’attendait. Elle est depuis janvier 2016 gestionnaire des ressources humaines de l’ASBL Go Go Go, une association dont l’objectif, disent ses statuts, est « la promotion de l’art et des musiques actuelles en Belgique et à l’étranger ». Fondée par Damien Dufrasne et Carlo et Bob Di Antonio en 2005, l’ASBL Go Go Go a pour siège social le 100 de la rue des Canadiens. Et a reçu un subside (1.500 euros) du cabinet en 2016. Toujours ce goût des circuits courts.

Avec Emilie Lefebvre et Anaïs Leleux, au Salon du bien-être animal de Dour, en 2015.
Avec Emilie Lefebvre et Anaïs Leleux, au Salon du bien-être animal de Dour, en 2015.© DR

40.000 euros de subsides wallons

A l’automne 2015, puis au printemps 2016, l’ASBL Bien-être animal a tenu les salons auxquels elle aspirait. Au programme de ce Salon International du Bien-être animal (SIBA), pour le plus grand ravissement des défenseurs de la cause: démonstrations de dressage et de toilettage, spectacles équestres, concours de beauté, conférences, débats, et joyeuses animations de toutes espèces, assurées par une trentaine puis une cinquantaine d’exposants, respectivement, pour la première et la seconde édition. Celles-ci, les 18 et 19 septembre 2015 et les 28 et 29 mai 2016, se tinrent sur le site de Dour Sports, club d’athlétisme relancé à la fin des années quatre-vingt par un fringant coureur de demi-fond, Carlo Di Antonio, et dont les infrastructures, sur le site de la Machine à Feu, servent chaque été à l’organisation du Festival de Dour, lancé à la fin des années quatre-vingt par un entrepreneur visionnaire, Carlo Di Antonio. Les deux éditions du SIBA ont accueilli trois mille visiteurs la première année, puis plus du double l’année suivante. Parmi eux, le ministre wallon du Bien-être animal, Carlo Di Antonio. Employeur de deux des trois fondatrices de l’ASBL, le Dourois, que ces matières préoccupent depuis toujours, a les faveurs de BEA. Il était un des invités d’honneur du SIBA de septembre 2015, les organisatrices lui ayant offert une visite officielle et une séance de questions-réponses de deux heures avec les visiteurs, le dimanche, entre le début du concours Dog Model et celui de la démonstration de Disc Dog.

Et Carlo Di Antonio est le seul homme politique à avoir les faveurs de la page Facebook du SIBA, qui met régulièrement en valeur ses initiatives en la matière, tandis que c’est une aide de valeur que Carlo Di Antonio, lui, a apporté à l’ASBL fondée par ses collaboratrices. La commune de Dour tout d’abord, dont Carlo Di Antonio est bourgmestre empêché, a apporté un soutien logistique aux événements de BEA. Et le cabinet du ministre wallon du Bien-être animal, dont Carlo Di Antonio est le titulaire, a déboursé, sur deux exercices, plus de 40.000 euros d’argent wallon : 17.130 euros en 2015 et 23.000 euros en 2016.

Pour résumer ce circuit très court, le cabinet de Carlo Di Antonio a versé 40.000 euros d’argent public à une ASBL privée fondée notamment par deux membres du cabinet de Carlo Di Antonio pour organiser sur le site du Festival de musique dont Carlo Di Antonio est propriétaire et avec le soutien de la commune dont Carlo Di Antonio est bourgmestre en titre un salon consacré à une matière dont Carlo Di Antonio est le ministre.

Au cabinet en question, on précise que « ce salon est né à l’initiative d’Anaïs Leleux, qui était présente à une conférence sur le bien-être animal. Elle est intervenue pour lancer l’idée d’un salon regroupant toutes les associations en matière de bien-être animal. Le ministre a validé le principe et le soutien de la Région si une telle initiative voyait le jour. Melissa Pistidda, qui était la référente bien-être animal dans la cellule ‘relais mandataires et citoyens’, et Emilie Lefèbvre, fan des animaux (NDLR : sic), ont voulu soutenir concrètement en donnant de leur temps et de leurs bras pour l’organisation ». Et on ajoute que, bien entendu, les trois fondatrices de l’ASBL n’étaient pas rémunérées pour ces activités : « les montants reçus ont servi à payer des frais relatifs à l’organisation, mais en aucun cas des salaires ou des défraiements ». En mai dernier, Melissa Pistidda et Emilie Lefèbvre quittaient le Conseil d’administration de l’ASBL BEA, tout en restant membres de son Assemblée générale. « On a fait entrer des bénévoles au CA parce qu’Emilie, notamment, a changé d’occupation professionnelle, et qu’elle n’avait plus le temps ni l’occasion de nous aider », confie Anaïs Leleux. Et aucun salon, cette année, n’aura été tenu par BEA. « Tout simplement parce que je n’en ai pas eu le temps, mais il y en aura un l’année prochaine, dans une autre commune », ajoute la présidente

Au 100, rue des Canadiens, siège du festival de Dour. Et de treize autres sociétés appartenant à Carlo Di Antonio et à ses proches.
Au 100, rue des Canadiens, siège du festival de Dour. Et de treize autres sociétés appartenant à Carlo Di Antonio et à ses proches. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L’EXPRESS

« Le lien entre le Borinage et le cabinet »

Melissa Pitsidda et Emilie Lefèbvre ne sont pas les seules collaboratrices du ministre dourois à militer au CDH de sa circonscription. Elles ne sont pas les seules non plus à avoir été employées dans l’une ou l’autre des sociétés privées de Carlo Di Antonio. Et elles ne sont pas les seules à avoir travaillé dans cette cellule « relais mandataires et citoyens » dont tous les collaborateurs d’hier et d’aujourd’hui, sans exception, sont soit mandataires locaux dans la circonscription du ministre, soit militants du parti du ministre, soit salariés ou bénévoles de projets, privés ou publics, lancées ou financées par le ministre, soit le tout en même temps. Le site officiel de Carlo Di Antonio a diffusé deux fois, une fois en février, une fois début juillet, deux listes des effectifs du cabinet. Certains, depuis, ont quitté le cabinet. Sans jamais retomber loin du 100 de la rue des Canadiens.

