Sophie Wilmès, mardi soir, à l'issue du Conseil national de sécurité. © belga

Quelle approche du nouveau coronavirus fonctionne le mieux, et pourquoi ?

L’approche du coronavirus varie beaucoup d’un pays à l’autre. Les facteurs politiques jouent un rôle majeur à cet égard. Une analyse des réponses mondiales à la crise.

L’approche belge de la crise du coronavirus est saluée par l’étranger (NDLT : même si par rapport au nombre d’habitants, la Belgique est l’un des pays les plus touchés en terme de mortalité). Sophie Wilmès (MR) suit les conseils des scientifiques plus que les autres politiciens. Elle laisse également les experts se charger de la plus grande partie de la communication sur la crise. Cela inspire confiance, d’autant plus qu’ils dégagent une impression de calme et de fiabilité.

À l’étranger, c’est souvent différent. Des hommes politiques comme Mark Rutte aux Pays-Bas, Boris Johnson au Royaume-Uni, entre-temps contaminé, et Donald Trump aux États-Unis ignorent parfois les conseils de leurs experts. Rutte et Johnson se sont longtemps cachés derrière le concept d' »immunité collective », qui est principalement un argument économique.

Risquer des vies

Aux États-Unis, les scientifiques ont du mal à contrôler Trump. D’autant plus que le président est en mode électoral. Dans cette crise, plus que jamais, la vie des gens sera mise en jeu. Le virus va tuer beaucoup plus de gens en peu de temps que le terrorisme mondial ne l’a jamais fait.

L’éditeur de la revue scientifique américaine Science, Holden Thorp, a fait preuve d’une acuité inhabituelle pour son président dans un article. La Maison-Blanche avait une équipe de 50 personnes pour évaluer le risque de pandémie, mais peu de temps après sa prise de fonction en tant que président, Trump a renvoyé l’équipe. Il avait prévu de mettre en place une taskforce contre la vaccination. Aujourd’hui, il réclame régulièrement un vaccin contre le coronavirus. « Manifestement, il pense qu’il l’aura s’il le répète suffisamment », observe Holden – il faut généralement un an et demi avant qu’un vaccin efficace soit mis sur le marché.

Trump voulait également que l’homologue américain de Marc Van Ranst, l’immunologiste Anthony Fauci, fasse d’abord vérifier ses déclarations publiques par la Maison Blanche. Alors que les scientifiques tentent de fournir des faits sur l’épidémie, le gouvernement de Trump soit l’arrête, soit tente de contrer les faits avec des opinions contradictoires », a poursuivi Holden. Et cela pour un président qui « nie que l’évolution existe, qu’il y a un réchauffement climatique et que fumer est dangereux pour la santé ».

Trump continue aussi à se vanter que son gouvernement a le virus sous contrôle, ce qui est un message dangereux. Il crée un faux sentiment de sécurité au sein d’une population qui n’est qu’au début d’une crise grave.

Les rapports scientifiques ne mentent pas. Le 16 mars, le scientifique britannique Neil Ferguson, expert mondial en modélisation des épidémies de virus, a publié avec un grand nombre de collègues un rapport – le neuvième depuis le 17 janvier – dans lequel ils tentent de prédire l’ampleur de l’épidémie de coronavirus. Bien sûr, ils se sont principalement concentrés sur la situation au Royaume-Uni. Sans l’intervention du gouvernement, le virus infecterait 80 % de la population en quelques mois. À la mi-avril, tous les lits des unités de soins intensifs des hôpitaux seraient pleins et, à la fin de l’été, un demi-million de personnes seraient mortes.

Les scientifiques britanniques avançaient également des chiffres pour les États-Unis. Ils sont terrifiants. Sans mesures, ce pays serait confronté à 2,2 millions de décès d’ici la fin de l’été, avec un maximum de 55 000 par jour à la mi-juin. Et c’est sans compter les personnes qui meurent, par exemple, d’une crise cardiaque parce qu’elles ne sont pas traitées à temps en raison de la surcharge des hôpitaux. Avec des mesures de lockdown, telles que la fermeture d’écoles et d’entreprises non essentielles et l’obligation de garder une distance permanente par rapport aux autres, 1 million de personnes mourraient tout de même aux États-Unis – c’est plus de morts en quelques mois que pendant toute la guerre civile américaine (1861-1865) et les deux guerres mondiales réunies. D’ici l’été, l’épidémie serait plus ou moins sous contrôle.

Toutefois, le virus risque de revenir en force à l’automne, et la vague pourrait être pire que la première. Ce scénario est également possible chez nous.

