Sous l'ère Bart De Wever, à Anvers, première ville à avoir instauré un service de lutte contre la radicalisation, la sécurité est devenue une priorité. © Belga - JONAS ROOSENS

Anvers : bilan après deux ans sous la N-VA

Le Vif

Bart De Wever s’est emparé d’Anvers lors des élections communales d’octobre 2012. Quelles politiques y mène-t-il ? Qui profite de ces mesures ? Et qui paie les pots cassés ?

Pour près de 52 % des Anversois, Bart De Wever est un bon bourgmestre. C’est ce qu’annonçait le sondage, fin janvier, de la Gazet van Antwerpen. Pour autant, Marc Swyngedouw, sociologue à la KU Leuven, assure que le patron de la Métropole et du parti nationaliste flamand ne devrait pas trop se réjouir : « Sa cote de popularité est moins haute que celle de son prédécesseur SP.A, Patrick Janssens, à la fin de sa législature. Je pense que le collège n’est pas dans une si bonne posture. » Qu’a-t-il réalisé en deux ans de maïorat ?

Sécurité : 1 000 dealers arrêtés et les militaires dans la ville

« Dans beaucoup de domaines, on constate une continuation des politiques menées sous Patrick Janssens, à l’exception de trois secteurs majeurs : l’ordre public, la mobilité et le développement urbain, explique le politologue Dave Sinardet (VUB). Et si l’on ne peut pas dire que le collège précédent était laxiste, le discours et les mesures en matière sécuritaire sont beaucoup plus présents chez Bart De Wever. » Anvers est ainsi la première ville en Belgique à « avoir instauré un service spécial pour la lutte contre la radicalisation ». Par ailleurs, au printemps 2013, la N-VA avait radié des registres de la population 55 combattants anversois qui s’étaient rendus en Syrie. Autre événement marquant : le 17 janvier dernier, les militaires faisaient leur entrée dans la ville, accueillis par le bourgmestre en personne. Selon Dirk Van Duppen, conseiller communal PvdA (le PTB flamand), c’était la troisième fois déjà que le leader nationaliste tentait de déployer l’armée dans les rues : « Il avait essayé contre une manifestation de forains, puis contre les dockers et aujourd’hui contre la menace djihadiste. »

Bart De Wever a également entamé une « guerre contre les drogues ». Bilan : 1 000 dealers arrêtés en un peu plus d’un an. Marc Swyngedouw rappelle que le collège communal a déjà bouclé complètement le quartier d’Antwerpen Noord pour fouiller la population. « Il y a beaucoup de contrôles dans ce quartier où les habitants sont principalement d’origine étrangère, notamment des Turcs, des Marocains et des Européens de l’Est. »

Urbanisme : pas prioritaire

Le développement urbain était le « dada » de Patrick Janssens. Lors de son arrivée au pouvoir, il avait désigné Kristiaan Borret comme maître-architecte d’Anvers. Son influence est particulièrement visible dans le quartier d’Antwerpen Noord avec le MAS (Museum aan de Stroom) et le Park Spoor Noord, ancien entrepôt ferroviaire devenu parc, qui revitalise ce quartier laissé jusque-là à l’abandon. En revanche, « le développement n’est pas une priorité pour le conseil communal actuel », assène Dave Sinardet.

Ainsi, alors que son mandat devait se terminer en 2016, Kristiaan Borret (devenu fin 2014 bouwmeester de Bruxelles) a été licencié en février de l’année dernière en raison d’opinions divergentes sur le développement urbain. La Ville n’a toujours pas désigné de remplaçant. « L’accent est mis sur la libéralisation, tous les intermédiaires entre promoteurs et politiques sont supprimés. Les conséquences ne seront visibles que dans quatre ou cinq ans », précise Marc Swyngedouw.

Sollicité par Le Vif/L’Express, Rob Van de Velde, échevin N-VA en charge du Développement urbain, a refusé de s’exprimer.

Mobilité : place aux voitures !

