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Comment la musique contribue à guérir des traumas

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Comment la musique contribue à guérir les traumas. A la fois série documentaire et livre, Paradise City part à la découverte de six villes pour le raconter.

C’est une évidence depuis, au moins, Platon et Aristote : la musique adoucit les moeurs. Elle guérit, apaise, console, assuraient les philosophes grecs. Un vrai baume au coeur. Bien sûr, la musique peut aussi, à l’occasion, agacer et irriter – voire servir carrément de moyens de torture (Metallica, mais aussi la chanson de Barney le dinosaure, diffusés à volume élevé aux prisonniers d’Abou Ghraib). Le plus souvent, elle fait cependant office de pansement émotionnel. C’est le point de départ de Paradise City, road trip documentaire en six étapes, diffusé pour le moment sur Canvas. L’idée ? Examiner comment la musique peut aider une ville à se relever. A côté des films, le projet est décliné aujourd’hui en livre (1) et fera même l’objet d’une série de représentations dans les centres culturels flamands.

Comment la musique contribue à guérir des traumas
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A l’origine de Paradise City, on trouve le réalisateur Karel Van Mileghem (également bassiste au sein de la formation Jacle Bow) et Mario Goossens, bien connu pour tenir la batterie du groupe Triggerfinger. Ce dernier officie comme présentateur-fil rouge de la série. Un duo de musiciens donc, et non pas des journalistes, pour mener le récit, histoire de briser plus facilement la glace avec les autres artistes croisés tout au long de leurs escapades. C’est leurs expériences qui font tout le sel du documentaire.

Pour autant, le voyage n’est pas purement musical. La plupart des intervenants sont en outre totalement inconnus (hormis un groupe comme Therapy ?, croisé à Belfast). En cela, Paradise City est très loin, par exemple, des Sonic Highways, la série documentaire de Dave Grohl, qui voyait les Foo Fighters fouiller le patrimoine culturel des principales villes américaines qui ont construit le répertoire rock, blues, jazz, hip-hop, etc. Ici, ce qui compte, c’est moins la musique en elle-même que son pouvoir de consolation, voire de rémission.  » De nombreux genres musicaux trouvent leurs origines dans un traumatisme, font ainsi remarquer Mario Goossens et Karel Van Mileghem, en introduction : les exemples les plus connus incluant le gospel et le blues, qui réconfortaient les esclaves « , acheminés d’Afrique en Amérique.  » Musique et malheur vont ensemble. Cela peut sonner comme une contradiction, mais ça ne l’est pas : la souffrance amène à créer de la musique, qui à son tour apaise la souffrance.  »

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De Kigali à Belfast

Ces dernières années, les documentaires se penchant sur les pouvoirs émancipateurs de la musique n’ont pas manqué. De Au temps où les Arabes dansaient du Belgo-Marocain Jawad Rhalib, qui montrait comment l’art, la musique et la danse étaient devenus des armes contre l’intégrisme religieux, au récent Gay Chorus Deep South, le film de David Charles Rodrigues, primé au dernier festival de Tribeca, racontant la tournée d’une chorale homosexuelle dans le Sud profond des Etats-Unis.

De son côté, Paradise City a pris le parti de s’arrêter dans six villes. Avec pas mal d’intelligence, la série prend soin de passer d’un continent à l’autre, brassant des thématiques forcément singulières. Toutes les villes visitées ayant été touchées par un trauma : de Port-au-Prince, ravagée par le tremblement de terre de 2010, à Hiroshima, victime de la bombe atomique, en passant par la Nouvelle-Orléans, noyée par l’ouragan Katrina ; Detroit, ruinée par la crise économique ; Kigali, ville-martyre du génocide rwandais ; ou encore Belfast, minée par le conflit religieux entre protestants et catholiques. Autant de villes pour autant de blessures différentes. Mais à chaque fois, la musique comme moyen de soulager les plaies, avant de remonter la pente.

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En Haïti, par exemple, Romel Jean-Pierre raconte sa journée du 12 janvier 2010. Le sol qui se met à trembler, la panique, et la course pour sortir du cybercafé dans lequel il se trouvait. Dehors, Romel sentira le bâtiment s’effondrer derrière lui. Comme tant d’autres, réduits en quelques secondes à un amas de décombres, tout le long de la Grand Rue, l’une des principales artères de la ville. Aujourd’hui, Romel a monté la structure Konbit Mizik Project, qui est à la fois un label et un studio pour les jeunes musiciens de la ville. Chaque année, il organise également le festival Pwojè sida. L’entrée est gratuite, mais chaque participant doit présenter un test de détection du virus HIV avant d’entrer – on estime que la moitié des personnes atteintes du sida en Haïti n’ont pas été diagnostiquées.

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A Hiroshima, le binôme a dû se creuser davantage les méninges pour nourrir son récit. Avant de tomber sur Osamu Munakata, l’un des grands maîtres des tambours taiko. Il était âgé de 7 ans quand la bombe atomique a été larguée sur Hiroshima, à moins de cinq kilomètres de chez lui. Exposée à une grosse dose de radiation, sa mère mourra d’une leucémie. Osamu Munakata développera, lui, un cancer du colon, mais en réchappera.  » Le taiko et le théâtre Nô m’ont guéri « , confie-t-il. Aujourd’hui, à 80 ans passés, le maître avoue parler rarement de la catastrophe.  » J’ai vu trop de tristesse dans ma famille. J’apprends le Nô et les tambours taiko pour oublier. Je veux que la douleur s’arrête, je veux l’enfermer à l’intérieur de moi.  »

Comment la musique contribue à guérir des traumas
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Evidemment, la musique ne soigne pas tout. Parfois, elle sert même à appuyer sur les cicatrices. Voire à attiser les tensions. Elle a par exemple été utilisée pour lancer le génocide rwandais. Il y a également cette scène révélatrice tournée à Belfast, dans un magasin d’instruments, dont le propriétaire, protestant, a du mal à cacher sa rancune tenace contre l’IRA. Ici, le conflit religieux couve toujours. Dans la boutique s’alignent les tambours et autres fifres, utilisés chaque année pour les marches protestantes. Comme celle du 12 juillet, célébrant la victoire de Guillaume III d’Orange-Nassau, lors de la bataille de la Boyne, en 1690. Quatre siècles plus tard, des feux sont toujours allumés pour commémorer la victoire orangiste. Dans l’épisode en question, Mario Goossens assiste justement à l’un des bûchers. Et de poser la question au jeune, à côté de lui :  » Est-ce qu’il n’est pas temps de passer à autre chose ?  » Et l’interpellé de répondre :  » Les choses avancent… Donc oui, peut-être, un jour… Who knows ?  » Qui sait, en effet…

A Belfast, Terri Hooley, figure historique de la scène punk.
A Belfast, Terri Hooley, figure historique de la scène punk.© FABRICE DEBATTY

(1) Paradise City, par Mario Goossens et Karel Van Mileghem, éd. Lannoo, 192 p.

Paradise City, par Mario Goossens et Karel Van Mileghem, éd. Lannoo, 192 p.
Paradise City, par Mario Goossens et Karel Van Mileghem, éd. Lannoo, 192 p.

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