Willy Demeyer dans son bureau à la Violette, qu'il occupe depuis dix-neuf ans. Mais qu'il pourrait devoir quitter. © hatim kaghat pour le vif/l'ex press

À Liège, l’opération survie du PS

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

A Liège, si le PS est aussi affaibli que le laisse présager le scandale Publifin, le MR a de sérieuses chances de monter aux affaires. Une rumeur de préaccord entre socialistes et libéraux court. Si elle se confirme, le MR n’obtiendrait certainement pas le mayorat. Mais si sa cheffe de file, Christine Defraigne, entend vraiment être bourgmestre, alors une majorité alternative devra être possible.

Elle le contemple à chaque assemblée hebdomadaire. Un portrait en pied de Maurice Destenay trônant dans la salle de réunion qui porte d’ailleurs son nom, au siège liégeois du MR, rue Vinâve d’Ile. Le dernier mayeur libéral de la Cité ardente. Ça fait un bail ; quarante-cinq ans. Alors, c’est sûr, Christine Defraigne aimerait accrocher un cadre supplémentaire. Cerclant sa photo.  » Bourgmestre de Liège, c’est la plus belle des fonctions au monde !  » (modestie principautaire). Et puis, même si elle assure  » ne pas réfléchir en ces termes « , aucune femme n’a jamais occupé ce poste. Pas plus ici que dans n’importe quelle autre grande ville francophone du pays. Sauf qu’ici, plus que dans n’importe quelle autre grande ville francophone du pays, le MR a de réelles chances de ceindre l’écharpe.

L’enjeu : l’ambition de Christine Defraigne

Christine Defraigne, tête de liste libérale, rêve de devenir bourgmestre.
Christine Defraigne, tête de liste libérale, rêve de devenir bourgmestre.© hatim kaghat pour le vif/l’ex press

A quel point Christine Defraigne le veut-elle vraiment ? Au point d’immédiatement laisser tomber ses fonctions de députée wallonne et de présidente du Sénat en cas d’élection le 14 octobre prochain, tant son  » attachement à Liège est évident et intense « . Mais il y a la rumeur. Celle qui se propage aussi vite que la dernière adresse servant le meilleur boulet frites et qui s’éteint aussi difficilement qu’une gueule de bois un lendemain de Carré. Celle d’une violette à la Violette. Ces dernières semaines, le moindre signe s’est mué en indice d’un supposé préaccord de coalition PS-MR. Un galant Willy Demeyer qui coupe la parole en plein conseil communal à son comparse Jean-Claude Marcourt pour mieux la donner à la cheffe de file libérale. Des prises de position concordantes, comme sur le refus de la fusion Ores-Resa ou des visites domiciliaires. Quitte à alimenter une réputation de rebelle parmi les bleus ou de flatteuse des sensibilités rouges.

 » Je ne fais de parade nuptiale à personne, réplique Christine Defraigne. Mon but est évidemment de devenir bourgmestre et de ramener le MR aux responsabilités.  » Avec le PS, cet objectif ne serait que partiellement atteint. Des échevins libéraux, oui. Une mayeure… A moins de battre Willy Demeyer en popularité. Dernier affrontement, en 2012 : 13 067 voix de préférence pour lui, 6 776 pour elle. Certes, par rapport au scrutin de 2006, une baisse pour lui (18 999), une hausse pour elle (3 992). Bref, puisque celui qui remporte la mise est légalement celui qui fait le plus gros score, Christine Defraigne devra s’entourer d’autres partis si elle entend vraiment diriger Liège.

Hors de question, pour Alda Greoli, d'être tête de liste CDH.
Hors de question, pour Alda Greoli, d’être tête de liste CDH.© Daina Le Lardic/Isopix

Le scandale : Publifin, évidemment

En 2012, une majorité alternative était impossible. Le MR, en recul, avait conquis 11 sièges sur 49. Trop court, même avec les six décrochés par Ecolo et les sept du CDH. A moins d’aussi convaincre l’élu Vega ou les deux PTB… Alors le PS et ses 22 sièges étaient restés maîtres de la partie. Six ans plus tard, Publifin pourrait leur faire perdre la prochaine manche.