Une catastrophe néerlandaise

Les scientifiques britanniques mettent régulièrement à jour leurs chiffres. Le 26 mars, ils ont conclu dans leur douzième rapport que le covid-19 aura causé 1,9 million de décès dans le monde d’ici la fin 2020 dans le meilleur des cas, avec des mesures hyperefficaces. Dans le pire des cas, ce chiffre serait de 40,6 millions. Dans le monde, pas moins de 7 milliards de personnes seraient infectées, soit la quasi-totalité de la population mondiale. Une réduction des contacts sociaux de 60 % pour les personnes âgées et de 40 % pour les autres entraînerait 20 millions de décès.

Toutefois, le rapport est critiqué parce qu’il part d’une contagiosité virale assez élevée de trois nouvelles infections par personne infectée – en réalité, ce nombre est probablement inférieur. Mais les chiffres restent. Ils sont du niveau de la grippe espagnole, qui a fait des ravages parmi les personnes gravement affaiblies juste après la Première Guerre mondiale, mais sans les dispositions médicales d’aujourd’hui.

Tous les rapports ne parviennent pas à des conclusions aussi dramatiques – les prévisions sont notoirement sensibles aux facteurs fondamentaux sur lesquels elles se fondent. Le site web néerlandais NEMO Kennislink a apporté sa propre analyse sous le titre « Relativating arithmetic to covid-19 ». Selon son « scénario le plus noir », sans mesures, 70 000 Néerlandais mourraient du virus, « une catastrophe telle que les Pays-Bas n’en ont pas connu depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Cependant, le rapport nuance immédiatement. Il indique que 150 000 personnes meurent chaque année aux Pays-Bas de façon « naturelle », selon une répartition par âge plus ou moins identique à celle du covid-19 : plus les personnes sont âgées, plus elles sont vulnérables. Le coronavirus provoquerait alors « une augmentation d’un peu moins de la moitié du taux de mortalité naturelle » cette année, après quoi il serait éradiqué. Dans les années suivantes, la mortalité naturelle serait alors plus faible, étant donné la mortalité plus élevée chez les personnes âgées et les faibles en 2020. Et c’est le scénario le plus noir, sans intervention sociale. Le rapport conclut qu’avec le covid-19, tout ira mieux que prévu, surtout si on le compare au virus du sida, par exemple, qui touche principalement les jeunes dans la fleur de leur vie (sexuelle).

Les rapports britanniques arrivent à des conclusions très différentes. Ils ont provoqué beaucoup de remous en concluant que des centaines de milliers de personnes seraient encore tuées au Royaume-Uni en raison des demi-mesures prises initialement par le gouvernement – les bars, les restaurants et les écoles sont restés ouverts plus longtemps que sur le continent. La seule solution efficace est de dépister les gens en masse, surtout s’ils appartiennent à un groupe à haut risque, et d’isoler les personnes atteintes du virus.

Quelle approche du nouveau coronavirus fonctionne le mieux, et pourquoi ?
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Tests rapides et fiables

C’est aussi ce que veut la Belgique. Avec les mesures actuelles, nous n’évitons pas seulement la surcharge de nos hôpitaux – qui fait tant de ravages dans le nord de l’Italie, où les soins de santé sont pourtant excellents. Cela nous donne également le temps de mettre au point des tests rapides fiables. Cela nous permettra de passer à l’approche qui est si efficace en Allemagne : là-bas, un demi-million de personnes sont testées chaque semaine et le nombre de décès reste limité. La même approche a été adoptée avec succès dans des pays asiatiques comme Singapour et Taïwan.

Le dépistage de masse implique de placer les personnes testées positives dans un isolement absolu pendant quatorze jours. Selon une analyse publiée dans la revue Annals of Internal Medicine, à peine 1 % des personnes touchées présentent encore des traces du virus après coup. Dans des pays tels que la Chine et la Corée du Sud, cette mesure a été associée à un système permettant de retrouver et d’isoler rapidement les personnes testées positives, notamment en suivant leurs téléphones – une approche qui soulève des questions sur la vie privée et d’autres droits de l’homme. Les personnes qui ont été récemment en contact avec eux sont également retracées et testées.

La Chine a été à la traîne dès le début, car la pandémie a commencé là-bas et il a fallu un mois avant que les gens ne réalisent qu’il y avait un problème. En outre, les autorités ont d’abord nié les faits. Mais les Chinois ont mobilisé les grands moyens et ont enfermé 60 millions de personnes dans leurs maisons, avec un contrôle social exercé par des comités de quartier et des gestionnaires d’immeubles. Les mesures sont maintenant progressivement assouplies, et le pays est prêt à faire face à toute nouvelle épidémie par des tests massifs. La nécessité de fermer des écoles et des entreprises, par exemple, sera alors réduite, car moins d’infections circulent. Cette stratégie semble de loin la meilleure, d’autant plus qu’elle permettra à l’économie de reprendre son souffle.

Et en Afrique ?

