Thomas Renard

Attentats : Une menace djihadiste en mutation ?

Thomas Renard Chercheur à l’Institut Egmont et Professeur Associé au Vesalius College

« Homegrown terrorist ». C’est le terme qu’utilisent les services de renseignement belges et européens pour décrire les individus qui commettent un attentat dans leur pays de citoyenneté ou de résidence. Comme à Londres ou Manchester. Comme à Bruxelles cette semaine, également.

C’est la crainte grandissante des services de sécurité : un individu relativement isolé, qui se radicalise rapidement, subrepticement, et fomente un attentat en échappant à l’attention de tous. En Belgique, l’OCAM a récemment annoncé la mise en place d’une nouvelle base de données pour ces « homegrown terrorist fighters » (HTF), complétant celle des « foreign terrorist fighters » (FTF), ces combattants étrangers partis s’entrainer et combattre en Syrie et en Irak.

Des terroristes bien de chez nous

Les termes sont trompeurs, cependant. Les « combattants étrangers » belges sont avant tout des…Belges, qui se sont radicalisés au sein de notre société, et ont décidé de se retourner contre elle. Presque tous les djihadistes qui menacent la Belgique aujourd’hui sont des « homegrown ». Ce constat est d’importance capitale car il implique que les sources de la menace actuelle, et donc aussi les solutions, sont à chercher en priorité chez nous. Sans pour autant renier l’influence du contexte international.

La distinction entre ces deux catégories (HTF et FTF) tient donc moins dans l’origine ou l’appartenance sociale d’un individu – puisque tous sont citoyens ou résidents belges – que dans son degré d’autonomie par rapport à une organisation terroriste étrangère. Les « combattants étrangers » belges ont formellement prêté allégeance à une organisation terroriste (l’Etat Islamique, dans la plus grande majorité des cas) à laquelle ils obéissent, et ont pu établir un réseau de contacts au sein du groupe. A l’inverse, les terroristes « homegrown » n’ont généralement eu que des contacts virtuels avec des membres d’une organisation terroriste, voire aucun contact dans les cas (plus rares) d’auto-radicalisation. Le lien hiérarchique entre l’individu et le groupe est ténu, voire inexistant.

Par ailleurs, les « combattants étrangers » ont acquis un degré de professionnalisme au travers de leurs formations sur le terrain, alors que les « homegrown » se caractérisent souvent par un certain amateurisme. Comme démontré par les attentats ratés de Bruxelles et Paris ce mois-ci, le taux d’échec des attentats d’individus « homegrown » est plus élevé que celui de « vétérans » du djihad, mieux formés et préparés. L’attentat de Nice fait cependant oeuvre de contre-exemple.

En contrastant ces deux catégories, on perd également de vue le fait que ces individus peuvent se retrouver côte à côte, au sein d’un même réseau, comme c’était le cas pour les attentats de Paris (novembre 2015) et de Bruxelles (mars 2016), où les « vétérans » Abdelhamid Abaaoud ou Najim Laachraoui côtoyaient Salah Abdeslam ou Khalid el-Bakraoui qui ne se sont jamais rendus en Syrie. Les « combattants étrangers » ont traditionnellement joué un rôle important dans la propagande et le recrutement de djihadistes en Europe.

Une nouvelle menace ?

Les terroristes « homegrown » ne constituent pas une nouvelle menace. Bien au contraire. La très grande majorité des attaques islamistes en Europe ces dernières années est l’oeuvre de citoyens ou résidents européens. On entend aussi parler de l’émergence d’un terrorisme « low cost », mais cela non plus n’est pas neuf. Faut-il rappeler que le terrorisme est la « guerre du pauvre » ? Commettre un attentat demande beaucoup de détermination, certes, mais très peu d’argent ou de compétences.

La véritable évolution est d’ordre stratégique. Suite aux revers militaires en Syrie et Irak, l’Etat Islamique évolue d’une structure très hiérarchique et centralisée vers une structure plus décentralisée et réticulaire, reposant notamment sur des franchises régionales et sur des réseaux informels. Mais cela non plus n’est pas neuf. Il y a plus de 10 ans, al-Qaïda opérait une transition similaire qui lui garantissait sa survie.

Cette évolution avait été théorisée par l’un de ses membres, Abou Moussab al-Souri. Ce dernier argumentait qu’al-Qaïda était vulnérable en tant qu’organisation structurée hiérarchiquement. Il prônait à l’inverse de créer un système réticulaire auto-suffisant, basé sur l’idéologie plutôt que sur le leadership. Dans ce système chaque individu serait encouragé à l’action individuelle au nom du groupe, sans chercher l’approbation hiérarchique. Le front unique (en Afghanistan) était ainsi remplacé par une série de fronts régionaux, de campagnes locales et d’actions isolées ; l’armée djihadiste et ses commandos cédaient progressivement la place aux agents infiltrés et aux loups solitaires.

Aujourd’hui, l’Etat Islamique évolue dans la même direction. Le groupe encourage fortement les actions individuelles de radicaux « homegrown », voire même les facilite au travers de conseils distillés via les réseaux sociaux par ses « planificateurs virtuels », ces commanditaires actifs sur internet. Le groupe revendique également tout acte isolé dorénavant, là où ses revendications étaient précédemment plus sélectives. Le djihad en Europe est aujourd’hui une question de visibilité plutôt que d’efficacité, de « quantité » plus que de « qualité ».

Après la chute du califat

La menace terroriste en Europe est de moins en moins dépendante d’une organisation spécifique. Certes, l’Etat Islamique pourrait survivre sous une forme ou une autre, malgré les défaites en Syrie et en Iraq. Mais de manière cruciale, la chute du califat, et même la mort de ses leaders, n’entrainera pas la défaite de l’idéologie djihadiste ou de son système réticulaire. Un califat « virtuel » succèdera au califat du Levant. Ce califat est virtuel au sens où il ne nécessite aucun territoire, mais également au sens où il repose notamment (mais pas exclusivement) sur internet et les médias sociaux pour propager son message, recruter ses adhérents, les mettre en contact, et même relayer certaines instructions. La menace terroriste est aujourd’hui plus diffuse et moins prévisible.

Pour la Belgique, et ses partenaires européens, cette évolution implique qu’il faut encore redoubler d’efforts en matière de prévention de la radicalisation (violente). Nous ne sommes pas « en guerre » contre l’Etat islamique, laquelle prendrait fin avec la chute du califat, mais plutôt dans une guerre contre nous-même. Il faut s’attaquer aux « causes profondes » du terrorisme, et lutter contre les facteurs de radicalisation. On ne combat pas une idéologie avec des bombes ou avec des militaires dans la rue. Il faut un projet de société plus positif et inclusif pour la jeunesse, qui sapera les causes premières de la radicalisation, tout en renforçant le travail de prévention de la radicalisation.

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