Carte blanche

17 273 femmes et filles sont déjà probablement excisées en Belgique

Voici venu le temps des vacances. Et aussi le temps des couteaux et des lames de rasoir. Imaginez une petite fille en vacances dans un pays. Imaginez-la maintenue par trois ou quatre femmes. Imaginez la petite fille terrorisée, se débattant, tentant de crier tandis qu’une main la bâillonne, tandis qu’on la mutile. Dans le meilleur des cas, ce sera dans un hôpital, dans le pire des cas dans une arrière-cour, une cuisine. A vif. Comme un animal qu’on sacrifie. Une torture, un traitement inhumain et dégradant. Un viol collectif.

Mais ce n’est pas fini. Imaginez la petite fille souffrant le martyre durant des semaines de cicatrisation. Imaginez le traumatisme, les complications physiques, psychologiques tout au long de sa vie. Maintenant, imaginez que cette petite fille soit une tête blonde. Imaginez qu’elle soit votre fille, votre nièce, votre soeur, votre cousine, une amie, une connaissance. Comment réagiriez-vous face au discours de ceux qui refusent d’ouvrir un débat sur l’examen des organes génitaux externes des petites filles à risque d’excision ? Au motif que l’on risque de stigmatiser certaines communautés ? Car c’est bien la réponse qui revient inexorablement.

Je suis lasse. Je suis lasse de cet argument frileux, relativiste et cynique qui frise la non-assistance à personne en danger. Car oui, si cela se déroule loin de chez vous, cela peut arriver près de chez vous.

200 millions de femmes et filles dans le monde ont été mutilées, coupées, amputées, infibulées, sacrifiées sous l’autel du patriarcat . En Europe, 500000 femmes et filles ont subi une mutilation génitale. Environ 180 000 filles sont à risque chaque année. En Belgique, selon la dernière étude menée par le Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles (GAMS), quelques 17 273 femmes et filles sont déjà probablement excisées et 8 644 sont intactes mais courent le risque de l’être, car originaires de pays où l’excision sont pratiquée. Des chiffres qui ont doublé en cinq ans, suite à l’arrivée de nouvelles populations en provenance de pays ou l’excision est pratiquée

La demande existe. Et il est illusoire de croire que cette pratique, si ancrée dans les mentalités, puisse disparaitre aussi facilement en immigrant. L’horreur continue. Notamment lorsque les familles partent en voyage dans leur pays d’origine. A Londres, cliniques et médecins privés pratiqueraient également l’excision. Sur le territoire belge, des filles courent aussi le risque d’être mutilées. Sous couvert de correction vaginale, des médecins sur le territoire belge pratiqueraient l’excision sunnite consistant à l’ablation du capuchon du clitoris ; ce qui selon eux « n’est pas une clitoridectomie et ne viole donc pas la loi ». Ceci, donc par bienveillance et humanité, car « au motif de venir en aide aux personnes en détresse et leur faire éviter ainsi la pratique cruelle de la lame de rasoir, sur une table de cuisine ». Une information donnée dans un article de la revue médicale en ligne « MediQuality » en mars de cette année.

Moi qui suis originaire d’un pays, le Mali où plus de 85% des filles sont excisées, moi qui pensais que les lois de ce pays allaient protéger les petites filles de cette pratique barbare, je me rends compte qu’elles ne sont pas forcément à l’abri. Il n’y a pas d’excision minimaliste. Au nom du relativisme culturel, que je nomme « racisme à rebours », on renvoie des femmes à des traditions qui violent leurs droits les plus élémentaires. Pour preuve, il y a peu dans un article du Journal of Medical Ethics, deux gynécologues américains avaient émis l’idée horrible de rendre l’excision « minimaliste, afin de pallier le manque de sensibilité culturelle » de l’Occident et de respecter certaines obligations culturelles et religieuses sans mettre en danger la santé et le fonctionnement des organes génitaux des femmes ». Imagineriez-vous un seul instant que l’on tienne un tel discours si la petite fille était une tête blonde ? Poser la question, c’est y répondre.

Assez de relativisme, assez d’abandons. Il faut passer à la vitesse supérieure, renforcer la vigilance en matière de prévention et de protection des filles encourant des risques de mutilations génitales. Certes, il faut intensifier les formations des intervenants médicaux et sociaux, car il y a encore une méconnaissance du phénomène. Certes, il faut davantage soutenir financièrement et de manière pérenne les associations de terrain et notamment le GAMS qui mène un travail de prévention, de sensibilisation, de formation des professionnels, de prise en charge psychosociale, avec une équipe composée pour la plupart de bénévoles. Car les besoins sont réels et les moyens ne suivent pas.

Certes, il faut intensifier les campagnes de sensibilisation, d’information et de prévention à large échelle auprès des professionnels, des populations concernées et du grand public pour faire connaitre loi. Car si certaines personnes minimisent la portée de la loi, d’autres ignorent ou feignent d’ignorer que les MGF sont interdites en Belgique.

Mais surtout, je plaide depuis longtemps pour un renforcement de la prévention et de protection des filles encourant des risques de mutilations génitales par la mise en place d’un contrôle des organes génitaux externes des filles à risque.

Comme le recommande l’étude, il est temps d’organiser, en concertation avec les autres entités fédérées, une rencontre réunissant des experts nationaux et européens (en éthique, pédiatrie, médecine légale, droits de l’enfant, services de prévention de la petite enfance, médecine scolaire) en vue d’analyser la place de l’examen des organes génitaux externes dans la prévention et la protection des filles à risque et de décider, de manière concertée, la mise en place d’un mécanisme de prévention et d’identification des mutilations génitales via l’examen des organes génitaux externes des filles à risque. On ne peut plus décider de ne pas décider. Par peur de stigmatiser certaines communautés alors que fillettes issues de ces communautés courent le risque d’être mutilées ici ou ailleurs. Et ce dès le plus jeune âge.

Informer, sensibiliser, prévenir, ce n’est pas stigmatiser. L’excision est interdite en Belgique depuis 2001. L’article 409 du Code pénal sanctionne d’une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans quiconque aura favorisé toute forme de MGF d’une personne de sexe féminin, avec ou sans consentement de cette dernière. Un acte posé à l’étranger peut également être punissable une fois la personne de retour en Belgique. Pourtant, alors que des procès retentissants ont eu lieu en France notamment, ici en Belgique c’est le syndrome des trois singes « Je ne dis rien, je ne vois rien, je n’entends rien ». Très peu de plaintes ont été déposées, quasiment pas de dossier pénal ouvert par le Parquet, aucune poursuite judiciaire malgré des signalements d’enfants à risque d’excision, notamment au retour des vacances. Pendant ce temps, elle court la rumeur. Il n’y a pas de fumée sans feu. Il faut enquêter sérieusement sur les situations rapportées. Et mettre en place un mécanisme de contrôle des organes génitaux externes des filles à risque. Car on continue à trancher le sexe des filles.

Fatoumata Sidibé

Députée bruxelloise DéFI

Auteure et artiste peintre

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