L’interaction entre une population et ses dirigeants est cruciale dans cette histoire. L’une des premières analyses de l’épidémie dans la revue médicale The Lancet soulignait déjà que pour contrer le virus, il faut pouvoir contrôler le comportement individuel. Cela conduit à des conclusions étranges. Aux États-Unis et en Espagne, par exemple, il était moins évident d’interdire les services religieux qu’au Koweït et en Arabie Saoudite, où les gens étaient rapidement appelés à prier chez eux. En Iran, cela n’a pas fonctionné. La méfiance de ceux qui étaient au pouvoir était telle que les dignitaires religieux refusaient de fermer les sanctuaires. Ce n’est pas une coïncidence si l’Iran est aujourd’hui l’un des pays les plus touchés.

En Europe occidentale, la plupart des pays sont sur une trajectoire similaire à la nôtre. En Italie et en Espagne, où le virus frappe très fort, les mesures sont plus strictes et devraient durer plus longtemps. Il a fallu beaucoup de temps à la population du sud de l’Europe, qui n’est pas facile à soumettre à des règles, pour les suivre. La France a réagi relativement rapidement et vigoureusement, sans doute alimentée par la peur de ce qui se passe dans ces pays voisins. La Suède fait appel au grand sens civique de ses habitants pour ne prendre que des mesures volontaires, contrairement à ses pays voisins – la Scandinavie reste pour l’instant exempte de réels problèmes.

Que se passera-t-il en Afrique ? C’est une question ouverte. Les soins de santé y sont risibles, le lavage régulier des mains est difficile en raison du manque d’eau, et garder une distance est presque impossible – 94 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles. Pour l’instant, curieusement, les problèmes restent modestes. La population majoritairement jeune peut jouer à l’avantage du continent – les jeunes souffrent beaucoup moins du virus.

Fatigue sociale

Des chiffres solides sur les effets des mesures ont récemment circulé. Les calculs du site d’information Medium montrent que 40 % de personnes supplémentaires tombent malades chaque jour si un gouvernement n’agit pas avec force. Le nombre de décès supplémentaires pourrait même être supérieur à 40 %, car il faut tenir compte des institutions de santé surpeuplées. Il est conseillé d’agir rapidement.

Une autre analyse suppose 800 infections par décès de covid-19. On essaie ainsi de se faire une idée du nombre réel de personnes infectées – tant qu’il n’y aura pas de tests de masse, on n’en saura rien. Si vous appliquez cette analyse aux chiffres belges du samedi 28 mars, avec un total de 353 morts du coronavirus jusqu’à ce jour, vous avez 282 400 Belges infectés. Officiellement, seulement 9134 infections ont été enregistrées samedi. On sait que 80 % des personnes infectées remarquent à peine qu’elles le sont.

D’une manière générale, les pays qui agissent rapidement peuvent réduire le nombre de morts par coronavirus par un facteur de 10. Mais le moment approprié pour intervenir dépend aussi de facteurs psychologiques. Par exemple, il est impératif d’éviter qu’un trop grand nombre de travailleurs de secteurs économiques clés tels que la santé et l’approvisionnement alimentaire restent chez eux malades – le système doit continuer à fonctionner, sinon la panique se développera. Le spectre du pillage apparaît déjà ici et là.

Faire des stocks est un exemple classique de réaction de panique dont les effets sont principalement contre-productifs. Selon un rapport du New Scientist, les personnes qui achètent en panique tentent de maîtriser la situation – des étagères pleines de papier toilette rassurent. Le port d’un masque buccal dans la rue aussi, mais peut être contre-productif : si vous portez un masque, vous vous touchez davantage le visage, ce qui peut favoriser une infection. Vous interagissez aussi davantage parce que vous avez un faux sentiment de sécurité.

En fin de compte, les gouvernements essaient de calculer le facteur « fatigue sociale ». Au début d’une crise, chacun reste chez soi et les règles sont respectées. Avec le temps, le stress commence à peser et les gens veulent retourner à la vie qui leur manque, y compris les embouteillages. Ensuite, la résistance aux mesures se développe. Les analystes tentent de chronométrer au mieux le début d’un lockdown. Il ne faut pas commencer trop tard et il faut pouvoir garder les gens à l’intérieur jusqu’à ce que la crise soit terminée. Si cela prend trop de temps, il ne fonctionnera plus correctement (sauf si vous vivez dans une dictature).

Nos scientifiques tentent de donner une image réaliste de l’avenir. Ils le font avec modération. Il est maintenant suggéré qu’après les vacances de Pâques, les premières mesures puissent être réduites – voir le débat sur la réouverture ou non des écoles, sur lequel la science ne peut donner de conseils concluants. D’autre part, Marc Van Ranst affirme que le virus va contrôler nos vies pendant une année supplémentaire, mais dans un contexte de test et d’isolement plutôt que de confinement. Son homologue allemand a déjà déclaré que nous devrons peut-être continuer à prendre des mesures jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit disponible. Et cela, nous le savons déjà, pourrait prendre plus d’un an.

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