Les relations bilatérales ont été normalisées en septembre 2019, à l’occasion de la première visite en Belgique de Félix Tshisekedi en tant que président de la RDC. © belga image

Philippe et Mathilde au Congo : une visite hautement symbolique

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Reportée à trois reprises, la première visite de Philippe et Mathilde en RDC se déroulera du 7 au 13 juin. Un déplacement marqué par les liens étroits tissés entre la monarchie et l’ancienne colonie belge.

Les relations bilatérales ont été normalisées en septembre 2019, à l’occasion de la première visite en Belgique de Félix Tshisekedi en tant que président de la RDC.
Les relations bilatérales ont été normalisées en septembre 2019, à l’occasion de la première visite en Belgique de Félix Tshisekedi en tant que président de la RDC. © belga image

Pas de visite officielle des souverains belges en République démocratique du Congo sans alignement favorable des planètes. Si Philippe et Mathilde se rendent en RDC du 7 au 13 juin, c’est parce que les conditions sanitaires, sécuritaires et politiques actuelles s’y prêtent, malgré la montée des tensions entre la RDC et le Rwanda depuis que les combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 se sont rapprochés de Goma, chef-lieu du Nord-Kivu.. La pandémie puis l’invasion russe de l’Ukraine ont conduit à reporter à trois reprises le voyage royal, programmé successivement en juin 2020, juin 2021 et mars 2022, sur invitation du président Félix Tshisekedi.

Albert Ier, Léopold III et Baudouin sont tombés amoureux de la colonie belge, qu’ils ont longuement visitée.

Sur le plan diplomatique, les relations bilatérales, tumultueuses à l’époque de Joseph Kabila, se sont dégelées depuis l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi. «La visite royale ne peut plus être reportée, car nous voulons éviter toute interférence dans le processus électoral congolais», indique le Palais (le scrutin présidentiel doit se tenir fin 2023).

Le couple royal se rendra à Kinshasa, Lubumbashi (Katanga) et Bukavu (Sud-Kivu). «Ce déplacement est hautement symbolique en raison des liens particuliers tissés de longue date entre nos souverains et l’ancienne colonie, souligne Vincent Dujardin, professeur d’histoire contemporaine à l’UCLouvain et spécialiste de la monarchie. Le rôle de Léopold II a été le plus étudié. Il y a moins de travaux de synthèse sur la politique africaine des rois qui lui ont succédé. Mais il est clair que ses trois premiers successeurs, Albert Ier, Léopold III et Baudouin, sont tombés amoureux de la colonie belge, qu’ils ont longuement visitée.»

«Le travail en Afrique, l’or à Bruxelles…»

Léopold II n’a jamais mis les pieds dans l’Etat qu’il a dessiné sur la carte. Le tout premier séjour d’un membre de la famille royale au Congo a lieu en 1909, près d’un quart de siècle après l’acquisition de l’immense territoire par le deuxième roi des Belges. Son neveu, le prince héritier Albert, s’y rend quelques mois avant de monter sur le trône. Via l’ Afrique du Sud, il atteint, le 15 mai, la mine de l’Etoile, siège de l’Union minière du Haut-Katanga, à côté de laquelle sera édifiée la future Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi). Il parcourt près de quatre mille kilomètres au Congo, à pied, à vélo, à cheval, en train, en baleinière. Un périple africain qui relève plus souvent de l’expédition que du voyage d’agrément. Cette aventure marque le prince de 34 ans.

«Il y a eu, au total, six visites royales au Congo, dont quatre sous le règne du roi Baudouin», rappelle le Palais.
«Il y a eu, au total, six visites royales au Congo, dont quatre sous le règne du roi Baudouin», rappelle le Palais. © belga image

Dans son journal de voyage, rédigé à son retour en Belgique sur la base de notes personnelles et de souvenirs ( Voyage au Congo belge par Cape Town, manuscrit autographe de 129 pages), Albert multiplie les remarques acerbes sur l’état de la colonie. «Le travail en Afrique, l’or à Bruxelles, voilà la devise de l’Etat indépendant», écrit le prince. Il déplore le peu d’argent consacré à la santé des populations, en particulier à la lutte contre la maladie du sommeil, fléau du bassin du Congo. Il constate que le recours au travail forcé perdure pour la construction du chemin de fer. «Considérer [les Noirs] comme un troupeau taillable et corvéable à merci, c’est un crime au point de vue humanitaire mais, bien plus encore, une faute du point de vue économique», estime-t-il. Le prince parle de la «haine des Noirs» chez les agents blancs, de leur brutalité.

