Carte blanche

A Bruxelles, laisser ses enfants se rendre à l’école à pied ou à vélo est un acte de résistance

La coupe est pleine : la circulation à Bruxelles est devenue incontrôlable. Les piétons et les cyclistes sont aujourd’hui confrontés aux noeuds de trafic les plus flous, incohérents et exposés à d’innombrables dangers.

Le 5 juin a eu lieu la séance d’ouverture des États généraux de la sécurité routière à Bruxelles. Nous (BRU/0), les collectifs citoyens 1030/0, 1060/0, 1000/0 et 1020/0 avons été invités à y assister. Parce que nous souhaitons une « participation » digne de ce nom et que la situation est à ce point urgente, nous avons demandé cinq minutes de temps de parole à la secrétaire d’Etat Bianca Debaets pour expliquer notre vision, et elle a eu l’amabilité de l’accepter. Ci-dessous voici une version légèrement révisée du texte que nous avons lu à la réunion en question.

La coupe est pleine pour nous: la circulation à Bruxelles est devenue incontrôlable : la gestion de celle-ci doit changer radicalement. Ce n’est un secret pour personne pendant des années la question de la sécurité routière à Bruxelles a été délaissée (pour ne pas dire « mal traitée »). Les piétons et les cyclistes sont aujourd’hui confrontés aux noeuds de trafic les plus flous, incohérents et exposés à d’innombrables dangers.

Traverser certaines intersections – le square Jules De Trooz, la place Liedts ou Sainctelette, le rond-point Louise ou Meiser, le viaduc du Midi, etc. – , c’est comme jouer à la roulette russe. Laisser nos enfants aller à l’école à pied ou à vélo est un réel acte de résistance dans cette région! C’est les exposer aux portes qui s’ouvrent inopinément, aux klaxons intempestifs de pirates de la route et pour que ces pilotes en herbe arrivent à bon port en un seul morceau, cela coûte forcément plusieurs cheveux gris par jour.

Le collectif 1030/0 est né à la fin de l’année dernière à Schaerbeek suite à une série d’accidents graves dans lesquels trois piétons ont été tués et plusieurs autres grièvement blessés. Récemment, des groupes d’action ont également vu le jour dans d’autres communes bruxelloises. En tant que citoyens, nous nous sommes unis derrière un idéal simple: zéro tué et blessé grave de la route, non pas comme étant un mirage lointain, mais comme un objectif très concret. Nous partageons cet idéal de la Région de Bruxelles-Capitale, qui a adopté Vision Zéro comme politique officielle il y a maintenant dix ans. Mais qu’est-ce qui a été réalisé?

En 2017, le nombre de décès dans la Région de Bruxelles-Capitale se situait entre vingt et trente. Bien que le nombre de victimes et de blessés graves montre une légère tendance à baisser, ce chiffre reste inacceptable. Dans de nombreux autres domaines, aucun progrès n’a été observé. Il y a dix ans, mille piétons étaient touchés chaque année: une moyenne de trois par jour. Les États généraux pour la sécurité routière de 2011 ont fixé comme objectif de réduire de moitié ce chiffre d’ici à 2020. La situation actuelle? Encore environ un millier. Les accidents impliquant des cyclistes sont même en hausse. Certes, le nombre total de cyclistes augmente rapidement pour le moment. Mais cette croissance était prévisible: elle correspond à ce qui s’était passé auparavant dans d’autres villes en Belgique et en Europe. L’infrastructure sécurisée dédiée aux cyclistes aurait dû être implantée il y a dix ans: ces nouvelles victimes et tristes actualités auraient ainsi pu être parfaitement évitées.

Les recommandations et objectifs des précédents États généraux étaient bons, mais n’ont pas été respectés. En 2000, il était déjà indiqué que toutes les voiries communales bruxelloises passeraient en zone 30. Et ce n’est qu’au cours des derniers mois que certaines communes – sous la pression de collectifs citoyens comme le nôtre – ont décidé d’étendre/ généraliser la zone 30 à l’ensemble de leur territoire alors que les zones 30 actuelles ne sont pas toutes effectives. Les zones à forte concentration d’incidents « auraient été prises en main », mais là, de nouveau, depuis, il ne s’est pratiquement rien passé. Quelque chose d’aussi simple que de suivre la législation en matière d’aménagement de passages piétons n’est pas respecté. A chaque passage piéton, cinq mètres doivent rester libres pour pouvoir garantir le minimum de visibilité requis et de sécurité à l’usager faible. A Bruxelles, cette règle est partout violée, parce que cinq mètres c’est l’équivalent d’une place de parking, le Saint-Graal pour de nombreux bourgmestres de Bruxelles! Cet arbitrage totalement inégal opéré entre parc de stationnement et vies humaines n’est plus seulement cynique, mais criminel et cela a assez duré!

