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Benoît Lutgen peut-il sauver le CDH ?

Depuis cinquante ans, le PSC puis le CDH n’ont cessé de décliner. La présidence de Joëlle Milquet a permis d’enrayer la dégringolade. Mais la santé du parti reste fragile, et le doute guette les centristes. C’est dire si l’arrivée de Benoît Lutgen suscite bien des espoirs. Trop, peut-être.

Le jeudi 1er septembre, Benoît Lutgen prendra les rênes d’un parti qui revient de loin. La veille, Joëlle Milquet lui aura remis les clés de la maison orange, qu’elle a dirigée à sa mode – à la fois intuitive, visionnaire et bordélique – douze ans durant. Douze ans pendant lesquels elle s’est échinée à empêcher un effondrement que tous prédisaient inéluctable. Il y avait urgence : quand Joëlle Milquet en devient présidente, en 1999, le Parti social-chrétien (PSC) sort d’une dégelée électorale comme on en fait peu, moins de 16 % des voix francophones, son pire résultat depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. Menée au forceps, la transformation aboutit en 2002 à l’abandon de la référence chrétienne. Le PSC laisse place au Centre démocrate humaniste (CDH). « Je lui serai toujours reconnaissant de nous avoir forcé à ce changement », souffle le député bruxellois Joël Riguelle. Un sentiment partagé parmi les ex-sociaux-chrétiens. Sans Joëlle Milquet, pas sûr que leur parti existerait encore, c’est aussi simple que ça.

Si le CDH est aujourd’hui sorti des soins intensifs, sa santé reste fragile. D’élection en élection, l’érosion se poursuit. « Il faut être honnête, ces dix dernières années, on a continué à aller decrescendo, sur une pente douce », résume crûment Maxime Prévot, l’une des valeurs montantes du parti, député wallon et échevin à Namur. Avec 16,1 % des voix aux régionales de 2009 et 14,6 % aux fédérales de 2010, le CDH se situe en Wallonie en deçà de son résultat, déjà calamiteux, de 1999. Dans la capitale, le bilan est nettement plus positif : en dix ans, le parti est passé de 6 à 11 députés bruxellois.

Après cinquante ans de déclin, les chances de repasser un jour au-dessus du seuil des 20 % paraissent bien minces. « Si on analyse froidement la situation, non, il n’y a pas d’espoir, prédit Jean-Benoît Pilet, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles. Le CDH éprouve de grosses difficultés à trouver une raison de voter pour lui qui soit mobilisatrice. Longtemps, les valeurs chrétiennes et conservatrices ont constitué le principal argument pour convaincre les électeurs de soutenir un parti centriste. Quand ça a disparu de son programme, le CDH n’a pas réussi à trouver un autre thème mobilisateur. En ce sens, la question de sa survie reste posée. »

A quoi sert le CDH ? Quelle est sa raison d’être ? Qu’est-ce qui le distingue des autres formations politiques ? Questions lancinantes, qui continuent d’étourdir les centristes. Un temps, ils ont cru trouver dans la défense de la famille une raison d’être. Mais, si le thème est sympathique, il ne semble pas électoralement porteur. Le ministre bruxellois de l’Economie, Benoît Cerexhe, continue pourtant d’y croire. « Le CDH s’est énormément investi dans les négociations institutionnelles. Il doit retrouver ses fondamentaux : l’enseignement et la famille. Mais en exprimant ses propositions de façon plus radicale, par exemple en matière de crédit-temps, de congé-éducation, de création de crèches… »

Bien gérer ne suffit pas

Pour rebondir, les mandataires CDH tablent aussi sur leur profil de gestionnaires rigoureux. En gros : on ne vous promet pas de lendemains qui chantent, mais on fait tourner la boutique au mieux. « Réussir une campagne électorale, c’est beaucoup plus facile quand on est de gauche ou de droite, et qu’on peut accuser les sales exploiteurs ou les sales profiteurs. Mais pour gérer un pays, il faut être au centre », martèle Melchior Wathelet. Le secrétaire d’Etat au Budget considère même ce mélange de réalisme et d’efficacité comme le socle identitaire de son parti. « Le CDH, c’est avant tout ça : des gens qui ne font pas rêver, qui ne flattent pas l’oreille, mais qui respectent leurs engagements et qui prennent les bonnes décisions. »

Ces dernières années, Joëlle Milquet a pourtant délaissé quelque peu le créneau de la bonne gestion, jugeant sans doute que ce discours-là rappelait trop l’ancien PSC. « Peut-être doit-on le remettre en avant, suggère Wathelet. On doit capitaliser sur cet atout-là. Le PSC n’a jamais été aussi fort que quand il faisait ce qu’il savait faire de mieux : bien gérer. » Pas sûr que la recette fonctionne encore… « Au niveau local, il reste possible pour le bourgmestre de se présenter en disant aux gens : regardez, la commune est bien gérée. Par contre, lors d’élections régionales ou fédérales, le citoyen n’est pas convaincu par ce genre d’arguments, indique le politologue Jean-Benoît Pilet. Quand le CD&V joue cette carte-là, comme il l’a fait en 2010, il se plante. On a dit que Marianne Thyssen a perdu parce qu’elle n’était pas assez flamande. Non, elle a perdu parce qu’elle a fait campagne sur sa bonne volonté. Le pragmatisme, ça ne soulève pas les foules. »

L’adage maudit poursuit le CDH : les gens aiment être gouvernés au centre, mais pas par le centre. « Bah, ils finiront bien par se rendre compte qu’il est plus simple et plus sain de faire confiance à un parti qui tient le même discours avant et après les élections », philosophe Melchior Wathelet.

