Claude Demelenne

Appel à Elio Di Rupo: le Parti socialiste doit sortir « de la routine et de l’autosatisfaction »

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Dans une lettre adressée au président du PS, seul candidat à sa succession, ces vendredi et samedi, le journaliste et essayiste Claude Demelenne, ancien collaborateur de Philippe Moureaux, exhorte Elio Di Rupo à faire sortir le Parti socialiste « de la routine et de l’autosatisfaction » et de contribuer au sauvetage d’une gauche en panne de réflexion audacieuse ». La voici en intégralité et en exclusivité.

La gauche européenne est en miettes. En France, en Italie, en Allemagne…, les gestionnaires socialistes appliquent une politique social-libérale du plus parfait conformisme. Celle-ci ne se distingue plus que par des nuances des pratiques de la droite. La gauche gestionnaire ne se rebelle – presque – plus contre « l’ordre cannibale du monde » dénoncé par le sociologue et essayiste Jean Ziegler.

Votre PS, Monsieur le Président, a moins perdu le contact avec le peuple que la plupart de ses partis frères. S’il a mieux résisté que d’autres, il n’est pourtant pas à l’abri de cette tendance lourde à la normalisation – l’embourgeoisement ? – des socialistes. Le PS a voté tous les calamiteux Traités européens, notamment sur la règle d’or budgétaire, instaurant l’austérité pour plusieurs décennies. Il a détérioré les conditions de vie des chômeurs, dont plusieurs milliers seront privés du droit aux allocations, début 2015. Dans un autre registre, à Charleroi, le bourgmestre Paul Magnette n’hésite pas à pénaliser les travailleurs pauvres. Il s’apprête ainsi à faire voter un règlement interdisant toute prostitution sur le territoire de sa ville. Il est décidément plus facile de s’en prendre à des personnes précarisées que de faire payer les grosses fortunes en quête de paradis fiscaux, au Grand-Duché de Luxembourg ou ailleurs.

Monsieur le Président, après plus d’un demi-siècle de présence ininterrompue au pouvoir, une occasion historique s’offre à vous de redynamiser le PS. Ou plutôt de le réinventer. Un PS réinventé, c’est un PS qui s’ouvre à nouveau au débat d’idées, totalement négligé ces dernières années. Un PS réinventé, c’est un PS où tous les élus – et particulièrement ceux qui cumulent de nombreux mandats – mettent leurs pratiques en concordance avec leurs discours. Un PS réinventé, c’est un PS qui ose mettre le pied dans la porte pour bloquer des projets inacceptables d’un point de vue de gauche. Votre parti ne l’a pas fait à propos des Traités européens, il ne l’a pas fait davantage à propos du rabotage des droits des chômeurs.

Un PS réinventé, c’est aussi un PS qui agit davantage dans le paysage politique de la gauche européenne. Seul, le petit PS belge francophone ne peut rien. Pour inverser le rapport de forces avec la droite, il est urgent que le Parti des Socialistes Européens – actuellement une coquille vide – joue pleinement son rôle. Vous êtes, Monsieur le Président, au sein de ce PSE, le plus ancien dirigeant socialiste. Prenez une initiative. Mettez, avec d’autres, ce parti mollasson en ordre de marche. Bousculez les conformismes.

Il ne suffit pas de tirer à boulets rouges sur le gouvernement Michel. Il faut aussi que le PS sorte de la routine et de l’autosatisfaction. Comme Premier ministre, dans un contexte difficile de coalition avec la droite libérale, vous avez limité les dégâts. Comme chef de l’opposition votre défi, aujourd’hui, est énorme. Au fond, il s’agit de jeter les bases d’un socialisme réinventé, conciliant l’indispensable pragmatisme et le besoin de radicalité face aux inégalités et aux injustices croissantes.

Il s’agit, tout simplement, de contribuer au sauvetage d’une gauche en panne de réflexion audacieuse et même carrément, dans certains pays, en voie de disparition. Difficile mais nécessaire combat pour un PS qui, s’il privilégie le surplace aux remises en question parfois douloureuses, entrouvrira encore un peu plus la porte à « l’autre gauche », celle qu’incarne le PTB.

Dans Le Vif/L’Express de ce jeudi, le dossier « Di Rupo va-t-il tuer le PS ? ». Avec :

– Le diagnostic d’Edouard Delruelle : « Le risque est que le débat se trouve bloqué »

– « Le style Di Rupo est un style de pouvoir. Or, le voilà dans l’opposition »

– « Je n’exclus pas qu’on soit au début d’une longue phase de déclin »

– « Dans la situation actuelle, on a besoin de quelqu’un comme lui »

– « Si le gouvernement craque dans dix-huit mois, alors cette stratégie s’avèrera payante »

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