BHV fait tourner la tête au CD&V

En Flandre, Kris Peeters, pieds et poings liés à une N-VA remontée. Au fédéral, Yves Leterme flanqué de partenaires francophones sur le qui-vive. Entre les deux, Jean-Luc Dehaene empêtré dans la mission sur BHV. Le CD&V est à nouveau forcé de concilier tout et son contraire. Ou bien prendra tous les coups.

Vive les vacances. Temps béni où les ténors de partis sont dans la nature, où les assemblées parlementaires affichent portes closes, où l’agenda politique est en veilleuse. Un de ces moments privilégiés où la classe politique peut s’abstenir de commenter à chaud les sujets qui fâchent. Aubaine : l’actuel oeuf à peler atteint logiquement le point d’ébullition. Placée depuis belle lurette sous l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, la bombe à retardement tient déjà ses promesses. Sans savoir si le démineur Jean-Luc Dehaene (CD&V) finira par la désamorcer à temps – plus qu’une quinzaine de fois dormir… -, la charge explosive donne d’inquiétants signes d’activité.

Première grosse étincelle à la veille du congé de Pâques, quand Geert Bourgeois, ministre flamand de l’Intérieur (N-VA), carbonise les frêles espoirs d’une nomination des maïeurs francophones de Crainhem, Linkebeek et Wezembeek-Oppem, en périphérie bruxelloise. Riposte au lance-flammes du président du FDF, Olivier Maingain, qui y va d’une comparaison douteuse avec des procédés dignes de l’occupation allemande.

Seconde poussée d’adrénaline quand la VRT, la chaîne publique de télé… flamande, met le feu aux poudres : face caméra, des bourgmestres flamands de la périphérie racontent comment, avec le concours de promoteurs immobiliers, ils s’ingénient en catimini à éloigner les candidats acheteurs qui ont le tort, sinon d’être francophones, du moins de ne pas parler le néerlandais. Emoi, mini-scandale, malaise en Flandre même. Et flottement jusqu’au sein du CD&V : flamingant pointu mais légaliste, le député Eric Van Rompuy désavoue les maïeurs de Gooik, Vilvorde et Overijse. Tous étiquetés ou apparentés CD&V. Au passage, l’intouchable Dehaene est éclaboussé par la polémique : l’ex-bourgmestre de Vilvorde aurait cautionné le procédé.

Escarmouches classiques, menées par les seconds couteaux. Mais l’avis de tempête communautaire fait frissonner le landerneau politique. Plus peut-être que les autres, le CD&V doit gamberger : comment réussir à passer entre les gouttes quand on est à ce point exposé ? Aux commandes au gouvernement flamand et au gouvernement fédéral, à la man£uvre dans le bourbier BHV : la pression est maximale sur le parti des Peeters, Leterme et Dehaene. Le conflit d’intérêts devient insupportable à porter. Entre combat flamand à la hussarde et défense laborieuse d’un modèle fédéral, le grand écart vire au supplice. Le CD&V prie le ciel pour que son démineur en titre le délivre de ce mal.

Menace en Flandre : la N-VA fait perdre le nord à Kris Peeters

Il y a plus exaltant que de diriger un gouvernement flamand avec un flingue collé sur la tempe par des types toujours prêts à actionner la gâchette. Le ministre-président Kris Peeters (CD&V) l’a bien cherché : « Quelle erreur fatale d’avoir choisi pour sa coalition les nationalistes de la N-VA plutôt que les libéraux de l’Open VLD ! » soupire un ponte du CD&V. Qu’il s’en morde ou non les doigts, Kris Peeters est otage consentant de la surenchère communautaire et des provocations de son remuant partenaire séparatiste. Il passe beaucoup à son inflexible ministre de l’Intérieur : Geert Bourgeois (N-VA) confirme la mise à l’index des trois bourgmestres francophones non nommés en périphérie, au moment même où Dehaene aborde la phase la plus délicate de sa mission ? Rien à redire : Peeters « couvre », laisse à son ministre la responsabilité du timing retenu. Bourgeois manifeste sa compréhension pour les maïeurs flamands et leur manière très peu orthodoxe de « stimuler le caractère flamand de leur commune » ?