Même si le scandale scandalise désormais moins. Même si Willy Demeyer, habile tacticien, a sacrifié pour ne pas être trop éclaboussé (délestage de ses fonctions de président de la fédération liégeoise du PS et de député fédéral). Même si Jean-Claude Marcourt, autre poids lourd principautaire, semble être passé entre les gouttes. Reste sans doute un tenace fond d’indignation, de dégoût, de colère. D’envie de changement.

Le jeu politique liégeois, en tout cas, a rarement été aussi ouvert. C’est ce que clament les partis d’opposition, c’est ce qu’analysent les politologues, c’est ce que prédisent les sondages. En octobre dernier, celui commandé par Sudpresse et RTL pronostiquait un PS troisième parti (20,5 %, contre 37,95 % en 2012), derrière le PTB (28,3 %) et le MR (25,4 %). Mouais. Un autre, diligenté cette fois en mars par les libéraux eux-mêmes, donne le PS à 28 %, le MR à 20,7 % et le PTB à 16,1 %. Dernier en date (16 avril), à six mois du scrutin, celui estampillé SudPresse/RTL : 27,4 % pour le PS, 21,4 % pour le MR, 20,9 % pour le PTB.

Alors, grande ou très grande, la perte du PS ? Celui-ci ne chamboule en tout cas pas sa stratégie. Willy Demeyer tête de liste, Jean-Claude Marcourt en dernière position, entre les deux, grosso modo, tous les échevins sortants. Qui d’autre ? Il y aura 16 candidats d’ouverture sur la liste – tous les partis ne jurent que par ça. Mais les socialistes n’ont pas misé sur le renouvellement, aucune nouvelle personnalité d’envergure n’ayant émergé ces dernières années. Tant pis si ça fournit à l’opposition des munitions gravées  » manque de souffle « . Pan.

Raoul Hedebouw ne sera pas tête de liste. Mais sa notoriété laisse présager un gros score du PTB.
Raoul Hedebouw ne sera pas tête de liste. Mais sa notoriété laisse présager un gros score du PTB.© hatim kaghat pour le vif/l’ex press

L’attendu au tournant : le PTB

Et la montée du PTB, forte ou très forte ? Certains lui prédisent six sièges, d’autres huit.  » On espère au minimum doubler nos deux sièges actuels « , aspire Raoul Hedebouw, celui vers qui tous les regards seront braqués au lendemain du 14 octobre. Parce que le PTB, c’est lui, même s’il essaie de se mettre en retrait pour mieux faire éclore d’autres camarades. D’ailleurs, il n’occupera pas une place d’avant-plan, car son combat perso est d’abord fédéral. Puis parce que le PTB, c’est d’abord Liège – provincialement parlant -, d’où sont issus trois de ses quatre députés fédéraux et wallons. Alors Raoul Hedebouw sera scruté : ces communales seront une répétition générale des élections régionales et provinciales de 2019 et un score mitigé alimenterait la théorie d’une baisse de régime de l’extrême gauche, très en vogue ces temps-ci.

Mais si le PTB cartonne, ce sera dans l’opposition. Car il ne se trouve aucun atome crochu avec le PS ( » Pour ça, assène la figure de proue du Parti du travail, il faudrait une rupture et je ne la sens pas chez Willy Demeyer « ). Même pas besoin de poser la question pour le MR. De toute façon, personne ne veut non plus s’associer avec le PTB. Affaire réglée.

L’échec : le CDH

Avec un PS qui baisse et un PTB qui monte (sauf dans une majorité), retour donc à la case MR. Oui parce que, bon, le CDH… En 2012, l’éphémère Anne Delvaux avait permis le maintien humaniste. En 2018, toujours pas de tête de liste à l’heure de rédiger ces lignes, un récent transfuge (le conseiller Marc Gillis) vers le MR, des jeunes méconnus qui voudraient virer des vieux tenaces plus connus, une nouvelle cheffe de file (Alda Greoli) qui n’entend occuper que la dernière place, une figure conseiller-député wallon (Benoît Drèze) qui affirme dans La Meuse  » ne pas avoir besoin d’être sur la liste  » parce qu’il aimerait passer le flambeau… #CDCrash.

