Claude Demelenne

Au secours, le PS revient

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

On les imaginait à l’agonie. Les socialistes retrouvent des couleurs en Wallonie. Décrédibilisé par les scandales, concurrencé par le PTB, déstabilisé par l’effondrement de la social-démocratie européenne, le PS pourrait gagner les prochaines élections. Incroyable, mais vrai.

Le score du PS serait reparti à la hausse, en Wallonie, à lire certains sondages. Une évolution certes timide et aléatoire, mais qui repose une question qui semblait résolue : le PS peut-il gagner l’ élection communale d’octobre 2018 et dans la foulée l’ élection fédérale régionale européenne de mai 2019 ? Ces derniers mois, une certitude a prévalu : le PS est bien trop cabossé pour envisager autre chose qu’une sanction salée de l’électeur. Au mieux il résistera vaille que vaille dans ses bastions rouges liégeois et carolos, sur fond de dégringolade aux quatre coins de Wallonie et à Bruxelles.

PS moribond ?

A l’analyse, le scénario du krach électoral socialiste est loin d’être une certitude.Le PS conserve quelques bonnes cartes dans sa manche, à condition qu’une nouvelle « affaire » politico-financière de vaste ampleur n’éclate pas à la veille des scrutins à venir. Malgré quelques spectaculaires embardées éthiques, le PS reste un parti globalement plus crédible dans l’opinion que la plupart de ses partis frères en Europe.

Depuis la fin des années 1980, le PS a été maintes fois diagnostiqué moribond. Il a affronté des tempêtes potentiellement dévastatrices (l’affaire Agusta-Dassault, la chute du « dieu » Spitaels…). Il a gouverné un quart de siècle en coalition avec des partis de droite, avalant quelques indigestes couleuvres. Comme toute la gauche sur le vieux continent, il a subi « une baisse de régime idéologique » , selon l’expression de Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique, s’alignant trop souvent sur le logiciel du social-libéralisme.

PS inoxydable

En toute logique, le PS aurait dû subir quelques mémorables raclées électorales. Ce ne fut jamais le cas. Parfois malmené, contesté par sa base, il n’a jamais sombré. Au pire, il a réussi à limiter les dégâts. Les prévisions les plus catastrophistes ont toujours été démenties.Derniers exemples en date : le PS a brillé lors du précédent scrutin communal de 2012, remportant 32 majorités absolues en voix dans ses fiefs de Liège et du Hainaut. Pas moins de huit des dix plus grandes villes de Wallonie sont dirigées par un bourgmestre socialiste. Lors du scrutin législatif de 2014, à l’issue du gouvernement Di Rupo, au sein duquel le rapport de forces joua rarement en faveur de la gauche, le PS aurait logiquement dû subir un reflux électoral. Au final, ce parti inoxydable est resté le premier en Wallonie et à Bruxelles, ne perdant que trois sièges au parlement fédéral, une broutille pour une formation prétendument usée, voire carbonisée par le pouvoir.

Une fois de plus, lors des prochains scrutins, le PS pourrait sauver les meubles. Un statu quo, ou une légère perte, apparaîtrait quasiment comme une victoire, dans un paysage européen où, sauf au Portugal et en Grande-Bretagne, les partis socialistes et sociaux-démocrates sont partout au plus mal (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas…), et parfois carrément à l’agonie (Grèce, France…). Le parti d’Elio Di Rupo dispose d’au moins dix atouts pour gagner des élections à hauts risques.

