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Michel Poulain: « La richesse et le développement ne sont pas des facteurs de longévité »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il y a près de vingt ans, le démographe belge de l’UCL identifiait en Sardaigne une « zone bleue » propice à la longévité de vie. Authentifié depuis au Japon, en Grèce et au Costa Rica, le concept est devenu une référence internationale. Au-delà de la quête scientifique, une philosophie de vie.

Quels sont les critères d’identification d’une « zone bleue » ?

Les critères d’identification d’une  » zone bleue  » de haute longévité sont liés aux données disponibles dans les Etats concernés. Le pays doit avoir une espérance de vie moyenne qui soit parmi les plus hautes de la région. Le Japon, l’Italie, le Costa Rica… sont dans cette configuration. A l’échelle intérieure de l’Etat, il faut que les indicateurs locaux soient nettement au-dessus de la moyenne nationale. Quels sont-ils ? La probabilité pour un nouveau-né d’atteindre 90 ans, âge considéré comme le seuil de la longévité ; la survie des personnes entre 60 et 90 ans ; et un rapport entre les hommes et les femmes centenaires le plus proche de 1. Dans nos sociétés, la différence de longévité entre les hommes et les femmes penche en faveur des secondes en raison d’éléments socio-culturels plutôt que biologiques. Dans une  » zone bleue « , c’est plus spécifiquement la longévité masculine qui a tendance à être exceptionnelle.

Quels facteurs avez-vous identifiés comme propices à la longévité ?

On n’a pas encore trouvé le gène de la longévité ni même une association de plusieurs gènes qui la favoriserait. En revanche, on a démontré que la longévité présente une composante familiale et héréditaire à raison de 25 %. Un quart de l’explication serait donc génétique mais on ignore pourquoi. J’ai plutôt tendance à dire qu’elle serait d’ordre  » épigénétique  » : des gènes favorables à la longévité existent peut-être mais encore faut-il qu’ils soient activés. L’environnement ou le mode de vie peuvent-ils modifier l’activation des gènes ? C’est ce que la recherche scientifique tente de démontrer. Un autre facteur favorable à la longévité est l’activité physique prolongée. Généralement, les personnes à l’espérance de vie longue travaillent jusqu’à 85 ou 90 ans, même si elles ont progressivement diminué leur niveau d’activité. Il ne s’agit pas de faire du fitness mais bien de bouger naturellement dans le courant de la vie quotidienne. Il y a aussi la nutrition : les centenaires des  » zones bleues  » ne se nourrissent pas trop et mangent à 90 % des produits locaux, sans recourir à l’industrie alimentaire. Dans les montagnes de Sardaigne, le fromage, les légumes, les pâtes, le jambon cru, le vin, le pain, tout est produit à la maison et l’eau est recueillie à la source… Par rapport à notre type d’alimentation, c’est le jour et la nuit.

Avez-vous repéré d’autres facteurs ?

La péninsule de Nicoya, au Costa Rica, est une des quatre
La péninsule de Nicoya, au Costa Rica, est une des quatre  » zones bleues  » répertoriées dans le monde.© Alvaro Leiva/belgaimage

L’importance du soutien familial et celui de la société. Les  » zones bleues  » n’abritent pas de maisons de repos. Les personnes âgées dépendantes sont maintenues dans leur famille. Qui plus est, les aînés sont mis en valeur dans les villages. On y organise des fêtes de la longévité et on consacre même des calendriers aux centenaires. On y note également une qualité de vie probablement liée à l’absence de stress. Etre relax comme je l’ai observé à Ikaria en Grèce : lorsqu’un conducteur arrête son véhicule sur la route pour discuter avec une connaissance, il peut rester pendant cinq minutes sans que personne ne klaxonne. Ils ont bien le temps dans leur vie quotidienne et ils prennent aussi leur temps pour mourir. Des cancers et des maladies cardio-vasculaires existent mais leur issue est reportée. Je note enfin l’importance de la religiosité. En Belgique, sur 1 000 personnes qui ont atteint 105 ans, il y a une cinquantaine de religieuses. La religion apporte probablement une forme de quiétude dans la dernière phase de la vie. Il reste que, malgré ces facteurs identifiés, il n’y a pas encore d’explication rationnelle qui intègre tous ces facteurs et serait commune à la longévité dans chacune des  » zones bleues « .

A contrario, au vu des facteurs évoqués, modernité et espérance de vie longue sont-ils incompatibles ?

Il y a, il est vrai, une certaine opposition entre longévité et modernité et un lien entre vie traditionnelle et espérance de vie plus élévée. Néanmoins, la longévité observée dans les  » zones bleues  » pourrait s’avérer temporaire, émerger et puis disparaître. Elle est exceptionnelle par rapport à celle que je qualifierai d’aléatoire que nous observons dans nos pays, un centenaire ici, un centenaire là… Aux Etats-Unis, en s’inspirant des leçons des  » zones bleues « , on a lancé un projet  » Community Blue Zone  » dans un ensemble de petites villes où les citoyens veillent à développer des conditions permettant de vivre plus longtemps et en bonne santé. L’idée est louable, surtout aux Etats-Unis, mais il faudra encore attendre un peu pour juger les résultats.

Y a -t-il un lien entre pauvreté et espérance de vie réduite ?