« L’opposition, ce n’est pas dans nos gênes. Fondamentalement, nous sommes un parti de pouvoir, développe Joël Riguelle. Mais le pouvoir pour le pouvoir, ça ne suffit pas. Nous devons porter un projet. C’est la question devant laquelle nous nous trouvons : quel est notre projet ? » Le bourgmestre de Berchem-Sainte-Agathe ose une réponse personnelle. Reprenant à son compte la formule de Jacques Attali, il estime qu’après la liberté et l’égalité le temps est venu d’essayer la fraternité. « Le concept de fraternité, c’est un programme politique en soi, ça parle au coeur et à l’intelligence. La réponse socialiste n’est plus suffisante. La vision libérale a montré ses limites : on ne peut pas construire un monde où les uns profitent de la misère des autres. Quant aux écolos, jusqu’à présent, ils n’ont pas été capables de concrétiser les espoirs qu’ils avaient suscités. Voilà pourquoi le CDH est indispensable. »

Pour prouver le caractère spécifique de l’humanisme, Céline Fremault, chef de groupe au parlement bruxellois, sort de sa manche une kyrielle d’exemples. Dont celui-ci : le bail à durée déterminée dans le logement social, l’une des exigences du CDH en Région bruxelloise. « Au fond d’eux, les libéraux détestent le logement social, argumente-t-elle. Pour nous, c’est une nécessité, on doit investir dedans. Mais, par contre, quand les occupants ne rentrent plus dans les conditions, il faut imposer une rotation. Sur ce créneau-là, nous sommes les seuls. »

Les chantres de l’associatif

Autre marque de fabrique du CDH : son attachement au secteur associatif. « Il découle de notre idéologie, précise Benoît Drèze, échevin à Liège. Pour nous, la gestion publique doit reposer sur un équilibre entre trois sphères : le secteur public, le secteur privé marchand et le secteur privé non marchand. Les socialistes privilégient le public, point barre. Ecolo est branché associatif, mais de contestation, pas de gestion. Greenpeace, c’est parfait, mais un hôpital ou une maison de repos, ça les intéresse moins. Là, il y a un créneau exclusif pour le CDH. » Lucide, l’ex-député fédéral relativise cependant son impact électoral. « A tout casser, ça peut séduire 10 % de la population. C’est trop court, donc. »

Retour à la case départ : quelles valeurs défendre, à la fois propres au CDH et électoralement rentables ? « On est globalement appréciés, les gens trouvent ça bien qu’on soit au pouvoir, constate Maxime Prévot. Ce qu’il faut maintenant, c’est recréer l’adhésion. La tentative de conceptualiser notre valeur ajoutée à travers l’humanisme démocratique, même si c’est intellectuellement très fort, ça reste en pratique difficilement compréhensible par Gisèle de Marcinelle ou Stéphane de Gembloux. » Le député wallon dévoile lui aussi sa recette : le bon sens. « Moi, je ne suis ni de gauche, ni de droite, je suis pour le bon sens. En politique, c’est devenu une denrée rare. Je dis aux gens : si vous êtes pour le bon sens, votez CDH ! »

FRANÇOIS BRABANT

Benoît Lutgen, l’espoir

Sauvé du naufrage, rassuré quant à son avenir immédiat, mais toujours travaillé par un doute existentiel, le CDH place beaucoup d’espoirs dans son nouveau président. Trois chantiers, au moins, attendent le successeur de Joëlle Milquet.

1. CONSOLIDER L’ANCRAGE LOCAL Le CDH, qui compte dans ses rangs les bourgmestres de Charleroi et de Namur, et qui siège dans la majorité à Bruxelles et à Liège, jouera gros aux communales de 2012. En la matière, Benoît Lutgen possède un sérieux atout : il sait gagner une élection. Sur ses terres du Luxembourg, bastion orange par excellence, le MR est arrivé en tête en 2003 et 2007, avant que le CDH ne reprenne le leadership en 2009 et 2010. Cette reconquista, Benoît Lutgen en est le stratège et l’artisan. Mais avant d’exporter sa méthode aux quatre coins de la Wallonie, il y a tout un maillage à reconstruire.

2. MONTRER LA DIVERSITÉ DU PARTI Traumatisée par les déchirements de la période PSC, Joëlle Milquet s’est employée à faire marcher ses troupes dans une même direction. Au risque de passer de l’unité à l’unicité. « Benoît Lutgen devra redéployer notre album de famille, pense Joël Riguelle. On doit peut-être apprendre à jouer en stéréo », admet Céline Fremault. C’est aussi l’avis de Benoît Drèze, qui confesse une nostalgie pour la période pré-1999. « Le parti reposait sur le trépied Maystadt-Wathelet-Deprez, c’est-à-dire une gauche crédible sur le plan financier, une droite humaine et soucieuse de l’intérêt général, et un centre qui essayait de faire la synthèse. Cela produisait une dynamique intéressante. Milquet, c’est une voie unique, l’alpha et l’oméga. Elle a ramené une unité qui nous manquait, mais, à la longue, c’est un peu anesthésiant. »

3. EXPLOITER LA VEINE RÉGIONALISTE Lutgen le Bastognard, qui a pour ainsi dire grandi parmi les sapins et les sangliers, et qui vient de passer sept ans au gouvernement wallon, ne cache pas sa fibre régionale. Sur ce plan, de nombreux élus s’attendent à une évolution sensible par rapport à Joëlle Milquet, universaliste par nature, allergique aux discours identitaires, partisane à tous crins de l’union Wallonie-Bruxelles.

F.B.

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