De l’émergence des premières molécules aux espèces vivantes, en passant par les premières protéines: la naissance de la vie sur Terre commence peu à peu à révéler ses secrets.
Fascinés par l’univers, les astronomes laissent parfois échapper des phrases telles que «les planètes de notre système solaire s’emboîtent magnifiquement, comme des Lego». L’idée sous-jacente étant que la Terre présenterait un environnement «idéal» pour accueillir la vie. Il va de soi que c’est l’inverse: des formes d’existence ont émergé sur Terre parce que les conditions étaient réunies pour en favoriser l’apparition. Les potentialités de vie dans l’univers sont innombrables, mais le fait qu’elle soit apparue en un temps et un espace donnés tient à une succession infinie de hasards. C’est une théorie troublante, qu’il ne faut pas trop approfondir sous peine d’être pris de vertige.
Cela ne signifie pas pour autant que la science soit incapable de comprendre précisément l’apparition des premiers organismes vivants. La naissance de la vie résulte d’une réaction en chaîne allant de l’ADN à l’ARN, puis aux protéines, lesquelles se déploient en structures tridimensionnelles spécifiques, acquérant ainsi toute une série de «fonctions». L’information génétique de la vie est ainsi stockée dans l’ADN sous la forme d’une longue séquence de quatre substances chimiques (appelées bases), dont l’ordre détermine la combinaison des acides aminés des protéines. Un triplet de trois bases successives établit le code d’un acide aminé. L’organisme dispose au total de vingt acides aminés différents. La transcription de l’ADN en protéines s’opère par l’intermédiaire de l’ARN: une molécule étroitement apparentée à l’ADN et existant en trois types, capables de réassembler l’information génétique contenue dans l’ADN pour créer des protéines. Sans ARN, l’ADN est incapable de former la vie. Depuis quelque temps, les scientifiques avancent que la toute première molécule vivante à franchir le pas de la chimie vers la biologie fut l’ARN, et non l’ADN, car l’ARN présente une double capacité: comme l’ADN, il peut stocker et répliquer l’information génétique, mais il peut simultanément agir comme catalyseur de réactions chimiques, à l’instar des enzymes. Cette double fonction aurait rendu l’ARN apte à évoluer vers la première molécule vivante.
Les plus anciens organismes fossiles datent de 3,5 milliards d’années.
Un petit miracle
Les chercheurs tentent depuis longtemps de reproduire en laboratoire les conditions dans lesquelles les premières molécules d’ARN seraient nées sur Terre. Un rapport récent dans Nature Chemistry a pu identifier les conditions très spécifiques dans lesquelles une molécule d’ARN simple peut se multiplier, une étape cruciale dans la formation de la vie. Le processus aurait commencé entre 4,5 et 3,7 milliards d’années avant notre ère, donc peu après la formation de la Terre elle-même. Les plus anciens organismes fossiles connus datent de 3,5 milliards d’années. La vie n’a donc pas attendu longtemps pour émerger sur Terre.
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Un autre article, publié récemment dans Nature, analysait la question de savoir comment les premières molécules d’ARN avaient pu former les premières protéines, avant que n’existe le processus amenant l’ADN, via trois types d’ARN, jusqu’aux protéines. Il est presque inconcevable qu’un système aussi complexe ait pu se constituer sans que des protéines soient déjà présentes pour encadrer ce mécanisme. La complexité du processus d’origine est tout bonnement stupéfiante. Un pas important fut franchi quand on découvrit que les acides aminés se sont chimiquement modifiés, de telle sorte qu’ils pouvaient se lier plus aisément aux molécules d’ARN, et ainsi être enfilés plus facilement les uns aux autres pour former des protéines. Aujourd’hui, ce processus d’activation est constant et très rapide, mais à l’origine, il fallait qu’il soit déclenché. Selon de récentes recherches, un rôle clé dans l’activation initiale aurait été joué par une substance appelée aujourd’hui vitamine: la pantéthéine. L’ajout de cette substance à un mélange d’acides aminés facilitait leur liaison aux molécules d’ARN pour former des chaînes, et donc des protéines. Et si l’on ajoutait également du sulfure d’hydrogène et d’autres composés courants sur la Terre primitive, le processus s’améliorait encore.
De cette série interminable de tentatives sont nées les premières bactéries, premières formes de vie.
Un peu de chimie et de géologie
Pour rendre l’affaire encore plus complexe, une étude parue dans les Proceedings of the National Academy of Sciences a montré que seuls les soi-disant acides aminés alpha étaient aptes à former des protéines. Ils sont les seuls capables de former les toutes premières protéines régulières sur Terre: les dits depsipeptides. Ces derniers se seraient formés spontanément dans les conditions de la jeune Terre, mais ils ne sont pas stables à long terme. Des ajustements furent donc nécessaires pour rendre viable la première soupe primitive. De cette série interminable de tentatives sont finalement nées les premières bactéries, premières formes de vie. Hormis la chimie, la géologie a également joué un rôle essentiel. Des études récentes publiées dans Science Advances et Earth and Planetary Science Letters soulignent que des variations du magnétisme et de la teneur en oxygène ont joué un rôle crucial dans l’émergence de la vie. Les mouvements tectoniques de la croûte terrestre auraient été fondamentaux.