Affectés à la cellule « relais mandataires et citoyens » se trouvent ou se sont trouvés, outre Melissa Pitsidda et Emilie Lefèbvre :

– Le chef de file du CDH de Quevy (arrondissement de Mons-Borinage), Aurélien Godin, employé à mi-temps jusqu’à la fin du mois de juillet dernier. Il était jadis bénévole au festival de Dour et il y travaille chaque année, « comme volontaire pour l’ASBL Go Go Go », dit-il. « Et je me mets, bien sûr, en congé », précise-t-il. Jusqu’à l’édition 2016 du festival, outre du cabinet de Carlo Di Antonio, Aurélien Godin devait, pour aider à l’organisation du Festival de Dour, se mettre en congé de l’ASBL Taxistop, une association subsidiée (120.000 euros de subvention récurrente annuelle) par le ministre wallon de la Mobilité, Carlo Di Antonio, pour sensibiliser les communes à la problématique du covoiturage. Cette année, c’est à un autre employeur qu’il a dû demander quelques jours off : la Région wallonne. Depuis avril dernier en effet, Aurélien Godin est salarié à mi-temps pour le compte de Festival Wallonie#Demain, une « opération qui vise à rendre les festivals wallons plus éco-responsables » lancée « à l’initiative du ministre wallon de l’Environnement, Carlo Di Antonio », peut-on par exemple lire sur le site du Ward’In rock festival. Festival Wallonie#demain soutient, cela va sans dire, au Festival de Dour: Dour développement durable, ASBL basée au 100, rue des Canadiens, a perçu l’an dernier 12.000 euros de subsides du cabinet Di Antonio.

– Le conseiller communal CDH et ancien échevin de Frameries, Ghislain Stiévenart, employé à mi-temps.

– Le conseiller communal indépendant de Mons, et candidat d’ouverture sur la liste régionale CDH en 2014, John Joos, employé à mi-temps jusqu’à la fin du mois de juillet dernier. Gravement malade depuis juin 2015, il était rémunéré par la mutuelle. Il a annoncé sa volonté de mener une liste indépendante, contre notamment celle du CDH donc, aux communales montoises de 2018. Son contrat au cabinet n’a pas été renouvelé.

– Le conseiller communal CDH de Colfontaine Lionel Pistone, employé à mi-temps jusqu’à 2016, et expert à un dixième de temps ensuite jusqu’au 31 janvier 2017.

– La CDH douroise Marie-Claire Martin, employée à mi-temps, mais plus reprise sur la liste publiée début juillet, tout comme la Montoise Caroline Domecki.

– Une jeune graphiste pour le Festival de Dour, Isabella Simi, employée à mi-temps pendant les quatre semaines de juillet de cette année, en charge « de la préparation de la semaine de la mobilité et de la création graphique de celle-ci ».

Cette cellule « relais mandataires et citoyens » n’est pourtant pas censée se focaliser sur la circonscription du ministre, tant s’en faut. « Les argents de cette cellule sont chargés de répondre à toutes les demandes émergeant des citoyens et des mandataires qui contactent le cabinet par mail, téléphone, courrier, ou lors de rencontres au cabinet ou sur le terrain », nous a ainsi, dans un premier temps, expliqué la porte-parole de Carlo Di Antonio. Mais Le Vif/L’Express a mis la main sur un mail envoyé par l’ancienne rédactrice en chef de Télé-MB, Sandrine Duplicy, qui contredit cette version officielle. « Avec Ghislain Stiévenart, je serai désormais l’un des liens entre le cabinet du ministre Carlo Di Antonio et les communes de Mons-Borinage notamment. L’essentiel de mon travail consistera à mettre en valeur les actions du ministre wallon de l’Environnement, de la Mobilité, de l’Aménagement du territoire et du Bien-être animal », écrivait en effet Sandrine Duplicy en février 2016, alors qu’elle venait d’entrer, comme directrice du « relais mandataire et citoyen », au service de Carlo Di Antonio. « L’ensemble des mandataires wallons ont été contactés de la sorte. Ce courriel n’est qu’une partie de l’envoi global », nous a-t-on ensuite répondu, comme si les communes boraines dont proviennent le ministre comme tous les collaborateurs de sa cellule étaient des communes comme les autres.

Nous avons présenté les activités des membres de cette cellule du cabinet Di Antonio à un spécialiste du droit administratif. Son avis : « Prise d’intérêt et coalition de fonctionnaires. C’est du lourd. Milquet a été inculpée pour mille fois moins, et Furlan a dû démissionner pour dix mille fois moins. » Quoiqu’originaire d’ailleurs que du Borinage, il a préféré garder l’anonymat. C’est que c’est vraiment du lourd.

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