Peeters ne dit mot. Profil bas. Impossible d’agir autrement, sous peine de provoquer un clash gouvernemental à l’échelle de la Flandre. « Et de passer pour traître à la cause flamande », grince un élu du CD&V, affligé par le martyre de Kris Peeters : « Un ministre-président crucifié, contraint de ne pas désavouer la N-VA. » Sans grand espoir d’alternative : « Croyez-vous que les libéraux flamands auront envie de monter dans un gouvernement flamand en lieu et place de la N-VA, à un an du scrutin fédéral ? »

Seule issue pour Peeters : continuer à jouer la carte du bon Flamand. Par conviction. Mais aussi pour ne pas la laisser entièrement filer dans le camp d’une N-VA dopée par les sondages. Le populaire Bart De Wever et les siens auraient tort de changer une tactique qui gagne. Chaque embarras causé au parti de Kris Peeters en Flandre contrarie le même parti d’Yves Leterme au niveau fédéral. C’est bien le cadet des soucis de la N-VA : il siège dans l’opposition au fédéral. Le cartel CD&V-N-VA a vécu. Mais il y a de ces divorces qui se paient cher.

Péril au fédéral : l’heure de vérité fait trembler Yves Leterme


L’autre homme fort du CD&V a parachevé sa métamorphose. Gommé l’homme des « cinq minutes de courage politique » qu’il prétendait suffisantes pour scinder BHV. Le Leterme nouveau est arrivé : Premier ministre de tous les Belges. Mais CD&V dans l’âme. Qui sait que son capital de sympathie, il ne pourra le valoriser qu’auprès d’électeurs flamands. Tout autant que Kris Peeters, son grand rival au sein du parti, Leterme joue serré. Il est doublement attendu au tournant : par ses partenaires francophones, le FDF en tête, qui seront particulièrement sourcilleux sur ses gages de loyauté fédérale.

Et dans l’aile flamande, par un Open VLD que son rejet dans l’opposition en Flandre (merci, Kris Peeters…) pourrait pousser à la surenchère communautaire. Avec l’incontournable N-VA en embuscade. Fini pour Leterme de s’abriter derrière la carapace de l’envoyé spécial Dehaene : le temps approche où le Premier ministre CD&V va devoir renouer avec le communautaire. Pas son meilleur souvenir personnel. Ni pour le CD&V.

Suspense sur BHV : la peur du chaos fait espérer Jean-Luc Dehaene

Apparemment insensible aux coups qui pleuvent, le démineur royal de BHV s’avance toujours à couvert. Mais fin des vacances de Pâques, Jean-Luc Dehaene doit sortir du bois. Le troisième larron du CD&V pourrait faire le bonheur, comme le malheur, de ses coreligionnaires. Supposons que Flamands et francophones trouvent un terrain d’entente, même fragile, mais que la N-VA s’empresserait de juger imbuvable : Kris Peeters et sa coalition pourraient ne pas résister à l’épreuve. Camouflet politique pour l’homme qui a fait le pari du partenariat avec la N-VA. Imaginons un montage institutionnel qui fâche le nord et/ou le sud du pays. La mécanique infernale BHV s’enclenche, c’est Yves Leterme qui devrait jeter l’éponge avec son gouvernement. Fin de partie pour le Premier ministre fédéral, qui n’aura plus de nouvelle chance.

Le CD&V vit un drame intérieur. Il se retrouve à la tête de deux gouvernements aux profils flamands contraires. En Flandre, Peeters gouverne avec le SP.A et la N-VA, et a relégué l’Open VLD dans l’opposition. Au fédéral, Leterme compte l’Open VLD dans sa majorité, alors que la N-VA et le SP.A siègent dans l’opposition. L’ex-CVP est coutumier des grands écarts politiques. Mais celui-là est d’une envergure telle qu’il pourrait lui faire très mal.

PIERRE HAVAUX

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