
Sujet des lecteurs: Marc Coucke, licence sous influence
Le président d’Anderlecht a joué un rôle majeur dans le destin de son ancien club d’Ostende. Étrangement insuffisant pour que la Commission des Licences y voie une « influence notable ». Explications.
Le rapport rédigé à l’encontre des Mauves, surtout focalisé sur le costume d’équilibriste de Wouter Vandenhaute, n’en fait même pas mention. Pour retrouver une trace de l’histoire qui aurait pu emmener Anderlecht devant la Cour d’Arbitrage, il faut fouiller jusqu’aux recoins des conclusions de la licence refusée au KV Ostende.
On y apprend que le club ajoute à son dossier une note mentionnant que Marc Coucke, par l’intermédiaires des sociétés Alychlo et NV Stadion dont il est le propriétaire, a toujours une influence notable sur le KVO. Ostende accuse donc son ancien président d’être une entité juridique liée à un autre club que le sien, ce qui est une infraction à l’article P407.25 du règlement fédéral, et met donc la licence d’Anderlecht en danger.
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Si Frank Dierckens, président d’Ostende depuis le printemps 2019, opte pour cette stratégie, menaçant même par la suite d’attaquer la licence d’Anderlecht devant la CBAS, c’est parce qu’il n’a pas le choix. Au bord de la banqueroute, le club côtier a besoin d’une injection de plus de 2,5 millions d’euros dans son capital pour encore être professionnel lors de la saison 2020-2021. Et en coulisses, Marc Coucke serait un frein à l’avancée des négociations.
VENTE DANS L’URGENCE
Pour comprendre l’histoire dans les détails, il faut remonter à l’hiver 2017-2018. Nouveau propriétaire d’Anderlecht, Coucke doit absolument vendre le club d’Ostende dans les plus brefs délais, afin d’éviter un conflit d’intérêts visible qui placerait les Mauves et les Côtiers dans une situation délicate en vue de l’obtention de la licence. Seulement, les acheteurs potentiels ne se bousculent pas, freinés par la réalité d’un club dopé artificiellement par son futur ex-propriétaire, entre salaires gargantuesques et stade à rembourser. À la fin du mois de janvier 2018, le Nieuwsblad révèle même qu’un prospectus vantant les mérites du club et le potentiel de son noyau circule dans le milieu, pour tenter d’attirer des repreneurs.
Peter Callant, le successeur de Coucke, n’est qu’un intermédiaire. Officieusement, il dirige le club en attendant de trouver un véritable repreneur.
Le temps presse, et les intérêts sont rares. L’issue de secours s’appelle Peter Callant. Membre du CA ostendais et proche de Marc Coucke, l’homme est cependant loin d’avoir la fortune suffisante pour s’offrir un club qui a pris une telle envergure. Après avoir envisagé dans un premier temps de conserver 10% des parts, Coucke se ravise quand certains dirigeants lui font remarquer l’incongruité de l’idée lors du gala du Soulier d’or. Le président cède dont l’intégralité de ses billes ostendaises, quitte le board du club et s’offre un dernier artifice financier en augmentant le capital du club, qui passe de cinq à vingt millions en un coup de baguette magique pleine de cash, et éponge les dettes pour rendre les comptes plus attirants aux yeux des futurs investisseurs. La majorité de l’argent dû par Ostende a maintenant Coucke pour créancier.
Callant ne reste qu’un an. Quand il cède sa place à Frank Dierckens, en fin de saison dernière, le fameux repreneur est donc trouvé. De l’ère Coucke, seul le CEO Patrick Orlans reste dans la place. Bart Versluys, allié de longue date de Coucke via sa société qui a hérité du naming du stade côtier, vend ses 5% au cours de l’été. Très vite, les ennuis financiers s’accumulent au fur et à mesure que la nouvelle direction découvre des dettes dans chaque placard.
LOYER, DETTES ET MILLIONS
Il y a d’abord le loyer de la tribune, passé de 800.000 à 1,2 million d’euros par an au moment où Coucke a quitté le navire. L’ancien président en est évidemment, via la société Stadion, l’un des principaux bénéficiaires. Les chiffres sont difficiles à avaler pour une trésorerie qui fait déjà grise mine. À tel point qu’en octobre dernier, la Ville d’Ostende interpelle Coucke via une lettre ouverte, lui demandant de diminuer ce loyer démesuré, avec une prédiction d’avenir en guise de menace voilée: si le KVO venait à faire faillite, la tribune cesserait d’appartenir au président des Mauves pour tomber entre les mains de la Ville. Il ne resterait à Coucke qu’une dette de 13 millions d’euros à régler pour boucler le paiement des travaux.
Frank Dierckens déballe les chiffres à deux heures du coup d’envoi d’Ostende-Anderlecht, et déclenche la colère de Marc Coucke.
La tension monte d’un cran le 1er décembre, quand Anderlecht rend visite à Ostende dans le cadre du championnat. Deux heures avant le coup d’envoi, Dierckens sort la sulfateuse et les chiffres dans l’émission De Zevende Dag de la VRT: le KVO doit encore 6,2 millions d’euros à Coucke, qui a emmené dans son sillage vers la capitale des sponsors qui assuraient 1,3 million de revenus annuels au club. Malmené par le public local, autant que ses Mauves le sont par une équipe côtière qui semble ressuscitée, l’ancien président quitte son ex-fief avant le coup de sifflet final, non sans avoir offert aux caméras une embrouille en public avec Dierckens.