Sous l’ancienne législature, l’usage de la voiture dans le centre-ville avait été réduit, constate Dave Sinardet. Lors de la campagne électorale de 2012, la N-VA a, par contre, plaidé pour le maintien de l’auto en ville. Explication du politologue : « Le parti a joué sur la frustration de certains automobilistes anversois. Il a aussi profité de son solide ancrage dans les communes de la périphérie dont les habitants usent volontiers de leur véhicule pour se rendre en ville. »

« La voiture a repris de l’ampleur à Anvers, confirme Jan Vranken, professeur à l’université d’Anvers. L’annulation de certaines initiatives comme la transformation en piétonniers des quais de l’Escaut et l’organisation en sous-sol du trafic automobile… » Dave Sinardet complète : « La N-VA semble également remettre en question l’idée du parking sous-terrain en faveur d’un parking à ciel ouvert. ».

Selon la Gazet Van Antwerpen, 60 % des Anversois soutiennent la politique de mobilité actuelle et 53,2 % estiment que l’usage de la voiture n’est pas suffisamment défendu dans les mesures prises par la Ville. Anvers est pourtant considérée comme la deuxième ville la plus embouteillée au monde (après Bruxelles). Avec, en moyenne, 33 kilomètres de files chaque jour.

L’augmentation du trafic routier a de fortes conséquences sur la santé des Métropolitains, particulièrement ceux qui habitent autour du ring (les plus défavorisés, socialement parlant). Selon Dirk Avonts, professeur à l’université de Gand, le ring cause ainsi 50 % à 60 % de la pollution de l’air à Anvers. L’équipe De Wever souhaite lutter contre la pollution notamment grâce à des « zones à basse émission ». Principe : installer des caméras dans la zone intérieure du ring pour contrôler les plaques d’immatriculation afin de réprimander les véhicules polluants qui traversent cette zone. Dirk Avonts voit deux inconvénients à cette mesure qui doit être chapeautée par le gouvernement flamand : le ring n’est pas pris en compte et certains véhicules diesel sont autorisés dans les zones à basse émission.

Sollicitée par Le Vif/L’Express, Nabilla Ait Daoud, échevine N-VA en charge de l’Environnement, a refusé de s’exprimer.

Social : une politique à plusieurs facettes

En 2014, 10 526 personnes ont demandé une aide au CPAS, contre 10 917 l’année précédente et 11 467 un an encore auparavant. Entre 2012 et 2014, le nombre de personnes non-membres de l’Union européenne ayant reçu un revenu d’intégration a diminué, tombant de 6 660 à 5 417, alors que les bénéficiaires belges grimpaient de 4 389 à 4 583. Selon Marc Swyngedouw, ces diminutions d’aides s’expliquent par « l’exclusion du système pour les chômeurs dont la réactivation n’a mené à rien. C’est une différence essentielle par rapport à l’équipe précédente : elle favorisait aussi la réactivation des sans-emploi mais elle ne les privait pas d’allocations s’ils ne trouvaient pas un travail ».

Le conseiller communal Dirk Van Duppen critique, lui, la politique d’accès à l’eau de distribution : entre 2012 et 2013, le nombre de coupures d’approvisionnement est passé de 1 589 à 1 900. « La société en charge de l’approvisionnement est intransigeante à l’égard des mauvais payeurs et de ceux qui accumulent les arriérés. L’AWW est pourtant l’une des sociétés qui génère le plus de profits à Anvers, notamment grâce à un contrat passé avec le port. La Ville en est par ailleurs l’actionnaire principal. »

Selon Michael Lescroart, le porte-parole de Fons Duchateau, échevin des Affaires sociales, l’équipe actuelle met l’accent sur la prévention et prend comme exemple les expulsions de logements : « Auparavant, ceux qui ne payaient pas leur loyer pendant plusieurs mois recevaient un courrier. Maintenant, le non-paiement d’un loyer entraîne la visite d’un agent social dans le mois qui suit, pour évaluer la situation et les raisons du manquement. Conséquence : le nombre d’expulsions a fortement diminué. » Par ailleurs, les services aux sans-abris ont été renforcés avec un budget porté de 272 519 à 456 519 euros. « Chaque SDF a désormais un toit pour dormir », se réjouit Michael Lescroart.