Pour nous, il est clair que le zéro ne sera jamais vraiment atteint tant que le fond du problème ne sera pas traité puis résolu. Personne ne peut nier que les problèmes de circulation à Bruxelles sont avant tout causés par un seul et unique moyen de transport, à savoir: l’automobile. En plus des victimes de la circulation, cette domination de la voiture engendre également un lourd tribut social. La pollution de l’air, les embouteillages sans fin, les enfants qui osent à peine s’aventurer spontanément dans les rues de manière indépendante. Nous avons ces dernières semaines pu échanger avec des jeunes qui ne sont pas autorisés à sortir librement parce ce que « c’est trop dangereux », avec d’autres qui font le choix eux-mêmes de rester carrément cloîtrés à domicile dans l’obscurité parce que « la circulation est trop violente », des personnes âgées qui n’osent du tout arpenter les rues ni pour se rendre à l’épicerie du coin ni même pour aller dans un lieu de culte. Pour l’utilisateur actif de la route, qui est malheureusement aussi le plus vulnérable, le puzzle ne comporte pas toutes les pièces.

Le ton est donc donné. Rédacteurs des nouveaux États généraux vous ne pouvez plus vous contenter de poursuivre la politique actuelle: la mobilité à Bruxelles doit être revue, et ce de manière radicale dans les plus brefs délais. La sécurité routière doit représenter la priorité absolue avant toute autre considération. Une zone générale 30, cinq à dix fois plus de contrôles de vitesse, une infrastructure effective mise en place, et ce de manière la plus lisible/cohérente (quel que soit le nombre d’interlocuteurs, niveau décisionnaire ou degré de compétence concerné, qu’il faudrait réunir autour de la table ). Ce ne sont pas moins que les étapes logiques que doit viser une politique réellement Vision Zéro. Avec une attention toute particulière nécessaire pour les plus vulnérables: nos enfants, nos personnes âgées, les personnes handicapées. Ils doivent pouvoir se déplacer librement sans aucune difficulté à travers la ville. En outre, la viabilité du trafic compte également: la pression de la voiture doit baisser, l’attitude du « tout m’est dû », le sentiment de légitimité des nombreux automobilistes n’est plus tolérable. 70% de notre espace public est occupé par la voiture. Un maillage conséquent de rues piétonnes, de rues de jeux ou de vie doit être mis en place pour modifier ce ratio. Enfin, la question de la santé ne peut être plus longtemps vulgairement occultée. Il est inutile de plancher sur la sécurité routière sans tenir compte aussi des nombreux décès causés par la pollution de l’air ou notre mode de vie sédentaire. En Suède, ils ne parlent plus de Vision Zéro, mais bien de Moving Beyond Zero, en mettant l’accent sur le mouvement de soi. C’est l’exemple à suivre. La manière la plus efficace et tournée vers l’avenir de se déplacer en ville est active et multimodale: la marche, le patin à roulettes ou trottinette, le vélo et même le scooter. Ce sont ceux-là qui doivent être absolument encouragés par tous les moyens. Zéro mort, zéro blessure grave et plus jamais un piéton ou un cycliste qui se sent en danger dans la circulation urbaine. Cela, et cela seulement, doit être le résultat concret de ces États généraux.

Au nom du collectif BRU/0 (1000/0, 1020/0, 1030/0, 1060/0, 1080/0, 1082/0, 1090/0).

Elise Blondel, Jens De Schutter, Pieter Dudal, Pieter Fannes, Frédéric Fiévé, Eva Kongs, Sara Maissin, Jan Potters, Mélissa Poucez, Erika Sprey, Miek Stevens, Lore Vantomme

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