Ainsi, la dérive des plaques tectoniques aurait créé davantage d’océans riches en oxygène, capables de stocker de grandes quantités de CO2 issu des éruptions volcaniques, rendant ainsi les conditions plus favorables à la vie. De plus, l’apparition de plus de 50.000 kilomètres de zones côtières peu profondes aurait créé un terrain idéal pour des «expérimentations» biologiques. De ce biotope seraient nés les premiers eucaryotes, les premières cellules dotées d’un noyau et d’une membrane cellulaire, point de départ de la vie complexe ultérieure. Avant cela, la vie terrestre se limitait, pendant quelque deux milliards d’années, à des micro-organismes dépourvus de noyau et dotés d’une enveloppe cellulaire simple. Les bactéries dominaient, notamment les cyanobactéries (appelées aussi algues bleues), car elles étaient capables de photosynthèse: extraire de l’énergie à partir d’un mélange de CO2 et d’eau, activé par la lumière solaire, l’oxygène étant un «produit résiduel» de cette réaction.
La transition du unicellulaire au multicellulaire se serait produite il y a 1,7 à deux milliards d’années.
Plus tôt cette année, Nature a publié une analyse identifiant quels microbes étaient les ancêtres les plus probables des eucaryotes. L’étude présentait une échelle temporelle de ces développements: il y a 3,7 milliards d’années serait né l’ancêtre de toute vie terrestre; il y a 2,5 milliards d’années seraient apparues les premières concentrations d’oxygène suffisantes pour donner un avantage à la vie; et il y a 1,9 milliard d’années auraient émergé les premiers eucaryotes.
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Demeure des dieux
L’ancêtre des eucaryotes proviendrait d’un groupe spécifique de microbes nommé archées (pour «Asgardarchaea», nom du royaume des dieux dans la mythologie nordique), transformées par une symbiose avec une petite bactérie venu s’y loger, y assurant l’approvisionnement énergétique. Dès l’origine, la vie complexe ne s’est donc révélée possible que grâce à la collaboration entre différents organismes. Aujourd’hui encore, notre espèce n’est pas viable sans le concours d’une multitude de microbes présents dans les intestins. Des indices suggèrent que près de 40 «expérimentations» évolutives auraient tenté le passage vers la multicellularité, mais une seule aurait conduit à la lignée des animaux.
Le point commun majeur entre les cinq espèces eucaryotes étudiées est leur grande flexibilité face aux changements de l’environnement, y compris la capacité de passer rapidement d’un mode de vie unicellulaire de type amiboïde à une formation coloniale comportant un nombre croissant de cellules. Plus tard, une simple division des tâches entre les cellules au sein d’une colonie aurait émergé. La multicellularité serait ainsi devenue progressivement multifonctionnelle.
Les humains sont des nouveaux venus dans l’histoire de la vie sur Terre.
Le dégel
Pour la dernière étape vers une forme de vie complexe, selon une analyse publiée dans Science, il aura fallu attendre la fin du dernier épisode de glaciation, survenu il y a plus de 650 millions d’années. La Terre était alors presque entièrement recouverte de glace, mais sous la surface océanique gelée, les bactéries survivaient dans des conditions quasi dépourvues d’oxygène. Lors du dégel massif, toute cette matière organique fut libérée dans les océans, les algues photosynthétiques explosèrent, dépassant rapidement les cyanobactéries comme principaux producteurs d’oxygène, les premières algues multicellulaires seraient apparues entre 1,5 et un milliard d’années avant notre ère.
Ces algues ont formé la base d’une chaîne alimentaire dont les premiers animaux allaient tirer avantage, bien plus tard. Les plus anciens fossiles d’animaux datent de 575 millions d’années. Ce n’est qu’il y a 600 millions d’années que la concentration d’oxygène atmosphérique devint suffisamment élevée pour offrir des chances aux formes de vie plus complexes. Une fois les animaux apparus, l’évolution s’est accélérée, donnant naissance à ce que l’on appelle aujourd’hui la biodiversité.
Pour conclure, relativisons: l’humain moderne est apparu il y a 200.000 ans; les hominiens, au sens large, remontant à trois millions d’années. Les humains sont donc des nouveaux venus dans la longue histoire de la vie et, tout compte fait, il est raisonnable de considérer que l’humanité a beaucoup de chance d’exister.