Le prince Léopold critique également la gestion coloniale

Albert retourne au Congo belge en 1928, en tant que roi. C’est la première visite d’un souverain belge dans la colonie. Accompagné de la reine Elisabeth, il y passe près de trois mois. De retour en Belgique, il insiste sur les devoirs des nations colonisatrices à l’égard des colonisés: «Travailler au sort des populations indigènes, c’est travailler à la prospérité de la colonie.»

Albert Ier se rend une dernière fois dans la colonie en 1932, visite privée à caractère scientifique. Sept ans plus tôt, son fils, le futur Léopold III, a effectué un voyage d’études de neuf mois au Congo. Le prince y retourne en 1933, sept mois avant de succéder à son père. Son épouse Astrid l’accompagne. De retour en Belgique, il prononce, le 25 juillet 1933, au Sénat, un discours dans lequel il dénonce la politique d’exploitation capitaliste qui sévit dans la colonie. Les populations y sont considérées «comme un simple outil de production», constate-t-il. Après son abdication, Léopold repart au Congo belge en voyage d’exploration. La «grande pirogue» exposée dans l’entrée de l’ AfricaMuseum de Tervuren est l’une des deux embarcations mises à la disposition du roi détrôné, de son épouse Lilian et de leur suite pour une excursion fluviale de deux jours, à la fin mars 1957, près de Ponthierville (l’actuelle Ubundu).

Vincent Dujardin
Vincent Dujardin © belga image

Quand Baudouin rêvait de s’installer au Congo

Cinq ans avant l’indépendance, le roi Baudouin visite toutes les régions d’une colonie alors à son apogée. Acclamé par des foules enthousiastes, le souverain longiligne et guindé de 25 ans est surnommé gentiment «Mwana Kitoko», le «beau gosse», surnom devenu dans la légende «Bwana Kitoko», «noble seigneur». Le 17 mai 1955, à Léopoldville, il prononce un discours sur la colonisation belge dans lequel il plaide pour «l’accroissement du bien-être de la population autochtone». Il signale que son père, Léopold III, l’a élevé dans l’idée que la Belgique et le Congo ne forment qu’une nation, «principe qui commande aux souverains de veiller à la prospérité et au bonheur de leurs populations». Le 11 juin 1955, jour de ses adieux à la colonie, Baudouin écrit à son père et à sa belle-mère Lilian ces mots surprenants: «On parle du Congo comme étant la dixième province belge. Ce serait merveilleux d’avoir notre résidence ici et d’aller de temps en temps en Belgique qui ne serait pas plus qu’un petit district du Congo.»

Baudouin retourne au Congo en décembre 1959, un «voyage d’étude» inopiné, au moment où les événements se précipitent dans la colonie. Le roi engage le prestige de la monarchie sur la question congolaise, celle qui lui tient le plus à cœur. Toutefois, la visite restée dans les annales est celle de la fin juin 1960. Baudouin se rend à Léopoldville pour proclamer l’indépendance de la colonie et assister à la transmission des pouvoirs. Dans son discours, il rend un hommage appuyé à «l’œuvre colonisatrice de la Belgique» et au «génie du roi Léopold II». La réplique inattendue de Patrice Lumumba est passée à la postérité: le Premier ministre congolais énumère les humiliations subies par les Congolais pendant les 75 ans de colonisation.

Selon Vincent Dujardin, le roi Philippe s’intéresse beaucoup à l’histoire de sa famille et aux liens qu’elle a tissés avec le Congo.

Mobutu déçoit son «cousin»

«Le discours glorificateur et paternaliste de Baudouin, le 30 juin 1960, a marqué les esprits, mais il ne reflète pas l’opinion du roi sur la gestion coloniale, qu’il a critiquée plus d’une fois, remarque Vincent Dujardin. Au cours des années 1950, le jeune roi interpelle à plusieurs reprises son Premier ministre et le ministre des Colonies à propos du Congo, auquel il tient comme à la prunelle de ses yeux. Il appelle le gouvernement belge à mettre fin aux discriminations raciales, à former des cadres locaux et à favoriser l’émancipation politique des Congolais.»

Baudouin s’est réjoui de l’arrivée au pouvoir de Mobutu en 1965 et il lui a apporté un soutien personnel pendant deux décennies. Le point culminant des rapports chaleureux entre le roi et le maréchal, qui donnait au souverain du «Mon cousin» dans les lettres qu’il lui adressait, aura été la visite de Baudouin et Fabiola au Congo en juin 1970, pour les festivités du dixième anniversaire de l’indépendance. Les tensions entre Bruxelles et Kinshasa n’ont pourtant pas manqué sous l’ère Mobutu, qui ne cessait de souffler le chaud et le froid. En juin 1985, trente ans après sa première visite, le roi revient une dernière fois au Congo, alors appelé Zaïre. Lors de ce séjour en demi-teinte, il évoque, dans un discours, l’importance du respect des «droits de la personne humaine». En décembre 1988, c’est la rupture totale entre le souverain et le dictateur.