Emploi : tout pour les entreprises

De 2001 à 2014, le nombre de chômeurs est passé de 22 380 à 35 822, un record (+ 9,8 % entre 2012 et 2014). En même temps, avec l’arrivée au pouvoir des nationalistes, 1 420 équivalents temps plein doivent être supprimés au sein de l’administration communale en six ans. Selon Dave Sinardet, la N-VA « veut ainsi montrer qu’on économise aussi au niveau des pouvoirs publics et qu’on veut mettre progressivement un terme à certains services ».

Parallèlement, Bart De Wever n’hésite pas à accorder des faveurs aux grandes entreprises. DP World et PSA, deux opérateurs portuaires basés respectivement à Singapour et Dubaï, ont ainsi bénéficié d’une réduction d’environ 53 millions d’euros sur l’amende qui leur était infligée pour non-respect de quotas de conteneurs. « Pour la N-VA, lorsque le monde entrepreneurial se porte bien et que les entreprises engrangent des bénéfices, les retombées ne peuvent qu’être positives pour la population, en matière d’emploi par exemple », résume Marc Swyngedouw. » Dans tous les cas, le nombre d’entreprises à Anvers ne cesse d’augmenter : 83 265 en 2010, 91 765 en 2012 et 93 724 en 2014.

Fiscalité : les night shops visés

Le 1er janvier, la ville a introduit une taxe de 6 000 euros pour les détenteurs d’un nouveau permis d’exploitation, comme les magasins de nuit, les cybercafés et les centres de pari. Pour Jan Vranken, c’est « mesure prise contre des groupes ethniques. Parce qu’il n’y a pas de Belges qui travaillent dans ces commerces ! » Selon Marc Swyngedouw, la Ville estime que les magasins de nuit sont une « anomalie » ou des « concurrents » par rapport aux magasins « classiques ». « Dans les faits, on ferme des commerces tenus par des gens qui sont souvent d’origine étrangère. »

Après avoir refusé un entretien au Vif/L’Express, l’échevin N-VA Koen Kennis a fini par réagir à sa sortie d’un conseil communal : « Ce n’est pas une question d’allochtones ou d’autochtones. L’important est de savoir en quoi consiste le core business : engendre-t-il des nuisances ? S’agit-il de pratiques illégales ? On observe un excès de l’offre et des nuisances pour les magasins qui nécessitent un permis d’exploitation. Et cela débouche souvent sur un retrait de ce permis, après constatation de pratiques « anormales ». Grosso modo, il y a deux fois plus d’agissements illégaux dans ces commerces que dans les magasins « classiques ». »

Verdict : la classe moyenne favorisée

Pour Jan Vranken, l’actuel bourgmestre fait une distinction très claire entre ses concitoyens : « Les Anversois qui travaillent dur » contre « ceux qui vivent des allocations sociales », « les autochtones » contre « les allochtones »… « Avec des conséquences visibles, comme le contrôle plus strict de certains groupes ethniques ou sociaux. »

« C’est une politique de différenciation, abonde Marc Swyngedouw. Les nuisances engendrées par les établissements Horeca ne sont, par exemple, pas sujettes à discussion. On ne touche pas aux secteurs florissants. »

C’est in fine la classe moyenne qui tire le plus de profit des mesures mises en place par l’équipe De Wever. Pour Marc Swyngedouw, « le collège actuel agit au bénéfice de ceux qui vont habiter dans la périphérie et qui se déplacent en voiture. Il développe la ville comme si c’était un lieu de consommation pour les gens qui habitent en périphérie. Et en règle générale, ce sont les classes socio-économiques défavorisées qui profitent pour l’instant le moins des mesures de la nouvelle majorité ».

Par Aubry Touriel

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