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Denis Van Weynbergh : « Il faut être fou pour faire le Vendée Globe, mais on se prend vite au jeu »

Avide d’aventure, Denis Van Weynbergh a transité par MSF avant de devenir skipper professionnel. Alors qu’il vise une première participation au Vendée Globe en 2024, il s’applique aussi à donner du sens à ses traversées.

L’objectif: franchir l’ Atlantique à partir de La Rochelle. Le bateau: un Mini 6.50. L’expérience: nulle. «Je n’avais jamais vécu une nuit seul sur l’eau avant ma première course.» Denis Van Weynbergh se souvient très bien de l’édition 2001 de la Mini Transat. Embarqué autour de Pornichet, Belle-Ile et l’île d’Yeu, l’Ottintois n’a pas droit au bizutage le plus funky. Après vingt heures, son pilote automatique le lâche et le contraint à barrer – pousser et tirer la barre – pendant les presque trois jours de navigation restants. Sans dormir. «C’est par la suite que j’apprendrai à m’assoupir deux minutes, comme ça, tout en faisant attention à ne pas me foutre sur un caillou. Il y a eu des moments où j’en ai eu marre. J’ai eu froid, mal aux fesses, ça bougeait tout le temps… mais j’ai tenu bon parce que je savais que ça faisait partie d’un processus plus général de préparation.» Et parce qu’il a une certaine expérience du contrôle de ses nerfs, aussi.

Cinq ans plus tôt, Denis Van Weynbergh était coincé à Vedeno, dans une Tchétchénie en pleine guerre, où il était responsable logistique d’une mission de Médecins sans frontières. «Différentes mafias géraient les lieux et faisaient pression avec des chars et des hélicoptères. Il fallait, par exemple, négocier chaque passage de check-point sans pour autant donner de bakchich ni embarquer de soldat. Le no man’s land, c’est un mélange d’excitation, de stress et de peur. Un jour, on a dû le traverser de nuit: on a roulé sans phares pour ne pas se faire repérer et tirer dessus.» Au sud-ouest de la Russie, le Bruxellois de naissance essaie de coordonner les actions de distribution de marchandises et de réhabilitation de villages. Jusqu’à ce jour où MSF communique publiquement un rapport sur la situation sur place. «On est plusieurs à avoir estimé que cela avait mis notre sécurité en péril et on a demandé à être évacués. Trois jours après notre départ, deux membres de l’équipe étaient enlevés.» En zone de guerre comme de turbulences, mieux vaut savoir où l’on va…

Objectif Globe

Denis Van Weynberg est le seul skipper en Belgique à faire de la course professionnelle. Un statut pas toujours facile à assumer face à ces interlocuteurs non initiés qui lui demandent régulièrement ce qu’il fait comme «vrai» métier. C’est pourtant simple: le Brabançon est à la fois armateur et barreur. «Je n’ai pas trop le choix: je ne trouverai jamais un sponsor qui accepte de me payer un voilier. Je ne joue pas dans la même cour que ceux qui peuvent gagner un Vendée Globe et qui ont une visibilité énorme pour de grosses boîtes prêtes à débloquer des budgets entre douze et seize millions d’euros. Moi, j’ai besoin d’1,5 million au total.»

Son plus gros risque

«Lancer le projet Vendée Globe 2024. Ça a des répercussions sociales, familiales et financières conséquentes vu que je pars une semaine sur deux.»

Le quinqua n’a peut-être pas les qualités ou l’équipement nécessaires pour remporter un Vendée Globe, mais son rêve de prendre part, un jour, à ce tour du monde légendaire est bien réel. Depuis le début des années 2000, d’ailleurs, lorsqu’il amarre par hasard son Mini 6.50 à côté de l’Imoca (la classe de voiliers la plus prestigieuse) qui vient de remporter la course mythique. «Ça m’a titillé, même si je me disais que ces gars étaient tout à fait fous d’aller explorer la Terre tout seuls. Puis j’ai continué à faire de la course au large: la Route du Rhum, la Transat Jacques Vabre, Québec-Saint-Malo, etc. Quand tu baignes là-dedans, tu côtoies plein de gens qui partent ensuite faire le Vendée Globe… et tu finis par te prendre au jeu.» Alors, en 2018, il revend sa boîte de courrier express et crée sa société WindRacer pour devenir skipper professionnel à 100%. Il rachète ensuite le bateau classé huitième au précédent Vendée Globe et le laisse amarré aux Sables d’Olonne (ville de départ de la mythique course), où des amis lui donnent un coup de main pour le retaper. En vain, puisqu’il ne trouve finalement pas le financement pour prendre le départ en 2020. «Une déception, même si je n’avais pas énormément navigué et donc peut-être pas tout à fait prêt.»

Au printemps 2021, le deuxième confinement à peine levé, il remet son voilier à l’eau, le ponce, le nettoie, le repeint, le sort en mer et se remet à la recherche de partenaires. Avec 2024 dans le viseur. Et l’ambition d’être le premier Belge à venir à bout de l’«Everest des mers». «On sait que, sauf exploit extraordinaire, je ne gagnerai pas la traversée, mais comme tout sportif qui s’inscrit à une compétition, j’ai cette envie de remporter le truc. Je n’irai pas juste faire le tour du monde.»