Visite du roi Albert Ier au Congo en 1928. Il y resta trois mois. A son retour, il insista sur les devoirs des nations colonisatrices à l'égard des colonisés.
Visite du roi Albert Ier au Congo en 1928. Il y resta trois mois. A son retour, il insista sur les devoirs des nations colonisatrices à l’égard des colonisés. © dr

Albert II muet à Kinshasa

Les relations belgo-congolaises connaissent un énième refroidissement sous le règne d’ Albert II: en 2008, les déclarations du chef de la diplomatie belge, Karel De Gucht (Open VLD), sur la corruption des élites congolaises provoquent une rupture de neuf mois. En juin 2010, Albert II est invité à se rendre à Kinshasa pour assister aux festivités du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Congo. «Certains ministres n’étaient pas favorables à cette visite, car les relations avec le président Joseph Kabila restaient houleuses, rappelle Vincent Dujardin. Il a fallu trouver un compromis politique. Le roi, accompagné de la reine Paola, a pu faire le déplacement, mais il est resté sur place trois jours à peine et n’a pu faire aucune déclaration, ce qui arrangeait bien le Palais, vu le contexte diplomatique délicat.»

Le voyage a néanmoins été qualifié d’«historique», un souverain belge ne s’étant plus rendu au Congo depuis 1985. «Albert II a été chaleureusement accueilli par la population congolaise, se souvient l’historien de l’UCL. Les anciens ont vu en lui le frère de « Bwana Kitoko », le premier à lâcher, en 1959, le mot « indépendance ».»

Une première pour Philippe

Selon Vincent Dujardin, le roi Philippe s’intéresse beaucoup à l’histoire de sa famille et aux liens qu’elle a tissés avec le Congo. «Pour autant, ce voyage-ci sera pour lui une première. Prince héritier, il menait les missions économiques belges, mais il n’y en a pas eu au Congo dans ce cadre-là en raison des brouilles belgo-congolaises.» Les relations bilatérales ont été normalisées en septembre 2019, à l’occasion de la première visite en Belgique de Félix Tshisekedi en tant que président de la RDC. Le fils de l’opposant historique Etienne Tshisekedi n’hésite pas à appeler la Belgique son «autre Congo». Il y a vécu pendant plus de trente ans, en exil. Ses enfants y sont nés et il y a gardé de solides attaches. Jeune cadre de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), le parti cofondé par son père et qui est membre de l’Internationale socialiste, Félix Tshisekedi a eu l’occasion de nouer des liens étroits avec plusieurs responsables politiques belges.

Juin 2010, Albert II et Paola assistent aux festivités du 50e anniversaire de l’indé­pendance du Congo. Un voyage «historique»: un souverain belge ne s’était plus rendu au Congo depuis 1985.
Juin 2010, Albert II et Paola assistent aux festivités du 50e anniversaire de l’indé­pendance du Congo. Un voyage «historique»: un souverain belge ne s’était plus rendu au Congo depuis 1985. © belga image

Si les relations entre la Belgique et son ancienne colonie se sont apaisées, c’est aussi la conséquence du geste posé par le roi Philippe à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo, le 30 juin 2020. Le souverain a exprimé ses «profonds regrets» pour les «souffrances et humiliations» causées pendant la colonisation et a admis que des «actes de violence et de cruauté» ont été commis au temps de l’Etat indépendant du Congo géré par Léopold II. Ce message du Palais était attendu, alors que les débats sur le passé colonial du pays s’étaient enflammés dans le contexte des manifestations antiracistes Black Lives Matter et du déboulonnage ou taggage de statues de Léopold II et d’autres monuments liés à la colonisation.

Vers des excuses officielles?

Un premier pas vers des excuses officielles de la Belgique? Les travaux de la commission parlementaire sur le passé colonial, mise en place en 2020, patinent depuis des mois. En février dernier, trois experts ont été nommés pour aider les parlementaires à rédiger leurs conclusions, attendues pour juillet. La question des responsabilités des acteurs de l’époque et celle des réparations à envisager – réhabilitation, restitution, indemnisation – sont les plus sensibles.

Le gouvernement belge a adopté une feuille de route en vue de restituer à la RDC des milliers d’objets des collections fédérales acquis de manière «illégitime» pendant la période coloniale. La Belgique prévoit aussi de remettre à Kinshasa une dent attribuée à Patrice Lumumba, saisie dans la famille du policier brugeois qui, en janvier 1961, a fait disparaître le corps de l’éphémère Premier ministre du Congo indépendant. La cérémonie de restitution aura lieu le 20 juin à Bruxelles, juste après la fin de la visite royale en RDC.

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