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Audit Belgocontrol : le ministre Bellot n’a pas tout dit au Parlement

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’audit commandé par le ministre fédéral de la Mobilité sur l’utilisation des pistes de l’aéroport entre le 2 et le 10 octobre n’a pas été réalisé comme il aurait dû l’être. Selon les informations du Vif/L’Express, Belgocontrol, l’entreprise publique en charge de la sécurité du trafic aérien, a en effet refusé de transmettre à l’administration l’ensemble des données nécessaires pour mener cet audit à bien et a fait obstruction au travail des auditeurs.

Interrogé au Parlement le 1er décembre dernier, le ministre François Bellot n’a pas communiqué cette information aux députés. Cet audit approfondi était pourtant d’autant plus nécessaire que c’est dans la période comprise entre le 2 et le 10 octobre derniers qu’une collision entre deux avions avait été évitée de justesse à Bruxelles National. Cette enquête a néanmoins été réclamée par le ministre alors qu’il n’avait pas encore connaissance de cet incident – ce qui constitue déjà, en soi, une anomalie.

Le 10 octobre, François Bellot s’adresse au SPF Mobilité pour lui demander de mener un audit sur l’utilisation des pistes durant les huit jours précédents. Cette mission a pour but de s’assurer que Belgocontrol a bien respecté les dispositions réglementaires qui devaient s’appliquer pour le choix des pistes de l’aéroport.

Aussitôt, la DGTA (Direction générale du trafic aérien) désigne trois auditeurs en son sein et rédige un document d’une cinquantaine de pages contenant une méthode standard d’audit.

Le 20 octobre, les auditeurs se présentent chez Belgocontrol, pour entamer leur travail d’enquête. Divers courriels ont été envoyés dans les jours qui précèdent pour préciser qui ces auditeurs souhaitaient rencontrer chez Belgocontrol.

Lors de cette réunion, Belgocontrol indique que les auditeurs ne pourront pas rencontrer les contrôleurs aériens « afin de ne pas générer de tension sociale », selon les informations du Vif. Belgocontrol consent toutefois à ce qu’une interview avec un superviseur de tour qui n’était pas en service entre le 2 et le 10 octobre soit envisageable.

Belgocontrol souhaite également « l’élaboration de conclusions communes » à cet audit, alors que la DGTA est précisément mandatée par le ministre pour rédiger ses conclusions en toute indépendance, à l’issue des interviews et analyses techniques qu’elle aura pu mener.

Lorsque les auditeurs réclament d’avoir accès aux dossiers d’audits internes et externes, entre autres, il leur est demandé de signer un contrat de confidentialité. Les experts du SPF Mobilité refusent, arguant qu’ils ont, en tant que fonctionnaires, un devoir de réserve de principe.

Au deuxième jour d’audit, le 21 octobre, trois des quatre représentants de Belgocontrol font savoir que, pris par un contretemps, ils sont dans l’impossibilité de rencontrer les auditeurs. Le quatrième n’est pas autorisé à rester seul avec ces derniers. Ce contretemps passé, Belgocontrol présente les données liées au choix des pistes de vol entre le 2 et le 10 octobre. Mais dans la mesure où les auditeurs ont refusé de signer l’accord de confidentialité exigé par Belgocontrol, ceux-ci ne peuvent ni interviewer les superviseurs de tours, ni rencontrer les managers individuellement, ni obtenir les rapports des audits internes, ni accéder aux données relatives à la période 2-10 octobre.

Le 24 octobre, François Bellot est averti par un courrier de son administration que, dans ces conditions, l’audit proprement dit n’a pas pu commencer.

Le 25 octobre, le ministre convoque Nathalie Dejace, directrice ad interim de la DGTA, ainsi que Johan Decuyper, le patron de Belgocontrol. Le chef de cabinet du ministre, Michaël Vanloubbeeck, qui est également commissaire du gouvernement auprès de Belgocontrol, est de la partie. A l’issue de cette rencontre, le ministre somme Belgocontrol de transmettre toutes les informations nécessaires à son administration.

Le 26 octobre, Belgocontrol fait parvenir au SPF Mobilité un cd-rom reprenant une partie des informations demandées, selon l’administration – la totalité des informations demandées, selon le gestionnaire du trafic aérien. L’envoi est assorti de conditions fixées par Johan Decuyper lui-même dans le courrier qu’il adresse à l’administration. « Les résultats, conclusions et éventuelles recommandations émises dans le cadre de l’audit ne seront transmis qu’au ministre et à moi », exige-t-il.

Le 27 octobre, les auditeurs demandent une nouvelle fois par courrier à pouvoir rencontrer séparément le « safety manager » de Belgocontrol, Alain Dubois, ainsi que la directrice des opérations, Peggy Devestel dans les locaux du SPF Mobilité. « Ils vous attendront chez Belgocontrol », leur répond-on. La DGTA maintient sa demande. Aucune de ces deux personnes ne se présente en ses bureaux. Les auditeurs se déplacent alors eux-mêmes chez Belgocontrol où on leur refuse une fois de plus la possibilité de mener des interviews individuelles. La direction de Belgocontrol a décidé d’emblée de se faire représenter par quatre personnes, qui ne peuvent parler sans être présentes toutes les quatre. « Les interviews étaient collectives », confirme le gestionnaire du trafic aérien.

L’audit est alors suspendu.