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Le générateur rwandais

Au début de sa carrière professionnelle, c’est pourtant son rêve. Exalté par l’émission Les Carnets de l’aventure sur France 2, le jeune Denis s’imagine bourlingueur philanthrope. Pas en tant que médecin, puisqu’il tombe dans les pommes à peine entré dans un hôpital, mais plutôt dans la coopération au développement. Pour se faire la main, il s’envole d’abord, à 24 ans, pour la Mauritanie, où il gère les comptes et encadre une mission de microcrédit dans le désert. A son retour, MSF le recrute, le forme sommairement aux procédures, tenue des comptes, gestion de stocks, de l’eau, de l’électricité, du personnel… puis l’envoie dans un Rwanda toujours meurtri par le génocide perpétré douze mois plus tôt. «Il y avait encore un couvre-feu général et pas mal d’exactions à gauche et à droite. L’armée n’avait pas de moyens et piquait les bagnoles des uns et des autres. Je n’ai pas eu peur, parce que quand tu mets les mains dans la colle, que tu endosses rapidement des responsabilités importantes, tu te fais à la situation. En revanche, j’ai dû me montrer à la fois strict et flexible pour gérer mon équipe de vingt chauffeurs.»

© Anthony Dehez

A Butare, dans le sud du pays, le Brabançon participe à la réhabilitation de cinq petits dispensaires, l’organisation de campagnes de vaccination, l’aménagement d’un hôpital et la reconstruction d’un pont. «Quand un générateur tombait en panne à 2 heures du matin, c’est moi qu’on appelait. Je n’avais qu’à espérer qu’un autre fonctionne parce que je n’avais aucune idée de la façon de le réparer.» Après le Rwanda, Denis enchaîne avec la Tchétchénie, le Burundi et une nouvelle pige de quelques semaines au pays des Mille collines. «En tant qu’Européen, on ne sait pas ce qu’est la guerre. Sur le terrain, tu comprends la signification d’exaction et de bombardement, même s’il n’y avait pas non plus trois cents avions en même temps dans le ciel. Souvent, les équipes étaient déjà en place, donc je n’ai pas vu les rencontres avec les populations locales. C’est clair que cette aide reste un réflexe de néocolonialiste, mais quand tu fais du boulot concret et qui sert sur le terrain, je pense que ça a du sens.»

Son mantra

«Plus on aime, plus on est heureux.»

A l’approche de la trentaine, l’aventurier nourrit pourtant l’envie de revivre en Europe, de fonder une famille, de faire son trou professionnellement. «A MSF, on travaille dans des contextes compliqués, mais c’est finalement assez « simple » parce qu’on ne gère rien à part notre boulot, on ne paie pas une facture, on dépense surtout l’argent, etc.» De retour en Belgique, il se pose d’abord dans une agence d’événements sportifs puis tente une grosse boîte, la régie publicitaire IP Belgium, où ça ne prend pas. Il démissionne.

Courses à valeurs

Les huit mois qui suivent l’expérience chez IP se déroulent principalement sur l’eau. Son horizon professionnel étant plutôt trouble, ses proches encouragent alors Denis à faire cette fameuse Mini Transat, lui qui navigue sur la mer et les rivières belges depuis son enfance. «Je me suis préparé en faisant des allers-retours vers les différents ports de France d’où je partais m’entraîner. Je devais parcourir une certaine distance et participer à un nombre de courses bien défini pour me qualifier. J’ai réussi et me suis finalement classé 19e.» Surtout, il comprend qu’il est définitivement mordu. Au point, plus tard, de se défaire de cette boîte de courrier express qu’il a façonnée pendant 18 ans. Pour ne pas louper l’occasion de découvrir l’Imoca ou celle de rassembler petit à petit les valeurs qui forment son projet Vendée Globe 2024.

Sa plus grosse claque

«Renoncer au Vendée Globe 2020. J’ai même consulté un coach et une psy. Tous ces messages de soutien et de sympathie à mon égard, c’était un peu comme assister à mon propre enterrement.»

«Avec mon équipe, on veut pousser au maximum la durabilité des éléments, qu’on ne doit pas jeter dès qu’ils sont à moitié usés. On sera toujours obligés d’acheter du neuf, mais on essaie aussi de récupérer des voiles, des winchs ou du matériel informatique déjà exploités par d’autres skippers.» Sur pratiquement toutes les courses auxquelles il participe, Denis propose par ailleurs d’installer, dans des endroits peu fréquentés, des bouées qui envoient des infos régulières au centre de traitement de Météo France. «C’est bénévole. Tout le monde ne les prend pas parce qu’elles pèsent 25 kilos. C’est lourd, quand tu es seul, mais j’estime qu’on fait un sport suffisamment nombriliste pour ne pas se rendre un peu utile quand c’est possible…» Nombriliste, et donc solitaire. Parce qu’une fois qu’il a défini, préparé son projet et trouvé les financements, Denis Van Weynbergh s’entraîne et navigue en solo. «Sur l’eau, il peut tout se passer. Tu es de très bonne humeur pendant une demi-heure, puis tu pleures les trente minutes qui suivent. Pour digérer ces ascenseurs émotionnels constants, il faut bien s’entendre avec soi-même. Moi, ça me plaît de gérer seul le truc, mais mon besoin de solitude prend fin dès que je reviens à terre. Je ne suis pas de Foucauld dans sa grotte.»

Dates clés

1973 «Mes premiers souvenirs de gamin sur le voilier de mes parents à la mer du Nord. J’étais souvent malade.»

2008 «Je débute comme chroniqueur pour le Vendée Globe sur la radio Mint. Par la suite, il y aura aussi Twizz puis LN 24.»

2012 «Je participe à la Transat Québec-Saint-Malo avec un équipage de jeunes diabétiques.»

2020 «Pendant le confinement, je me retrouve sans boulot, à faire des barbecues seul chez moi. Un peu comme Tom Hanks sur son île.»

2022 «Je renonce à la Route du Rhum. Parce que je reviens de blessure, mais aussi par manque de ressources financières.»

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