  1. Au PS, aucune tête ne dépasse, ou presque. C’est un petit miracle. Après le renvoi du parti dans l’opposition, au fédéral et en Wallonie, les couteaux auraient pu sortir des imperméables. Il n’y a pas eu de règlements de compte. Ni bousculade de prétendants pour pousser Elio Di Rupo vers la sortie. Le syndicaliste Thierry Bodson et l’ex-ministre Jean-Pascal Labille ont certes plaidé en faveur du départ anticipé du président du PS et son remplacement par Paul Magnette. Mais leur appel a fait « plouf ». Aujourd’hui, n’y a plus de rebelles ou de francs-tireurs socialistes. C’est l’un des grands acquis de la longue présidence Di Rupo : les troupes sont unies. A la veille d’une riche séquence électorale, c’est un atout non négligeable.
  2. La FGTB dans les starting-blocks. Le soutien au PS du syndicat ne sera pas tiède. « Je suis au PS et j’en suis fier ! », a martelé à la tribune du dernier congrès socialiste, Robert Verteneuil, le patron de la FGTB. La direction du syndicat craint un éparpillement des voix à gauche, notamment vers le PTB et Ecolo, qui ferait le jeu de la droite. La mobilisation syndicale en faveur du PS sera encore plus massive que lors des scrutins précédents. Une aubaine pour Di Rupo & Co.
  3. Un socialisme de proximité. Le PS ne s’effondrera pas comme certains de ses partis frères – le cas des socialistes français est éloquent à cet égard – parce qu’il reste proche des gens. La proximité, c’est la marque de fabrique du PS francophone. Elus et militants socialistes sont présents sur le terrain, et pas seulement dans les deux ou trois semaines avant l’élection. Le ministre, le bourgmestre ou le parlementaire socialiste se comporte parfois en super assistant social, rendant de nombreux services au « petit peuple ». Une activité dévorante, qui s’effectue parfois au détriment du débat d’idées. Mais grâce à cet ancrage social, le lien reste fort entre le PS et son électorat ouvrier, au sens large du terme.
  4. Paul Magnette, le nouvel André Cools. A première vue, Magnette l’intello a peu de points communs avec Cools, le tribun gouailleur, la grande gueule au passé de rebelle. Comme André Cools pourtant, Paul Magnette est un leader né, un « animal politique », à la fois charmeur et brutal, sans doute l’homme fort dont le PS a besoin en cette période de turbulences pour la gauche à vocation gestionnaire. Comme feu le Maître de Flémalle, Magnette peut être un « tueur » en politique – sa mise au pas autoritaire de la fédération de Charleroi l’atteste – mais il est un homme de parole. Il a promis qu’il ne manigancerait jamais un coup d’Etat contre Di Rupo, et il s’en tiendra à cette ligne. Il sera candidat à la présidence du PS, mais seulement lorsque Di Rupo se retirera. Magnette – ses muscles, sa loyauté, sa pugnacité « à la Cools » – est une carte maîtresse du PS.
  5. Le PS a réglé le compte de ses capitalistes rouges. Les dirigeants socialistes n’ont pas mis de gants. Ils ont exclu les capitalistes rouges (Gilles, Moreau, Mayeur, Peraita…) qui, avec leurs salaires indécents, creusaient la tombe du PS. Le peuple de gauche inscrira cette sévérité au crédit du PS. Le message est clair : ceux qui veulent faire fortune ne sont pas – ou plus – les bienvenus dans un parti qui a longtemps fermé les yeux sur certains salaires aussi extravagants que choquants – la rémunération de Stéphane Moreau, par exemple, était un secret de polichinelle.
  6. Des socialistes malgré tout un peu plus à gauche. La ritournelle préférée de certains socialistes, « sans nous ce serait pire », exaspère non sans raison beaucoup d’électeurs de gauche. Pourtant, elle correspond à une part de réalité. Le bouclier socialiste contre l’austérité et les inégalités s’est certes fissuré avec le temps. Mais il a été un peu plus efficace en Belgique que dans les pays voisins. Le PS au pouvoir, la Sécu n’a pas été saccagée, le code du travail n’a pas été cassé, l’âge de la pension n’a pas été retardé… Quelques plumes au chapeau du PS… qui pèseront lourd lors du vote.
  7. Le réflexe du vote utile. Concrètement, pour rompre, même à la marge, avec la politique du gouvernement Michel, un retour du PS au pouvoir est indispensable. Une part des électeurs de gauche, tentés par un vote sanctionnant le PS pour les frasques de certains de ses élus, finiront par voter quand même pour ce parti. Le PS a toujours carburé au vote dit « utile ». Cela ne risque pas de changer dans les prochains mois.
  8. La diabolisation du PTB. Le parti de Raoul Hedebouw est actuellement très haut dans les sondages. Mais il s’apprête à encaisser une campagne de dénigrement qui ne fera l’impasse sur aucun cliché, y compris celui du retour des communistes « le couteau entre les dents ». Sans oublier l’épouvantail socio-économique : s’il accède au pouvoir, le PTB sera le fossoyeur de la Wallonie, car il fera fuir les entreprises et déguerpir tous les entrepreneurs. Simpliste mais dans l’isoloir, ces tirs à la kalachnikov risquent de troubler certains électeurs potentiels du PTB… tout bénéfice pour le PS.
  9. Vive le sécuritaire ! Même s’ils s’en défendent, nombre de bourgmestres socialistes cultivent un profil sécuritaire qui plaît à une partie non négligeable de l’électorat de gauche. Philippe Close à Bruxelles, Willy Demeyer à Liège, Paul Magnette à Charleroi, pour ne citer qu’eux, sont aussi des hommes d’ordre, plutôt à la manière d’un Emmanuel Valls, même si cette référence française controversée en irritera plus d’un.
  10. Bart De Wever, l’atout paradoxal du PS. La musculation du boss de la NV.A, et ses nouvelles revendications communautaires font le jeu des socialistes qui le répéteront sur tous les tons : seul un PS fort pourra calmer l’ogre nationaliste. Une autre bonne raison de voter « utile » en faveur du PS, en oubliant ses errements passés.

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