Dans un courrier du 3 novembre adressé au SPF Mobilité, Johan Decuyper demande quand les résultats de l’audit sont attendus.

Le 10 novembre, la DGTA s’adresse une nouvelle fois au patron de Belgocontrol, avec copie au ministre Bellot, pour évoquer la mission d’audit qui n’a pas encore vraiment commencé. « Votre refus de collaborer à l’audit suscite des doutes sérieux quant à la manière dont vous assurez votre mission de sécurité de la circulation aérienne, dès lors que l’objet de cet audit était notamment de lever ce type de doutes », peut-on y lire. Et de redemander à pouvoir interroger séparément les acteurs clés de Belgocontrol.

Entretemps, les auditeurs ont procédé à l’analyse des données – partielles ou non, c’est selon – figurant sur le cd-rom transmis par Belgocontrol. Même s’il leur est impossible de vérifier la fiabilité des informations qui y sont reprises.

Ces données permettent néanmoins déjà d’affirmer qu’à plusieurs reprises au début du mois d’octobre, les opérations de décollage et d’atterrissage ne se sont pas déroulées dans le respect des principes de sélection des pistes à l’aéroport de Bruxelles National, au point de compromettre la sécurité des opérations aériennes. Ce sont essentiellement les normes de vent, leur calcul et la réaction à y apporter, qui posent problème. « Le 5 octobre, on a effectivement frôlé un accident majeur, qui aurait pu impliquer des dizaines de passagers », relève un expert du dossier.

Au même moment, le service de médiation de l’aéroport, saisi de nombreuses plaintes, procède de son côté à l’analyse de l’utilisation des pistes sur la base de ses propres données. Et parvient aux mêmes conclusions, qui sont transmises au ministre Bellot.

Le 22 novembre, le SPF Mobilité avertit le ministre de ces conclusions inquiétantes, tout en précisant explicitement que sa note d’analyse ne constitue pas un rapport d’audit puisqu’elle ne s’appuie que sur les données contenues dans le cd-Rom de Belgocontrol.

Le 1er décembre, au Parlement, François Bellot est interpellé par plusieurs députés sur la question du survol de Bruxelles. Aucun d’entre eux ne sait que l’audit n’a pas pu été réalisé comme il l’aurait fallu. Le ministre de la Mobilité évoque devant eux des écarts non expliqués par rapport au système préférentiel de choix des pistes, au cours de la semaine du 2 au 10 octobre. « Vous nous apportez là une information cruciale, lance le député CDH Georges Dallemagne: au moment de cet incident grave, le 5 octobre, puisque votre audit couvre aussi ce jour-là, Belgocontrol s’est écartée sciemment des instructions en vigueur. Nous avons frôlé un incident aérien majeur. J’entends que le Parlement reçoive les conclusions de cet audit. Les riverains en demanderont aussi les conclusions, comme ils en ont le droit. »

Dans sa réponse, à aucun moment, François Bellot n’évoque le fait que l’audit a été contrarié dans son déroulement, alors que les députés font référence à ce qu’ils pensent être une enquête classique, complète et approfondie. Tout au plus le ministre évoque-t-il des « données » transmises à son administration.

« A la suite de ces données que mes collaborateurs ont analysées, dit-il, je vais convoquer une réunion entre Belgocontrol et la DGTA pour entamer la deuxième phase, celle des explications, à savoir pourquoi Belgocontrol a décidé de s’écarter des règles, sachant que la sécurité prime. Dans un troisième temps, des mesures devront être proposées pour éviter que cela se reproduise quand aucune raison ne justifie cet écart par rapport au instructions ».

Cette réunion, qui vise, explique le cabinet de la Mobilité, à « définir les informations nécessaires pour compléter les premiers constats » aura lieu ce mercredi 14 décembre. Interrogé par le Vif/L’Express sur la question de savoir si l’audit, dans son strict volet d’enquête, avait pu se dérouler comme le souhaitait la DGTA, le cabinet du ministre Bellot a répondu que « l’audit n’étant pas terminé, il est prématuré de répondre à cette question ». Questionné sur le contenu – complet ou non – du CD-Rom transmis par Belgocontrol, le cabinet a une fois encore indiqué que  » Pour savoir si toutes les données ont été transmises, il faut attendre que l’audit soit terminé. Il est donc prématuré de répondre à cette question. » La direction de la DGTA n’a pas souhaité s’exprimer dans les colonnes du Vif.

Le 2 décembre, Belgocontrol assure, par voie de communiqué « avoir collaboré en toute transparence avec les auditeurs et leur avoir fourni toutes les donneées opeérationnelles dont ils avaient besoin pour mener à bien cet audit. (…) Nous feélicitons nos contrôleurs aériens, qui, malgreé la pression politique constante, continuent en toute sérénité à remplir leur tâche principale, c’est-à-dire garantir la sécurité aérienne. »

Questionné par le Vif/L’Express, le porte-parole de Belgocontrol a assuré que l’audit était terminé.

Deux mois après les faits, il n’est donc pas possible de savoir si l’audit demandé par un membre du gouvernement fédéral est suspendu, entamé ou terminé. Il n’est pas davantage possible d’affirmer s’il s’est ou non déroulé dans des conditions dignes de crédibilité et de fiabilité. Une dernière question reste posée : pourquoi le ministre Bellot n’a-t-il pas fait état de ces informations au Parlement ?

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