Le système proportionnel belge étant ce qu’il est, le CDH pourrait continuer à servir d’appoint au parti vainqueur. Comme il le fait pour le PS depuis trente-six ans. Un couple rouge-orange (fort) mature : l’actuel collège communal a la moyenne d’âge la plus élevée des grandes villes wallonnes, 62 ans. Un duo bleu-orange, pour sa part, n’affole pas les pronostics. Les relations entre les deux camps seraient, paraît-il, tendues.

Le pari : Vert ardent

Pour représenter Vert ardent, une tête de liste peu connue, Caroline Saal.
Pour représenter Vert ardent, une tête de liste peu connue, Caroline Saal.© hatim kaghat pour le vif/l’ex press

Une coalition  » namuroise « , de toute façon, semble numériquement délicate. Coucou, Ecolo ! Pardon, Vert ardent. Un nouveau nom, une prise de risque. La tête de liste, Caroline Saal, a 31 ans et n’a fait son entrée au conseil communal qu’en 2014.  » Effectivement, c’est audacieux, concède-t-elle. Je me mets au service d’un collectif plus grand qu’Ecolo, qui réunit des citoyens non encartés, des représentants d’associations, des étudiants, des retraités, des gens qui se mobilisent dans leur quartier…  » Seuls six des douze principaux  » porte-voix « , présentés fin mars, sont membres d’Ecolo. Beaucoup de trentenaires, pas mal de novices, plus d’attrape-voix comme en 2012 avec Jacky Morael. Et plus de Bénédicte Heindrichs, tête de liste en 2006 et 2012, qui a démissionné en 2017 après avoir été épinglée pour avoir perçu une rémunération forfaitaire annuelle à la Cile (intercommunale liégeoise des eaux) en n’assistant qu’à sept des 19 réunions programmées.

Vert ardent tente des méthodes alternatives, comme un processus d’élection interne sans candidat, uniquement basé sur le choix de l’assemblée. Il réunit le mouvement Liège demain et regroupait le Parti pirate… qui a déjà claqué la porte, estimant qu’Ecolo tirait trop la couverture à lui. Pas simple, la politique autrement.  » Tout le monde dit que le fossé entre la population et les politiques se creuse, observe Caroline Saal. On peut faire le constat. Ou agir.  » Reste à savoir si les citoyens qui réclament une alternative voteront effectivement pour ceux qui la tentent.

L’inconnue : Vega

Ce terrain-là était jusqu’à présent occupé par Vega (Verts et à gauche), qui avait enlevé un siège en 2012 et qui a, lui aussi, connu entre-temps quelques dissensions internes. Il n’a pas voulu rejoindre Vert ardent ( » un cadre qui ne nous convient pas, notamment parce qu’Ecolo y a totalement la main « ) et, de toute façon, il n’est même pas certain de présenter une liste lors de ce scrutin.  » Les candidats potentiels, on les a plus ou moins déjà, assure le conseiller communal François Schreuer. Mais pour prendre une décision définitive, nous voulons atteindre 250 militants activement engagés dans la campagne. Nous en sommes environ à la moitié.  »

Si Vega y va, l’objectif sera de trois sièges. Tout sauf un seul élu !  » A la fois pour la dynamique collective et pour la personne qui occupe le poste.  » Car si Vega n’y va pas, François Schreuer retrouvera  » du temps pour faire d’autres choses, comme dormir, par exemple « , plaisante-t-il. Nul doute que tous les autres partis scruteront cette décision : à Liège, chaque siège comptera.

Pour autant que le PS soit aussi affaibli qu’on le croit. On le dit de toute façon très courtisé. Tantôt par le MR, tantôt par Vert ardent.  » Willy Demeyer est dans un fauteuil « , souffle-t-on. A moins que Christine Defraigne veuille être bourgmestre, vraiment.

L’Iweps

En partenariat avec Le Vif/L’Express, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps) a ausculté la ville de Liège (lire page 94). L’Iweps est un institut scientifique public d’aide à la prise de décision à destination des pouvoirs publics. Autorité statistique de la Région wallonne, il fait partie, à ce titre, de l’Institut interfédéral de statistique (IIS) et de l’Institut des comptes nationaux (ICN). Par sa mission scientifique transversale, il met à la disposition de tous des indicateurs statistiques et des études en sciences économiques, sociales, politiques et de l’environnement. Plus d’infos : www.iweps.be

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