Sans être nommé, Marc Coucke est également pointé du doigt dans la publication des comptes annuels du KVO, endroit pourtant peu propice aux règlements de compte. Dans les conclusions, on peut ainsi lire que 70% des 9 millions d’euros de pertes sont « causés par l’héritage d’un passé bien connu », que « des salaires excessifs des joueurs ont été établis dans le passé, avec un président précédent », ou encore que « plus de 2,5 millions de frais d’agents ont été facturés, sans que les revenus de ces transferts n’entrent dans l’entreprise. » Dans le cadre du remboursement de la dette du club envers Coucke, les tranches de transferts sortants encore impayées devaient effectivement être versées à Alychlo, la société personnelle du président des Mauves.
À CHACUN SON REPRENEUR
La situation est limpide : sans un apport financier, Ostende ne survivra pas au-delà de cette saison. Au début du mois de janvier, le salut semble venir d’une offre amenée par Patrick Orlans. Elle arrive sur le bureau de Frank Dierckens via Walter Van Steenbrugge, avocat conseiller d’Orlans… et de Coucke. L’offre porte le nom d’Ivan Bravo, ancien directeur stratégique du Real, passé par Leeds et par les hautes sphères d’Aspire. Bien introduit à Crystal Palace, l’Espagnol pourrait nouer un partenariat entre les Londoniens et les Côtiers. Il pose sur la table 5,5 millions d’euros pour le rachat complet du club, et dispose déjà d’un accord avec Alychlo, à qui il paierait 20 millions pour acheter la tribune et les dettes restantes.
Chaque partie a son repreneur de prédilection: Alychlo négocie avec les patrons de Crystal Palace pendant que Paul Dierckens trouve un accord avec Pacific Media Group.
Dierckens ne compte pas se laisser faire. Le 16 janvier, à l’occasion des voeux du club, il fanfaronne en évoquant un deal « bouclé à 95% » avec Pacific Media Group (PMG), la société d’investissements américaine de Paul Conway et Chien Lee qui avait spectaculairement redressé l’OGC Nice. Désireux de conserver un ancrage local, les hommes forts de PMG, amenés vers la Côte par Luc Devroe, laisseraient à Dierckens son poste de président et quelques parts du club, le flanquant d’un CEO fourni par leurs soins. De quoi permettre au nouvel homme fort d’Ostende de récupérer sa mise de départ (une augmentation de capital de trois millions à son arrivée). Invisible lors de la soirée, Patrick Orlans quitte le club quelques jours plus tard. Le happy end s’annonce mi-février, quand le deal entre PMG et le KVO semble officiel : Pacific paiera entre 2 et 2,5 millions d’euros, et injectera les 2,7 millions nécessaires à la survie de l’entité côtière.
Restait alors à trouver un accord avec Alychlo. Et la société de Marc Coucke se montre plutôt ferme. Par un recommandé de Walter Van Steenbrugge, elle réclame début mars le solde de ses 6,2 millions. PMG, qui estime que le club a été gonflé artificiellement, refuse. Les Américains se vexent de voir arriver à la table des négociations Pieter Bourgeois, le bras droit de Coucke, et pas le président des Mauves en personne. Ils proposent de payer un million, et de réduire le loyer du stade.
ACCORD SANS INFLUENCE
« Marc Coucke est responsable de 90% de nos problèmes », fustige Dierckens dans les colonnes du Nieuwsblad au bout du mois de mars, quelques jours avant que la Commission des Licences ne donne un verdict négatif et attendu à la demande d’Ostende. La suite nécessite l’intervention du bourgmestre Bart Tommelein, qui joue les intermédiaires entre le KVO et Alychlo pour que la ville ne perde pas l’une de ses figures de proue sportives. Quatre jours plus tard, Ostende fait machine arrière dans ses menaces d’offensive contre Coucke et le RSCA devant la CBAS, premier signal d’une issue positive à venir.
Alychlo et le KV Ostende finissent par trouver un accord avec Pacific Media Group, l’horloge qui tourne rapprochant la menace de la faillite ostendaise, et donc la perte du loyer du stade pour Marc Coucke.
Finalement, c’est dans les derniers souffles du mois d’avril, alors que l’échéance de la Cour d’Arbitrage se rapproche dangereusement, qu’un accord survient. « Alychlo a mis de l’eau dans son vin » au bout de « dix jours de négociations intenses », raconte Tommelein dans la presse du nord du pays. Selon le Nieuwsblad, qui a suivi le dossier de très près, PMG aurait payé 1,5 million dans l’immédiat, et assuré le loyer du stade pour les cinquante prochaines années (800.000 euros par an pendant dix ans, puis 600.000).
Toutes ces péripéties n’ont pas été considérées par la Commission des Licences comme les témoins d’une « influence notable » de Marc Coucke sur le destin du KVO. « Ce n’est pas parce que Marc Coucke essaie d’influencer le processus de reprise que l’influence est notable au sens de l’article P407.25 », pointe la Commission des Licences dans son rapport.
Les critères qui déterminent le caractère « notable » d’une influence ne sont pas écrits dans les règlements, mais laissés à l’appréciation de la Commission des Licences.
Elle s’est donc contentée de mentionner que « la tentative d’influence de Marc Coucke était jusqu’alors infructueuse, et donc pas effectivement notable au sens de l’article P407.25 », ajoutant qu’« un créancier qui essaie d’obtenir un remboursement, même s’il s’agit d’une dette importante et qu’une certaine pression est exercée, n’est pas nécessairement une entité qui a une influence notable sur un candidat à la licence. »
Manager des licences, Nils Van Brantegem explique laconiquement que les critères pour déterminer une influence notable ne sont « pas écrits » mais « laissés à l’appréciation des commissaires. » Une belle marge de manoeuvre.
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