La richesse et le développement ne sont pas des facteurs de longévité. Okinawa, cette  » zone bleue  » asiatique, est la préfecture la plus pauvre du Japon, Ikaria, l’une des îles les moins développées et touristiques de Grèce. Enfin, la doyenne de Belgique n’est pas une Flamande, comme on pourrait le penser en fonction de critères socio-économiques. Madeleine Dullier a 110 ans, elle habite à Courcelles, près de Charleroi, et a vécu très sobrement dans la région du Hainaut. S’il fallait identifier une – petite- poche de longévité en Belgique, elle se situerait entre Flobecq, Ellezelles et Renaix et remonterait quelque peu en Flandre.

Les prévisions démographiques concernant l’Europe vous inquiètent-elles et devraient-elles modifier le regard des dirigeants sur l’immigration ?

Le problème de l’immigration est très complexe. J’ai été amené à m’y intéresser dans le cadre de mes recherches scientifiques et de nombreuses missions effectuées pour l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Mon avis est clair : l’ordre économique mondial axé sur le profit immédiat crée lui-même tous ses mouvements migratoires. S’il y avait de l’emploi dans les villages du nord de l’Ethiopie ou en Somalie, je ne vois pas pourquoi des migrants iraient se perdre dans le froid en Norvège. Ils vont là où il y a de l’emploi mais aussi là où un bien-être illusoire est mis en évidence par les médias. Cette illusion se transforme souvent en catastrophe. On a une responsabilité énorme dans cette situation. Si on respectait ces Etats dans leur production et dans leur souveraineté au lieu de s’ingérer dans l’exploitation de leurs ressources, on n’en serait pas là. Sachant qu’il faut aussi donner du temps au temps. Combien de décennies a-t-il fallu à l’Europe pour vivre une période de septante ans sans guerre ? Et les migrants là-dedans ? Ils ont bien souvent été  » sélectionnés  » par leur famille pour apporter une source de revenu indispensable à leur survie. Il faut avoir du culot pour se lancer dans l’aventure de l’émigration. Mais si ce migrant aboutit dans nos sociétés occidentales, il va certainement progresser beaucoup plus rapidement que la plupart des autochtones. L’intégration dans une communauté locale se fera généralement sans souci majeur. Le problème surgit quand le nombre de migrants dépasse un seuil perçu comme intolérable et conduisant à dire que l' » on n’est plus chez soi « .

Combien de décennies a-t-il fallu à l’Europe pour vivre une période de septante ans sans guerre ?

Dans les « zones bleues », vous avez constaté une attention soutenue aux personnes âgées. Comment la restaurer chez nous ?

Il faut s’inspirer de l’exemple des  » zones bleues  » et prendre conscience qu’il n’est pas rétrograde de s’occuper de ses vieux. Les maisons de repos ne doivent pas être des mouroirs. Et le maintien à domicile ne doit pas être le début de l’isolement. Au Costa Rica et à Cuba, toutes les personnes de 90 ans et plus sont visitées chaque mois par une assistante sociale. Cela existe-t-il chez nous ? Non, on y a plutôt tendance à réduire les activités destinées aux personnes âgées. Il ne faut pas non plus considérer, à l’âge de la retraite, que l’on a assez donné et que le temps est venu de ne plus penser qu’à soi. C’est la meilleure façon de préparer ses funérailles. La possibilité devrait être laissée aux gens de travailler au-delà de 65 ans selon leurs désirs et l’énergie dont il dispose puisque l’espérance de vie, quant à elle, s’accroît de trois ans en moyenne par décennie.

Que vous inspirent les recherches sur l’immortalité ?

Des scientifiques comme Aubrey de Grey à Cambridge pensent que les techniques modernes vont permettre de remplacer nos membres déficients, ce qui permettra de vivre plus longtemps. Je pense que ces techniques seront certainement utiles aux jeunes âgés mais peu applicables aux gens de 100 ans et plus. Il y a une limite à la vie humaine et chez beaucoup de nos très âgés, émerge tôt ou tard ce sentiment d’ordre psychologique :  » J’ai assez donné « . L’immortalité, je n’y crois pas. Demain, beaucoup plus de gens vont atteindre 100 ans. Mais inévitablement, ils vont avoir quatre ou cinq années de fin de vie en état de dépendance. Il faut faire en sorte que celles-ci soient mieux prises en charge par la société.

La Belgique est-elle prête à affronter ce défi ?

Quand on voyage à travers le monde, on se rend compte que notre système de sécurité sociale est appréciable et nos services de santé performants. Même constat pour notre système de pension : on est bien lotis. Mais il y a toujours moyen de faire mieux.

L’émission Envoyé spécial sur France 2 a consacré, le 21 décembre dernier, un reportage aux recherches de Michel Poulain.

Bio express

1947 : Naissance le 7 juin à Châtelineau.

1985 : Chercheur au FNRS et professeur à l’UCL.

2000 : Mission en Sardaigne, identification d’une première  » zone bleue « .

2005 : Le journaliste Dan Buettner, son compère, publie un article sur les  » zones bleues  » dans le magazine National Geographic.

2007-2008 : Mission sur la presqu’île de Nicoya, au Costa Rica.

2009 : Mission sur l’île d’Ikaria, en Grèce.

2017 : Premiers symposiums internationaux de la Blue Zone Science, réunissant des universitaires et des chercheurs, en Californie, en Grèce et au Costa Rica.

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